Après avoir été contraint à deux fermetures administratives depuis le printemps, le groupe Provalliance, qui recouvre plusieurs enseignes de coiffure dirigées par Franck Provost, a perdu 24 % de son chiffre d’affaires annuel. Financièrement solide, le groupe s’est concentré sur la survie de son réseau, en France mais aussi à l’international, notamment en l’accompagnant dans l’obtention des aides d’urgence mises à place par les différents Etats. Marc Aublet, directeur général, et Grégory Diaz, directeur administratif et financier, reviennent pour Option Finance sur les différentes mesures prises par le groupe depuis le début de la crise.
Activité : coiffure/ventes de produits de beauté/nail bars
Nombre de salons : 3 400 dont 2 000 en France et 1 400 à l’international (35 pays dont les principaux en Italie, en Espagne, en Pologne, en Suisse, aux Pays-Bas, en Chine et en Corée du Sud).
Chiffre d’affaires 2019 : 1,3 milliard d’euros sous enseignes (60 % en France/40 % à l’international) opérant à hauteur
de 30 % via des salons et magasins en propre et de 70 % via un réseau de franchise multi-enseigne.Marc Aublet : Autant le premier confinement avait été jugé comme parfaitement évident, autant cette nouvelle contrainte à la fermeture suscite une forme d’incompréhension.
En effet, au printemps, personne ne connaissait le virus et son impact possible sur la population. Il était donc naturel pour nous de jouer le jeu de la sécurité et de protéger notre clientèle comme nos collaborateurs.
Ensuite, il nous est apparu essentiel de préparer la réouverture de nos salons dans des conditions de sécurité optimales. Aussi, nous avons beaucoup travaillé, pendant le premier confinement, avec des fournisseurs en Italie et en Chine pour nous approvisionner en masques, capes jetables, gel hydroalcoolique afin d’équiper le plus tôt possible notre réseau. Dans ce contexte et après tant d’efforts, la fermeture de nos salons depuis le 29 octobre a été vécue très difficilement par nos équipes d’autant que selon une enquête de satisfaction réalisée auprès de nos clients, 96 % d’entre eux se déclaraient satisfaits ou très satisfaits des mesures de sécurité mises en place dans nos établissements depuis le déconfinement du 11 mai. Je tiens à souligner que nous n’avons constaté aucun cas de contamination dans nos salons. Mais heureusement pour notre activité et à la différence du premier confinement, nous ne sommes pour l’heure fermés qu’en France et en Belgique. Nous nous félicitons donc d’une ouverture au 28 novembre, qui va nous permettre de bénéficier de la dynamique des fêtes de fin d’année et de tenter de rattraper les pertes de recettes dues au second confinement.
Votre groupe est discret dans la presse et est surtout connu pour la marque éponyme de votre président, Franck Provost. Comment est organisé le groupe Provalliance ?
Marc Aublet : La marque Franck Provost a été créée il y a 45 ans. Depuis, le groupe n’a pas cessé de se développer grâce à une stratégie de croissance externe ambitieuse. Nous avons notamment effectué l’acquisition de nos principaux concurrents, comme les marques Jean-Louis David, Jean-Marc Maniatis, Saint Algue… Cela nous a permis, au fil des années, de devenir le deuxième acteur mondial du métier de la coiffure et le premier acteur européen. Nous possédons ainsi une dizaine de marques en France sur la partie coiffure de nos activités mais aussi sept à l’international. Aujourd’hui, le groupe compte 3 500 salons dans plus de 35 pays dans le monde, dont 1 000 sont directement contrôlés par Provalliance sous forme de succursales et 2 000 se situant en France. Le groupe fonctionne comme une holding. Chaque filiale pays contrôle son propre réseau de salons. En France, les salons exploités par Provalliance le sont à travers des holdings d’exploitation et chaque salon est soit une filiale, soit un établissement secondaire d’une holding d’exploitation (elle-même filiale de Provalliance).
Par ailleurs, nous sommes également en train de développer une activité de vente de produits cosmétiques (capillaires, soins, maquillage) grâce notamment à notre marque Bleu Libellule et ses 200 magasins en France (représentant 25 % de notre chiffre d’affaires). Ces produits s’adressent directement au consommateur final (B-to-C) comme aux professionnels (B-to-B). Cette enseigne est principalement implantée dans les centres commerciaux et les retail parks dans la France entière.
Au total, 25 000 personnes travaillent dans l’ensemble de nos salons et de nos magasins, dont 8 000 dont directement salariés du groupe Provalliance en France ou dans le monde.
Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté votre activité ?
Marc Aublet : Notre activité n’est pas saisonnière. Il n’existe pas dans notre métier de période dans l’année particulièrement dense. Aussi, chaque mois de fermeture représente environ 8 % de perte sur notre chiffre d’affaires annuel. Au total, en comptant les trois mois de fermeture sur les deux confinements, ce sont donc 24 % du chiffre d’affaires annuel qui est pour le moment perdu.
De plus, le protocole sanitaire (masques, capes jetables, gel hydroalcoolique) que nous avons dû respecter dans chacun de nos salons a nécessité un investissement d’environ 4 millions d’euros pour le groupe. Pour limiter l’impact de ce coût sur notre trésorerie, nous avons été obligés de le répercuter sur nos clients en faisant payer un «kit hygiène» de deux euros (matériel jetable et temps passé à la désinfection entre deux clients) par prestation.
Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, le déconfinement dans tous les pays et la demande pressante de notre clientèle à vouloir revenir dans nos salons n’ont pas totalement réussi à compenser les pertes engendrées par les deux mois de fermeture du premier confinement. En effet, si nous avons constaté une euphorie dans les quinze premiers jours de réouverture de nos salons en centres-villes, dès la troisième semaine, l’activité a commencé à retrouver son niveau d’avant pandémie.
Nous sommes, en outre, très présents dans de grands centres commerciaux, notamment en France, en Espagne et en Italie. Or, ces derniers n’ont pas rouvert avant le mois de juin. Et malgré le déconfinement, nous avons continué à souffrir dans ces emplacements car non seulement les clients avaient peur du virus mais ils craignaient aussi de fréquenter des grandes surfaces. Pour ces salons, la situation financière commençait à peine à s’arranger au début du mois d’octobre quand nous avons été contraints de les refermer à nouveau.
Toutefois, notre présence internationale nous a quand même permis de bénéficier de notre expérience des premiers déconfinements locaux pour préparer nos enseignes situées dans les autres pays au retour de la clientèle. A ce titre, nous avions mis en place, quelques mois avant le début de la pandémie, un système de prise de rendez-vous en ligne pour nos marques moyenne gamme et premium. Dans le contexte du déconfinement que nous étions alors loin d’imaginer, celui-ci s’est révélé particulièrement utile car il a grandement contribué à rassurer nos clients, qui avaient peur d’attendre trop longtemps dans nos salons, et à les faire revenir chez nous.
Enfin notre activité de ventes de produits cosmétiques en ligne n’a pas non plus suffi à compenser nos pertes même si la marque Bleu Libellule a poursuivi ses activités sur Internet. En effet, cette partie de notre activité est encore trop marginale sur notre chiffre d’affaires car ce ne sont ni les mêmes marges, ni les mêmes volumes que la prestation de coiffure. En salon par exemple, la vente de produits ne représente que 10 % du chiffre d’affaires.
La direction financière a-t-elle dû prendre des mesures particulières pour faire face à ce premier confinement ?
Grégory Diaz : Passé l’effet de sidération du confinement, nous avons dû nous organiser. Dans ce contexte, notre priorité a été d’accompagner notre réseau de franchisés, un peu tétanisés par les événements, dans leurs démarches administratives, notamment concernant le dispositif de chômage partiel. En effet, notre métier de la coiffure n’est pas réputé pour connaître le chômage. Or, du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés avec une perte totale et très brutale de recettes alors que les salaires de nos collaborateurs, qui représentent 50 % des coûts du groupe, devaient continuer à être versés.
Là aussi, notre présence internationale nous a permis de constater que la France est l’un des pays où nous avons été le mieux accompagnés en termes de dispositifs d’aides aux entreprises. Celui du chômage partiel par exemple n’est pas aussi avantageux en Italie et en Espagne que dans l’Hexagone.
Dans cette logique de soutien, le groupe a également décidé de ne plus prélever les redevances de ses franchisés le temps du confinement ce qui, conjointement à la fermeture des points de vente en propre, s’est traduit par une absence d’encaissement au niveau du groupe. Par ailleurs, s’agissant des loyers qui sont également des coûts fixes pour nos enseignes, nous avons réussi à négocier avec les bailleurs privés comme les grandes foncières. Ainsi, beaucoup de nos salons ont pu obtenir une exonération de ces paiements. Enfin, nous avons accompagné notre réseau pour les demandes de prêt garanti par l’Etat en lui expliquant comment faire auprès des banquiers. Durant les deux mois du premier confinement, nous n’avons pas cessé d’organiser des réunions en visioconférences, d’envoyer des newsletter tous les trois à quatre jours pour les aider à traverser psychologiquement cette période difficile.
Au-delà de votre réseau, votre groupe a-t-il eu également recours à des dispositifs publics ?
Grégory Diaz : Oui, nous avons demandé et obtenu un prêt garanti par l’Etat au niveau du groupe afin de sécuriser la trésorerie et avons été soutenus par nos partenaires financiers (banques). Toutefois, il n’a pas encore été utilisé car nous l’avions sollicité par précaution, ne sachant pas comment la pandémie évoluerait. Les autres PGE ont été demandés et gérés par les salons qui sont des commerçants indépendants. Par ailleurs, nous avons également fait appel aux possibilités de report de paiement des charges sociales et fiscales auprès de l’administration fiscale.
Mais notre principale action en tant que direction financière du groupe a été de faire une revue complète de notre trésorerie. Ce genre de crise vous oblige à examiner dans le moindre détail toutes vos opérations financières. Aussi, nous avons décidé de renégocier certains de nos contrats fournisseurs par des demandes de remises, des modifications de clauses juridiques. D’autres contrats n’ont pas été renouvelés. Nos projets d’investissements comme ceux de recrutement ont naturellement été reportés. Les budgets que nous consacrons habituellement aux campagnes de marketing et de communication, très conséquents pour un groupe comme le nôtre, ont été gelés. Enfin, concernant le crédit interentreprises, l’un de nos principaux partenaires, le groupe L’Oréal, dont nous sommes aussi le premier client en France et en Europe, a, par solidarité, accepté de repousser des échéances de paiement. Je tiens d’ailleurs à souligner que l’ensemble de notre secteur d’activité s’est toujours serré les coudes pour traverser la période du confinement.
Comment s’organise votre direction financière depuis le début de la crise ?
Grégory Diaz : La direction financière du groupe compte une cinquantaine de collaborateurs et recouvre la comptabilité, le contrôle de gestion, le service paie, l’IT et la trésorerie/services clients. Elle centralise également toutes les données des directions financières des filiales établies dans chaque pays où nous sommes présents. Le confinement nous a donc obligés d’une part à mettre en place le télétravail au niveau de la direction du groupe mais a demandé également beaucoup de coordination avec toutes les fonctions finance à l’étranger. Pour cela, j’avais des réunions Zoom quotidiennes avec mes équipes à Paris et nous organisions aussi des réunions hebdomadaires avec nos filiales étrangères. A la suite du déconfinement, l’ensemble des collaborateurs a exprimé le souhait de revenir au bureau.
Si l’absence de dématérialisation de nos procédures ne nous a pas pénalisés – nous travaillons depuis longtemps avec les mêmes fournisseurs (réception de fichiers, contrôle de cohérence versus pièce comptable, etc.), la transformation digitale de la direction financière est néanmoins, aujourd’hui, en cours de réflexion afin d’améliorer les échanges entre les services financiers décentralisés et les collaborateurs du groupe.
Enfin, la question de la relation avec les actionnaires du groupe ne se pose pas puisque nous sommes un groupe familial et indépendant appartenant à Franck Provost, notre président. De ce fait, il est quotidiennement informé de la marche de l’entreprise ainsi que de l’évolution des chiffres clés. Je tiens d’ailleurs à ajouter que notre groupe s’est montré très proactif depuis le début de la crise. En effet, Franck Provost s’est énormément investi, en tant que président du CNEC (Conseil national des entreprises de coiffure), auprès des autorités, notamment avec le ministère du Travail et celui de la Santé, pour négocier les conditions et l’élaboration d’un protocole de protection des salariés mais aussi de notre clientèle. Il est d’ailleurs encore aujourd’hui en première ligne pour discuter directement avec les pouvoirs publics, notamment Bercy, d’une reprise prochaine de nos activités.
Quels sont vos principaux chantiers pour accompagner la relance de votre activité dans les semaines à venir ?
Marc Aublet : Notre protocole de sécurité du personnel et des clients étant mis en place depuis le printemps, nous pouvons désormais nous concentrer sur la digitalisation du groupe. Nous étions déjà très en avance par rapport à notre secteur sur ce sujet car nous avons depuis longtemps développé dans ce domaine la relation avec la clientèle, notamment grâce à notre logiciel CRM (gestion client), notre présence sur les réseaux sociaux, la mise en place de programmes de fidélité… Aujourd’hui, nous souhaitons encore améliorer l’expérience client en digitalisant davantage le parcours client et le suivi de satisfaction.
Par ailleurs, nous nous sommes rendu compte pendant le confinement que la prise de rendez-vous en ligne constituait un véritable atout pour la reprise de notre activité. Nous allons donc continuer à investir dans ce programme afin d’équiper l’ensemble de nos marques.
Enfin, nous avons la chance d’être un groupe solide, nous espérons donc que nos salons sortiront indemnes de cette crise. Mais nous sommes bien conscients que le secteur a souffert. Nous estimons entre 10 à 15 % le nombre de salons de coiffure en France qui ne rouvriront pas leurs portes. Beaucoup n’ont d’ailleurs pas rouvert après le premier confinement. Le métier va donc se restructurer et cette période de crise sera sans doute aussi synonyme d’opportunités de croissance pour le groupe.