Relation banque-entreprise

Comment les chargés d’affaires s’organisent

Publié le 29 mai 2020 à 15h06

Anaïs Trebaul

Entre les reports de crédit et l’octroi des prêts garantis par l’Etat (PGE), les banquiers en charge de la clientèle des entreprises ont été très sollicités ces deux derniers mois. Pour traiter ces dossiers en un temps limité malgré les contraintes liées au confinement, les établissements bancaires ont dû revoir leur organisation.

Alors que mon agence bancaire compte habituellement 18 conseillers, seuls trois étaient joignables pendant le confinement. Lorsque je l’ai appris, j’ai mieux compris pourquoi mes requêtes avaient peu avancé au cours des dernières semaines !» A l’instar de ce directeur financier d’une ETI normande, certains responsables financiers d’entreprise se montrent critiques quant à la manière dont les banques ont géré leurs dossiers depuis le début de la crise. Un mauvais procès, rétorquent bon nombre de leurs homologues. «Plus de 90 % de nos effectifs étaient disponibles pendant la période, assure Sébastien Musset, directeur général adjoint du groupe Arkéa. Une rotation a été organisée entre les collaborateurs pour permettre au mieux l’organisation avec les impératifs de vie personnelle notamment pour garde d’enfants.»

Depuis mi-mars, les banques n’ont, il est vrai, pas chômé. Par exemple, 343 879 entreprises avaient déjà bénéficié à la fin du mois d’avril d’un prêt garanti par l’Etat (PGE), mis en place à peine un mois et demi plus tôt... Un nombre considérable lorsqu’on sait qu’habituellement, les entreprises peuvent attendre plusieurs semaines avant que leur crédit ne leur soit octroyé.

Des opérations impossibles à distance

Pour pouvoir proposer ces prêts aussi rapidement et répondre à la demande de leurs clients, les établissements bancaires ont dû adapter de fond en comble leurs méthodes de travail. Dès l’annonce du confinement, une majeure partie des chargés d’affaires a été mise en télétravail. «Les accès informatiques étant très sécurisés, nous nous sommes adaptés, relève Marc Bordenave, directeur du centre d’affaires Société Générale de Marseille-Toulon. En moins d’une semaine, l’ensemble de nos chargés d’affaires qui détenaient déjà une tablette ont eu accès aux outils et dossiers depuis chez eux et ont pu ainsi travailler à distance.»

Toutefois, certaines opérations ne pouvaient pas être réalisées à distance, et une partie des équipes, de taille variable selon les banques, est restée au bureau. «Une rotation a été organisée sur environ 20 % des équipes, sur la base du volontariat, afin de procéder aux opérations qui ne peuvent pas être menées depuis chez soi, comme le versement des paies pour nos clients par exemple», détaille Frédéric di Stasio, directeur adjoint clientèle entreprises de la banque de détail en France de BNP Paribas. 

Aussi, dans les agences, une présence physique demeurait indispensable. «Plus de 90 % de nos agences sont restées ouvertes pendant le confinement, précise Fabrice Gourgeonnet, directeur du développement Caisse d’Epargne. Les conseillers étaient présents pour échanger avec leurs clients en agence ou majoritairement à distance.» Même lorsque les agences sont restées fermées, comme au groupe Arkéa, une partie des équipes devait être présente sur place. «50 % des équipes tournaient une semaine sur deux sur site en assurant les réponses aux clients à distance», ajoute Sébastien Musset.

Ensuite, tandis que les dossiers lancés avant la crise étaient progressivement finalisés, les banquiers se sont rapidement concentrés sur les problématiques de leurs clients liés à la crise sanitaire et au confinement. «Les demandes de prêts qui étaient en cours ont été traitées jusqu’à la première quinzaine d’avril environ, rappelle Frédéric di Stasio. Mais cela mis à part, l’essentiel de notre activité s’est rapidement concentré sur le soutien aux entreprises.» Une situation partagée par l’ensemble des banques interrogées. «Nous avons accru fortement l’intensité des échanges clients ces dernières semaines afin de les rassurer et de les accompagner», souligne Fabrice Gourgeonnet.

Très vite, la plupart des banques ont ainsi pris contact avec leurs clients pour leur proposer de reporter leurs échéances de crédit. «Nous avons contacté par téléphone chaque client pour faire le point sur leur activité et leur proposer une suspension de crédit, souligne Frédéric di Stasio. Nous avons également mis en place des e-mailings massifs. Au final, nous avons effectué 93 000 reports de crédit, pour une durée allant jusqu’à six mois.» D’autres banques, comme BPCE, ont préféré permettre ce report automatiquement à leur client, tout en laissant la possibilité à ceux qui ne souhaitaient pas en bénéficier de refuser. «Pour répondre rapidement aux besoins de nos clients, nous avons décidé d’automatiser les reports de crédit, observe Bertrand Magnin, directeur entreprises-gestion privée chez Banque Populaire. Ce dispositif d’ampleur a nécessité un travail conjoint des services financier, informatique, commercial, juridique et conformité dans des délais extrêmement courts.»

Plus de responsabilités pour les chargés d’affaires

Puis, le 25 mars, le prêt garanti par l’Etat (PGE) est mis en place. «En trois jours, nos 10 000 commerciaux ont dû apprendre à maîtriser les principes et le fonctionnement de ce nouveau prêt : c’est exceptionnel», relève Fabrice Gourgeonnet.

Pour les aider dans ce sens, chez BNP Paribas, des formations quotidiennes ont été organisées. «Le week-end qui a suivi l’annonce du PGE, nous avons dû définir comment traiter des milliers de demandes de prêts le plus rapidement possible, précise Frédéric di Stasio. Il a fallu former des milliers de collaborateurs et réinventer nos processus de décision.» Pour cela, l’analyse des dossiers a été simplifiée. «Par exemple, nous avons mis en place des dispositifs d’analyses express dans la validation des dossiers de crédit, en étant attentifs à la conformité et à la mise à jour du dossier client, détaille Bertrand Magnin. Nous avons surtout étudié la conformité et la mise à jour du dossier client.» Davantage de responsabilités ont également été accordées aux chargés d’affaires. «Jusqu’à un certain niveau de chiffre d’affaires (plusieurs millions d’euros), l’octroi d’un PGE pour les entreprises peut être décidé directement par les chargés de clientèle en proximité, ajoute Bertrand Magnin. Nous avons fait évoluer notre système de délégation, afin d’être plus réactifs et d’éviter les allers-retours.» De plus, la documentation a elle aussi été allégée. «Conjointement avec un cabinet d’avocats, nous avons créé un acte standard simplifié, avec signature électronique, qui, une fois réceptionné et avec l’aide de robots, déclenche directement le paiement, alors que d’habitude, nous devons vérifier que les documents aient bien été signés puis envoyer le paiement», explique Frédéric di Stasio. Des évolutions qui ont permis aux banques de s’engager à répondre dans des délais serrés. «Grâce à la connaissance que nous avons de nos clients, nous avons pu donner une réponse en trois jours et verser en cinq jours les fonds sur le compte du client», poursuit Frédéric di Stasio.

Des rendez-vous physiques reportés

Autant d’opérations qui ont fortement rempli l’agenda des banquiers ces dernières semaines. «Sur cette période, l’octroi des PGE a occupé environ 80 % du quotidien des chargés d’affaires», estime Marc Bordenave. 

Mais le déconfinement ne devrait pas changer fondamentalement la donne. Les entreprises ont en effet jusqu’à la fin de l’année pour obtenir un PGE, et l’intérêt pour ce prêt d’Etat ne diminue pas. De quoi continuer à remplir le quotidien des chargés d’affaires, dans un contexte économique en stand-by. «Beaucoup de projets que souhaitaient mener les entreprises ont été mis en stand-by durant la crise sanitaire, prévient Marc Bordenave. Les dirigeants ont logiquement besoin de temps pour bien analyser la situation avant de relancer leurs projets. Les financements de capex pourraient marquer un ralentissement sur les prochains mois. Seul un franc retour de la confiance entraînera un retour de l’investissement.» D’autant qu’un nouveau PGE dédié au secteur du tourisme, baptisé PGE saisonnier, vient d’être mis en place. «Nous nous attendons à de nombreuses sollicitations sur ce sujet dans les prochaines semaines», relève Sébastien Musset.

En termes d’organisation, quelques-uns des changements mis en place pendant le confinement pourraient perdurer. Les visites clients pourraient ne pas reprendre tout de suite «comme avant». «Alors que nos chargés d’affaires se rendent habituellement plusieurs fois par an dans les locaux ou usines de leurs clients (chaque chargé d’affaires a une cinquantaine d’entreprises dans son portefeuille), nous avons forcément stoppé nos visites durant la crise, indique Marc Bordenave. Nous avons donc mis en place des systèmes alternatifs de conférences à distance largement utilisés ces dernières semaines, que nous continuerons à utiliser dans l’attente d’un retour aux visites présentielles. Il est certain que cette crise sanitaire aura fait évoluer nos méthodes de travail.» Néanmoins, renouer avec les rendez-vous physiques fait bien partie des objectifs des banques. «Nous prévoyons de retourner rapidement en rendez-vous dans les entreprises, anticipe Fabrice Gourgeonnet. Les prochaines semaines vont nous permettre de faire un nouveau point de situation avec l’ensemble de nos clients et de trouver des solutions pour les aider à redémarrer au plus vite.»

Côté télétravail enfin, les banques ne semblent pas avoir encore mis en place de ligne de conduite fixe. Au sein du groupe Arkéa, les chargés de clientèle professionnelle n’étaient pas autorisés à effectuer du télétravail avant le confinement. Une chose qui pourrait évoluer. «Le confinement a montré que le travail à distance fonctionne bien, constate Sébastien Musset. C’est une possibilité à laquelle nous souhaitons réfléchir dans l’évolution de nos modes de travail à l’avenir.» Un changement de paradigme qui pourrait s’opérer au sein des banques alors même que la plupart des collaborateurs devraient retourner à leur bureau dans les prochains jours. 

Pas de chômage partiel dans les banques

l Les banques ont indiqué rapidement qu’elles n’auraient pas recours au chômage partiel. Un choix confirmé début mai : malgré la bascule des arrêts maladie pour garde d’enfant en chômage partiel, les établissements financiers ont annoncé qu’ils ne profiteront toujours pas du dispositif.

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