Afin de mieux appréhender des sujets émergents, tels que la blockchain ou l’intelligence artificielle, certains responsables financiers n’hésitent pas à recourir au «reverse mentoring», un procédé consistant à se faire former par un de ses jeunes collaborateurs. Si cette approche n’est pas forcément innée pour les dirigeants les plus chevronnés, elle est cependant riche en enseignements.
On vous parle d’intelligence artificielle, mais son apport pour la fonction finance vous paraît abscons ? Vos prestataires assurent que la blockchain va révolutionner les métiers du cash management, mais vous ne comprenez ni pourquoi, ni comment ? Les levées de fonds en cryptomonnaie se multiplient, mais vous n’en saisissez pas l’intérêt ? Pour y remédier, pas besoin de mandater les services d’un cabinet de conseil spécialisé dans les nouvelles technologies : adressez-vous plutôt à… vos propres collaborateurs appartenant à la génération Y !
Des sessions d’une heure
Baptisé «mentorat inversé», ou «reverse mentoring», ce procédé a déjà fait ses preuves dans de nombreux grands groupes (Société Générale, Axa, Sanofi, etc.), où de jeunes salariés ont été chargés, dans un contexte de transformation digitale de l’entreprise, de sensibiliser leurs responsables sur les innovations technologiques.
Jusqu’alors, cette approche était le plus souvent circonscrite aux managers opérationnels. Mais elle commence à attirer de plus en plus de directeurs financiers. «Dans le cadre de la préparation de notre étude 2018 sur les priorités des directeurs administratifs et financiers, plusieurs d’entre eux ont en effet indiqué suivre une telle formation», confirme Pascal Corcos, associé, fonction finance, chez PwC. Une tendance perceptible aussi bien dans des ETI que dans des sociétés du CAC 40.
Il faut dire que l’initiative est séduisante à plusieurs titres. D’abord, au-delà de sa gratuité, le format est apprécié pour sa souplesse, se démarquant ainsi parfois des formations délivrées par des experts. «Pour les responsables que nous avons interrogés, le reverse mentoring se traduit par des sessions d’une heure environ, réparties sur plusieurs mois, avec un calendrier flexible et adapté aux diverses contraintes professionnelles», précise Pascal Corcos. Surtout, les messages véhiculés durant ces rendez-vous tendent à être mieux intégrés. «Les échanges sont facilités par le fait non seulement que nous connaissons déjà le plus souvent la personne face à nous, mais aussi que celle-ci aborde des problématiques complexes avec un langage accessible, sans le jargon qui caractérise parfois les consultants, témoigne le directeur financement et trésorerie d’une ETI industrielle. Dans la mesure où je n’appartiens pas à une génération “digital native”, ce besoin de pédagogie était primordial pour moi.» Et les bénéfices ne s’arrêteraient pas là. A en croire certaines parties prenantes, la démarche contribuerait en effet à renforcer la cohésion au sein de la fonction finance.«Pour un jeune collaborateur, il est très important de se sentir valorisé, insiste un directeur financier du CAC 40. En lui permettant d’apprendre des choses à son responsable, on lui prouve ainsi qu’il exerce un rôle de premier plan et que le groupe compte sur lui, ce qui est de nature à le fidéliser.»
Des barrières hiérarchiques à faire tomber
Pour qu’une campagne de reverse mentoring soit couronnée de succès, encore faut-il toutefois que le manager soit prêt à jouer le jeu. Or d’après certains observateurs, ce n’est pas toujours une mince affaire. «Si le responsable est habitué à peu déléguer et aime entretenir une relation très hiérarchique avec ses équipes, alors l’initiative est vouée à l’échec, prévient un consultant. Plus le manager est expérimenté, et plus la tâche est délicate.» Un avis corroboré par quelques intéressés. «Révéler ses failles à ses jeunes collaborateurs ne va pas de soi, tout comme accepter d’inverser momentanément les rôles, admet l’un d’eux. A ce titre, j’ai longtemps hésité avant de franchir le pas.» Et ce responsable d’ajouter : «Mais maintenant, je suis presque incollable sur les nouvelles technologies !» A tel point que celui-ci vient de décider de mettre en place un réseau social d’entreprise, de manière à ce que les équipes financières du siège et des filiales soient davantage force de propositions.