Afin de recruter ses gestionnaires administratifs et financiers et ses contrôleurs financiers, la direction financière de Decathlon recourt à une méthode originale. Après deux échanges préliminaires par téléphone et visioconférence, les candidats sont en effet invités à passer une journée dans les locaux de la société… en tenue de sport. Au menu : ateliers de présentation, jeu de rôle, session sportive en groupe et entretiens individuels. Une initiative qui ravit les postulants et donne entière satisfaction aux managers financiers de l’entreprise.
Il est 8h30, ce 4 octobre. Dans les locaux lillois de Decathlon France, huit jeunes financiers en tenue de sport terminent leur café et achèvent leur discussion. Originaires du Nord, de la Bretagne ou encore de Côte-d’Or, les voici prêts à… commencer leur entretien d’embauche ! Plaçant «l’innovation au cœur de (ses) activités» comme elle aime le revendiquer, l’enseigne de produits sportifs n’est pas en reste dans le domaine du recrutement. Afin de dénicher ses futurs gestionnaires administratifs et financiers (GAF) et contrôleurs financiers, la direction financière a en effet déployé depuis décembre 2016 un dispositif baptisé «Viens en short». Réunissant le plus souvent entre six et huit candidats sur un rythme mensuel, celui-ci consiste à leur faire passer une journée entière au sein de la société avec, au programme, divers entretiens et activités. «L’initiative a été lancée par les responsables de magasins à la recherche de vendeurs, il y a plusieurs années, rappelle Anamaria Ilisescu, responsable recrutement finance chez Decathlon France. La jugeant intéressante à plusieurs titres, nous avons décidé de l’appliquer il y a près de deux ans à la fonction finance : outre son caractère innovant de nature à attirer des candidats, le fait de passer une journée ensemble permet d’une part à ces derniers de savoir s’ils sont bien désireux de nous rejoindre, d’autre part à nous, recruteurs, de les observer en train d’évoluer dans différentes situations, simplifiant ainsi la prise de décision.»
Des prises de parole en public
Ce matin-là, deux personnes supplémentaires se présentent au rendez-vous, mais sont aussitôt invitées à postuler à la prochaine session. Et pour cause : avant de «venir en short», les aspirants doivent avoir remporté une première manche. «Dans la mesure où nous faisons intervenir lors de cette journée plusieurs recruteurs (il s’agit des «coéquipiers», comme s’appellent entre eux les collaborateurs chez Decathlon, et des leaders d’équipe) afin qu’ils présentent leur métier, détaillent les profils qu’ils recherchent et, surtout, valident ou non l’embauche d’un GAF ou d’un contrôleur financier, notre priorité consiste à rentabiliser cet investissement en temps, insiste Ana González, chargée de recrutement finance. Pour ce faire, il est essentiel de bien filtrer parmi les dizaines de candidatures que nous recevons pour chaque offre.»Sur la base des CV et des lettres de motivation envoyés, la cellule de recrutement présélectionne ainsi les profils les plus prometteurs en fonction de l’expérience et des compétences techniques, mais pas seulement.«Ce que nous cherchons avant tout chez Decathlon, ce sont des sportifs, souligne Kamel Medjabra, responsable de la communication humaine. A ce titre, la passion pour le sport prime sur les diplômes.» En guise d’échauffement, un entretien téléphonique est alors organisé, conduit par une personne de l’équipe de recrutement finance. «En plus de mieux cerner le candidat, cette phase permet parfois de faire un tri en raison de motifs géographiques, poursuit Kamel Medjabra. Voyant que des postes en finance sont à pourvoir, certains candidats s’imaginent en effet que le lieu de travail est à Paris, alors qu’il est à Lille.» Les candidats retenus sont ensuite invités à passer un second entretien en visioconférence, plus approfondi, toujours avec l’équipe de recrutement.
Pour ceux qui sont amenés à jouer les prolongations dans le processus d’embauche, «Viens en short» s’apparente à un véritable marathon. Après un bref exposé du déroulé de la journée, les candidats sont appelés à former un binôme avec un manager ou un collaborateur financier, chacun décrivant durant une dizaine de minutes son parcours et ses hobbies. S’ensuit une restitution devant l’audience, l’un retranscrivant ce qu’il a retenu du témoignage de l’autre. Un exercice basique, mais qui se révèle précieux pour les recruteurs. «A la manière de s’exprimer, la personnalité des candidats ressort immédiatement, pointe Ana González. Le principal objectif consiste à voir comment ils se comportent, à identifier leur savoir-être. De ce fait, cette entrée en matière est très utile.» Vers 9h30, un jeu de questions-réponses portant sur les valeurs et les chiffres clés de Decathlon est ensuite organisé, au cours duquel deux équipes s’affrontent.
Une mise en situation
A l’issue de ce court moment de respiration, les responsables et «coéquipiers» présents viennent tour à tour présenter, pendant une heure environ, leur département et leurs missions. L’intérêt est double. «Ce modus operandi permet aux recrues, dès leur arrivée, de bien connaître notre organisation, nos différents métiers et les tâches qu’elles seront amenées à conduire», signale Pierre Guyon, directeur financier retail chez Decathlon France. A cela s’ajoute un facteur humain. «Il est appréciable de faire la connaissance, dans un cadre détendu, de ses éventuels futurs collègues, retient Constant Lenglart, gestionnaire administratif et financier recruté il y a cinq mois après sa participation à “Viens en short”. Cela contribue non seulement à réduire le stress chez les candidats durant la phase de recrutement, mais aussi à faciliter l’intégration en cas d’embauche.» Mais avant d’en arriver là, le chemin est encore semé d’obstacles. Vers 10h45, deux équipes sont de nouveau formées pour prendre part à un cas pratique. Au programme : analyse durant 45 minutes d’un compte d’exploitation, suivie d’un débriefing d’un quart d’heure devant deux responsables financiers jouant le rôle de directeurs de magasins. Cette mise en situation offre ainsi la possibilité aux recruteurs d’évaluer les capacités d’analyse financière des candidats, de même que leur attitude face à des interlocuteurs apportant des justifications plus ou moins convaincantes…
Après cette matinée de découverte et de tests, pas le temps pour les candidats de souffler. 12h30 : c’est parti pour une séance de «touch rugby» (rubgy sans placage) sur un des terrains jouxtant le bâtiment, encadrée par un membre de la direction financière. Appétence pour la pratique sportive, attitude vis-à-vis des coéquipiers, personnalité effacée ou véhiculant une culture de la gagne… «Le sport en dit long sur la personnalité d’une personne, déclare Kamel Medjabra. A ce titre, cette activité permet d’affiner un peu plus le choix des recruteurs, en quête de personnes passionnées et passionnantes.» Trois quarts d’heure d’efforts plus tard, les candidats se disent comblés. «En venant aujourd’hui, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, reconnaît l’un d’eux, qui travaille dans le secteur bancaire. Au final, le concept est très intéressant et la matinée sert à nous mettre à l’aise avant de participer aux entretiens finaux.»
Un gain de temps pour les managers
Une fois la pause déjeuner achevée, l’après-midi fait en effet office de sprint final. «Durant une heure environ, chaque candidat se trouve face à deux recruteurs pour évoquer son parcours et les projets marquants qu’il a accomplis, pour nous faire découvrir sa personnalité mais aussi pour exprimer sa passion pour Decathlon, détaille Pierre Guyon. A l’issue de cet échange, nous débriefons avec l’équipe recrutement ou les autres recruteurs et invitons les postulants qui se sont démarqués à passer un second entretien avec deux recruteurs différents.» Une heure et un ultime débriefing plus tard, le verdict tombe enfin. «Les candidats reçoivent soit une proposition d’embauche, soit une réponse négative dès la fin de la journée», signale Ana Gonzáles. Le 4 octobre dernier, un d’entre eux seulement s’est vu proposer d’intégrer la direction financière de Decathlon France.
Tout ça pour ça ? Loin s’en faut, à en croire les principaux intéressés. Même s’ils consacrent près d’une journée par mois aux côtés des deux recruteurs dédiés à la fonction finance, les responsables financiers du groupe et/ou leurs collaborateurs, «coéquipiers» en interne, jugent le dispositif pleinement efficace.«Avant le lancement de “Viens en short”, je rencontrais des candidats au compte-gouttes, en face-à-face, rappelle Pierre Guyon. Comme je préférais toujours avoir un autre avis auprès de collègues, cela impliquait de convoquer à nouveau les personnes m’ayant fait bonne impression. Or en réunissant plusieurs postulants le même jour, nous avons la possibilité non seulement de découvrir plusieurs profils – notre palette de choix est donc plus large –, mais aussi de nous assurer qu’ils signeront le cas échéant en ayant une parfaite connaissance de ce que nous attendons d’eux. Au final, nous gagnons du temps dans nos recrutements.» De quoi ainsi offrir aux managers plus de marges de manœuvre pour accompagner le développement du groupe. Un développement au pas de course, bien entendu.
Un processus express
- Publication des offres d’emploi sur le site Internet de Decathlon.
- Entretiens préalables par téléphone puis visioconférence menés par un chargé de recrutement finance.
- Journée «Viens en short» pour les candidats présélectionnés : matinée consacrée à des sessions de présentation (les postulants décrivent leur parcours, plusieurs chefs d’équipe font de même en ce qui concerne leur département et leurs attentes) et un jeu de mise en situation ; séance collective de sport le midi, suivi d’un déjeuner ; après-midi dédié à une courte présentation du groupe puis à deux entretiens individuels avec un jury différent. Le candidat reçoit une réponse dans la foulée.
Les chiffres clés de Decathlon
- 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017, réalisé à hauteur de 69 % à l’international
- Présence dans 43 pays
- Plus de 1 400 magasins et plus de 90 000 collaborateurs dans le monde
- Près de 450 personnes exercent au sein de la direction financière de Decathlon France
Ressources humaines : des besoins récurrents en finance
- La fonction finance de Decathlon France organise des sessions de recrutement tous les mois, hormis durant l’été. «Afin d’accompagner le développement du groupe, nous sommes en recherche constante de gestionnaires administratifs et financiers et de contrôleurs financiers, informe Ana Gonzáles, chargée de recrutement finance. Ce phénomène est exacerbé par le turnover important enregistré sur ces postes.» Celui-ci tient en grande partie à la politique de Decathlon en matière de ressources humaines. «Cette dernière repose sur l’évolution rapide des collaborateurs et la promotion interne», poursuit Ana Gonzáles.
- Un constat illustré par Rémi Perotin, leader DAF logistique France, lors de la campagne Viens en short d’octobre. «Durant mes huit années chez Decathlon France, j’ai eu la chance d’occuper sept postes différents.»
Le Crédit Agricole Ile-de-France rencontre ses futurs conseillers dans… un cinéma
- A l’instar de Decathlon, le Crédit Agricole Ile-de-France a fait preuve d’originalité pour tenter d’attirer de nouveaux conseillers commerciaux. Le 12 septembre dernier, la banque a en effet invité plus de 70 candidats dans… un cinéma parisien ! «Ceux-ci ont été conviés à la projection du film Première année, suivie d’un cocktail au cours duquel ils ont pu échanger avec des managers, parmi lesquels des directeurs d’agence», raconte Vanessa Morin, chargée de recrutement au sein de l’établissement. Une première pour l’établissement, qui avait jusqu’alors expérimenté dans ce domaine des «afterworks» et des «escape games».
- En réalité, cet événement s’intégrait dans un processus d’embauche en plusieurs temps. «D’abord, deux de nos partenaires, Dogfinance (réseau social professionnel en finance, banque, assurance, audit et IT) et Bizzeo (application mobile de recrutement spécialisée dans les fonctions commerciales), ont présélectionné des dossiers de jeunes candidats disposant déjà d’une expérience commerciale, tous secteurs d’activité confondus, explique Vanessa Morin. Plusieurs dizaines d’entre eux ont retenu notre attention. Nous avons ensuite discuté avec eux pour revenir sur leurs parcours et leurs souhaits professionnels, avant de les rencontrer lors de cette soirée au cinéma. Ces échanges de visu nous ont permis de mieux jauger les personnalités de chacun et d’identifier une cinquantaine de candidats, qui ont enfin été invités à passer un dernier entretien plus qualitatif. Aujourd’hui, ils sont déjà plusieurs à avoir intégré nos effectifs.»
- En plus d’être efficace, ce type d’initiatives est devenu, selon le Crédit Agricole Ile-de-France, incontournable. «L’ensemble des banques présentes sur le territoire francilien étant à la recherche des mêmes profils, il est essentiel de se démarquer de la concurrence, insiste Vanessa Morin. En outre, les nouvelles générations au sein de la population active ne postulent plus comme dans le passé et sont en quête d’employeurs en pointe en termes d’innovation : dans ce contexte, il nous semble impératif de casser les codes.» A ce titre, la banque compte à l’avenir renouveler de telles démarches.