Métier

Consolideurs : les entreprises cherchent la perle rare

Publié le 7 septembre 2023 à 8h30

Anne del Pozo

Très technique, le métier de consolideur n’attire pas toujours les jeunes. Malgré la faiblesse du nombre de postes offerts, ce micromarché se trouve donc aujourd’hui sous tension, et risque de l’être encore plus à l’avenir, avec des compétences demandées toujours plus élevées, de la comptabilité au digital.

L es cabinets de recrutement sont unanimes : la consolidation est un métier d’experts qui n’a pas toujours bonne presse, notamment auprès des jeunes. En effet, ce marché à l’avantage des candidats requiert une très forte expertise technique, notamment en comptabilité. Il n’est d’ailleurs pas rare que les consolideurs aient un diplôme d’école de commerce ou de master en comptabilité contrôle de gestion (CCA) doublé d’un diplôme de comptable ou d’expertcomptable (DCG ou DECG). « Les candidats sont d’autant plus rares aujourd’hui que de plus en plus de consolideurs et autres professionnels de la comptabilité/finance font le choix de devenir indépendants, souligne Pierre-Marie Kergus, CFO de Seabird, cabinet de conseils pour banques et assurances. Une tendance que nous observons depuis quelques années maintenant. »

Certes, la demande des entreprises pour ces profils est peu élevée par rapport à d’autres métiers de la finance. Cependant, elle est stable voire en progression dans certains cabinets de recrutement. « Nous avons plus de demandes pour ces profils au premier semestre 2023 qu’au second semestre 2022, avec une hausse de 20 % sur ce type de recrutement », déclare Aurélien Boucly, director of permanent talent chez Robert Half, au bureau de La Défense.

Même constat pour Fed Finance qui, uniquement sur la région des Hauts de France et dans le département du Nord, recherche actuellement cinq candidats. « Ce n’est pas le nombre peu élevé de postes qui pose problème, mais le peu de candidats en recherche de poste, précise Simon Janssen, consultant recrutement Fed Finance Lille. Si bien que dans notre région, c’est souvent le jeu des chaises musicales : il y a peu de mouvement tant qu’un consolideur déjà en place ne change pas de poste. »

Un marché porté par les normes IFRS

La difficulté de recruter est d’autant plus grande que les entreprises exigent de plus en plus de compétences de la part des consolideurs. « Parallèlement à son expertise traditionnelle sur les sujets techniques en comptabilité, le consolideur doit être intéressé par tous les sujets en lien avec les fusions-acquisitions, la variation des capitaux propres, les prévisionnels d’impôts, mais aussi – et de plus en plus – par les évolutions normatives », poursuit Aurélien Boucly. L’agrégation des données de l’ensemble des activités et filiales de l’entreprise ainsi que leur harmonisation font en effet partie de leurs prérogatives. « A charge pour eux notamment de retraiter la comptabilité nationale en comptabilité consolidée et internationale, dans un contexte réglementaire qui se densifie et se complexifie, notamment en termes de normes IFRS, rappelle Pierre Marie Kergus. A partir de 2024, ceux d’entre eux qui travaillent dans les très grandes entreprises peuvent également être amenés à devoir réaliser des reportings extrafinanciers pour répondre à la directive européenne sur la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD).  » Alors que le régulateur demande de plus en plus d’informations aux entreprises, et ce à un niveau de granularité de plus en plus fin, il revient ainsi aux consolideurs de collecter et de centraliser des données qui ne proviennent pas uniquement des outils de comptabilité. Les compétences digitales sont à ce titre indispensables. « La mise en musique de ces normes nécessite en effet une solide appétence pour le digital, les systèmes d’information et le reporting », témoigne Boris Ekra, head of consolidation and holding accounting au sein d’Allianz Partners.

«Nous avons un rôle pivot entre la comptabilité, le contrôle de gestion, la fiscalité, le service normatif ou encore le service IT.»

Boris Ekra Head of consolidation and holding accounting ,  Allianz Partners

Une expertise digitale demandée

des nouvelles technologies et des outils sur lesquels ils s’appuient pour réaliser leurs missions de consolidation et analyse des données et des comptes. Ils doivent notamment s’adapter à la robotisation des processus comptables, dont ceux liés à la consolidation, mais aussi et surtout au développement des solutions d’« enterprise performance management » (EPM) qu’ils utilisent au quotidien. « Depuis deux ans, nous constatons que les recruteurs sont de plus en plus attentifs aux compétences digitales des candidats, en particulier sur les outils d’EPM et d’automatisation des processus, précise Simon Janssen. Une expertise d’autant plus importante que le consolideur va de plus en plus être amené à endosser le rôle de pilote de la transformation digitale, en particulier dans le cadre de la mise en place des outils d’EPM. » Si l’intérêt des consolideurs pour la manipulation des données et le digital étaient déjà un prérequis indispensable, aujourd’hui ils sont aussi attendus sur des technologies plus innovantes telles que l’intelligence artificielle. « L’IA et ChatGPT élargissent considérablement le champ des possibles pour les consolideurs, ajoute Boris Ekra. Dans notre métier, pour résoudre un problème ou une opération, dans 99 % des cas, nous nous appuyons sur le même arbre de décisions. Avec ces nouvelles technologies, nous allons pouvoir aller plus vite et plus loin dans la consolidation et l’analyse des données. » Pour capitaliser sur ces nouvelles technologies, les entreprises n’hésitent d’ailleurs plus à recruter des candidats avec un parcours professionnel plus orienté IT. « Par exemple, ces derniers mois, nous avons embauché deux profils avec une expérience de programmation informatique, précise Yves Adjanon, manager consolidation au sein du groupe Crédit Agricole. Nous avons également dans nos équipes un consolideur expert à qui nous avons fait suivre une formation spécifique pour travailler sur la manipulation et le traitement des données. »

Des salaires élevés pour attirer les candidats

  • Les compétences techniques et savoirêtre font des consolideurs des « candidats de niche » sur un marché qui est lui-même un marché de niche. Tout l’enjeu pour les entreprises qui recrutent consiste donc à mettre en avant des arguments de poids pour les attirer, en tête desquels figurent les salaires. « Nous n’avons d’autre choix que de proposer des niveaux de salaires élevés, indique à ce sujet Yves Adjanon. Par exemple, lorsque nous recrutons nos alternants en CDI, nous leur proposons un salaire en moyenne de 40 000 euros annuels avec un variable sur des objectifs individuels et collectifs significatif. »
  • Plus globalement, les cabinets de recrutement s’accordent pour dire que le salaire d’un consolideur junior est généralement compris entre 38 000 et 45 000 euros. Un consolideur confirmé (trois à cinq ans d’expérience) pourra prétendre à 60 000 euros annuels maximum et un senior touchera entre 70 000 et 90 000 euros. Des fixes auxquels il convient souvent d’ajouter un variable et des avantages (intéressements, participation). « Le salaire ne fait cependant pas tout, tempère Aurélien Boucly. L’attractivité pour un poste dépend également du périmètre géographique sur lequel le consolideur interviendra. Une entreprise qui recherche un consolideur sur un périmètre franco-français a souvent plus de difficultés à recruter qu’une entreprise qui évolue dans un environnement international. »

Un métier sous pression

Parallèlement à ces compétences métiers, les consolideurs sont également attendus sur leur résistance au stress. « D’autant qu’avec l’accélération des délais de clôture et de publication des comptes de ces dernières années, les consolideurs sont de plus en plus sous pression, ajoute Yves Adjanon. Dans nos processus de recrutement, nous allons donc chercher à savoir comment les candidats réagissent en cas de surcharge de travail et s’ils arrivent malgré tout à respecter les délais qui leur sont imposés. »

Par ailleurs, le consolideur doit être un « communicant ». En effet, dans le cadre de ses missions, il est régulièrement amené à collaborer avec différentes directions de l’entreprise, notamment pour récupérer les données dont il a besoin et/ou les vérifier. « Nous avons un rôle pivot entre la comptabilité, le contrôle de gestion, la fiscalité, le service normatif ou encore le service IT », précise Boris Ekra. Il lui revient également de transmettre les résultats de ses analyses et de les expliquer, notamment auprès de la direction et des investisseurs. A cet effet, ses compétences en anglais sont indispensables, en particulier pour ceux qui opèrent dans des entreprises ayant des filiales ou activités à l’étranger. « Il doit par ailleurs comprendre l’activité de l’entreprise dans laquelle il évolue pour interpréter les chiffres correctement, avoir un esprit de synaux investisseurs ou encore leur faire part d’éventuels risques présents ou à venir », précise Simon Janssen. Des missions qui requièrent par ailleurs, de la part du consolideur, un certain sens de la curiosité mais aussi une volonté de comprendre les raisons sous-jacentes aux résultats des données consolidées. Enfin, ses capacités de management sont indispensables notamment pour éviter le turnover au sein de ses équipes alors même que la profession peine à recruter.

«Depuis deux ans, nous constatons que les recruteurs sont de plus en plus attentifs aux compétences digitales des candidats, en particulier sur les outils d’EPM et d’automatisation des processus.»

Simon Janssen Consultant recrutement ,  Fed Finance Lille

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