Les professionnels de la gestion d’actifs ne doivent pas s’attendre à un boom des recrutements en 2018. En revanche, le marché retrouve une certaine dynamique, en particulier pour des profils de spécialistes dans la gestion. Plus largement, les candidats voient leur pouvoir de négociation augmenter.
La reprise des recrutements dans l’asset management se confirme. Après avoir connu plusieurs années de gel des embauches à partir de 2011, les professionnels de la gestion d’actifs bénéficient depuis deux ans d’un marché de l’emploi en amélioration. Et d’après les chasseurs de têtes, la dynamique devrait s’accélérer cette année. «L’an dernier, nous avons constaté une reprise des recrutements qui devrait se poursuivre en 2018, témoigne Guilhem Jeannin, practice manager chez Michael Page. En janvier, nous avons ainsi enregistré une augmentation de 20 à 30 % de nos mandats par rapport à la même période en 2017.» Une situation qui s’explique par une conjoncture de marché plus favorable.
«L’année 2017 a été marquée par une reprise de la collecte, ce qui se traduit souvent à retardement en matière de recrutement, confirme Valérie Barthès, associée chez Boyden. 2018 devrait donc être une bonne année pour le marché de l’emploi dans la gestion d’actifs.»
Pour autant, comme en 2017, toutes les sociétés de gestion ne seront pas aussi actives en la matière. L’an passé, ce sont surtout les petites sociétés et les maisons de taille intermédiaire qui ont animé le marché de l’emploi. Un schéma qui devrait se poursuivre cette année. «Les structures indépendantes continuent de recruter, en particulier les petites sociétés de gestion qui poursuivent une stratégie de consolidation de leurs équipes et créent de nouvelles fonctions, commente Romain Boisnard, associé chez Tillerman Executive. En revanche, nous constatons davantage un phénomène de consolidation pour les grands acteurs, ce qui peut conduire à des suppressions de postes dans ces maisons.»
Un intérêt pour les gérants alternatifs
Parmi les sociétés qui recrutent, les recherches portent à la fois sur des fonctions de gestion, de développement commercial et de conformité. Pour autant, elles ont souvent des demandes très spécifiques et plébiscitent donc des candidats dotés de compétences très pointues.
Dans la gestion en effet, il faut avant tout avoir une expertise dans la bonne classe d’actifs. «Les profils de gérants sur les marchés traditionnels sont aujourd’hui beaucoup moins recherchés que par le passé, notamment sur les actions, reconnaît Christophe Laville, consultant chez Hudson. La collecte et donc les recrutements se portent surtout sur la dette privée, l’immobilier et les infrastructures».Les professionnels spécialisés sur ces segments ou encore sur les pays émergent parviennent encore à tirer leur épingle du jeu mais il y a peu de demande pour des gérants obligataires corporates ou pour des gérants de trésorerie.
En revanche, les gérants alternatifs suscitent un regain d’intérêt. Même des profils issus de hedge funds sont à nouveau recherchés. En outre, les sociétés de gestion s’intéressent à des experts capables d’élaborer des modèles mathématiques. «Les profils techniques dans la gestion représentent un poids plus important dans nos recherches de candidats aujourd’hui, confirme Guilhem Jeannin. Les sociétés de gestion plébiscitent notamment les gérants quantitatifs.»
Une demande de commerciaux retail
Les sociétés de gestion adaptent aussi leur positionnement commercial, ce qui se répercute sur les offres d’emplois de commerciaux. «En France, les sociétés de gestion se tournent de plus en plus vers la clientèle retail car elles ont conscience que le marché institutionnel offre beaucoup moins de potentiel aujourd’hui compte tenu de la consolidation de ce marché», souligne Valérie Barthès. Il existe donc des opportunités pour des commerciaux qui ont ce champ d’expertise. «Depuis le début d’année, nous avons constaté une forte hausse de nos mandats pour des profils de commerciaux junior avec trois à cinq ans d’expérience, notamment dans le retail», commente Etienne Billing, manager chez Fed Finance. Mais sur le segment institutionnel, les offres sont peu nombreuses. «Nous assistons surtout à des remplacements et non pas à des créations de postes, souligne Christophe Laville. De très bons vendeurs peuvent ainsi rester sans emploi pendant plusieurs mois avant de retrouver un poste.» Seuls ceux ayant une connaissance des marchés internationaux, notamment des pays où la maîtrise d’une autre langue que l’anglais est nécessaire (Allemagne, Italie, Espagne, etc.) parviennent encore à intéresser les maisons de gestion.
Du côté des fonctions liées à la conformité, là encore la demande se porte sur certains profils. Les grandes maisons étoffent leurs équipes. «Si la première vague des recrutements de responsables a déjà eu lieu il y a plusieurs années, nous recherchons désormais des profils plus juniors pour venir compléter les effectifs en conformité», précise Christophe Laville. Ces derniers ont souvent une mission spécifique liée à la réglementation. «Nous avons eu des mandats pour rechercher des profils capables d’alimenter les processus de connaissance clients ou KYC», témoigne Etienne Billing. Il reste ensuite des opportunités pour des postes à plus haut niveau dans les plus petites maisons. «Les petites sociétés de gestion recherchent surtout des profils polyvalents qui puissent à la fois prendre en charge la conformité et le contrôle interne voire parfois les risques», illustre Christophe Laville.
Dans ce contexte, les sociétés de gestion s’intéressent souvent aux mêmes candidats. Ces derniers ont donc une marge de négociation plus importante que par le passé. «Le pouvoir est passé de l’employeur vers le candidat, confie Etienne Billing. Auparavant dans leur négociation pour un nouvel emploi, les candidats pouvaient espérer au mieux une revalorisation salariale de 10 %, désormais ils peuvent obtenir 20 %.» Certains profils de gérants très expérimentés dans la dette privée auraient même obtenu une hausse de 50 % ! Une situation exceptionnelle qui doit être nuancée. Quelle que soit la conjoncture, un profil rare pourra toujours tirer son épingle du jeu. De plus, si les candidats très performants peuvent s’imposer, leur marge de manœuvre ne concerne qu’une partie de leur rémunération. «En moyenne, les candidats ont toujours des difficultés à négocier une importante revalorisation de leur fixe», reconnaît Romain Boisnard. Les sociétés de gestion font en effet désormais plus attention à leurs coûts fixes. «Dernièrement, nous avons travaillé pour une importante société de gestion où tous les recrutements d’une rémunération supérieure à 100 000 euros sont scrutés et validés par la direction générale», indique Christophe Laville. Néanmoins, une négociation est toujours possible concernant les bonus. A tel point que l’encadrement des rémunérations variables, prévues dans les directives AIFM et OPCVM, ne semble pas s’appliquer dans certaines maisons de gestion.
Des opportunités d’emplois liées au Brexit
Certaines sociétés de gestion non européennes installées à Londres se posent actuellement la question de la délocalisation de leur activité en France ou en Allemagne dans le cadre du Brexit. «Des projets de constitution d’équipes pour des hedge funds ou des gestions systématiques, comme celles spécialisés dans le smart beta, le risk premia… sont déjà en cours, précise Romain Boisnard, associé chez Tillerman Executive. Il y aura donc certainement des opportunités à saisir pour les professionnels déjà sur place.» Ceux à Londres sont en effet souvent peu enclins à déménager sur le continent européen.
Les ouvertures de postes prendront néanmoins du temps. «Les grands acteurs américains qui officiaient historiquement depuis Londres pour aborder le marché européen se posent actuellement la question de leur positionnement, confirme Valérie Barthès, associé Boyden. Ceux, peu nombreux qui avaient déjà une petite implantation à Paris, ont tendance à y renforcer dès à présent leurs effectifs. Les autres se montrent encore attentistes car ce genre de décisions implique la mise en œuvre de moyens financiers. Ils analysent donc avec attention le potentiel de chaque place européenne continentale avant de prendre une décision.»