Le contrôle du cash et la recherche de rentabilité étant devenus les nouveaux mantras des entreprises innovantes en cette période économique incertaine, les directeurs financiers prennent désormais une place centrale dans leur stratégie de développement. Les dirigeants fondateurs des start-up comptent sur eux pour rassurer les investisseurs.
« Il y a deux ans, lorsque j’avais un trou de trésorerie de 200 000 euros, je n’avais aucun mal à le combler en faisant appel aux investisseurs. Mais aujourd’hui c’est beaucoup plus compliqué ! », reconnaît le dirigeant d’une start-up. Depuis quelques mois, la donne a effectivement changé chez les entrepreneurs de la French Tech. Les conditions économiques difficiles marquées par la forte inflation, la hausse des taux d’intérêt et la réduction de la liquidité disponible ont mis en évidence la nécessité de piloter plus efficacement les finances de ces entreprises, ce qui n’était pas jusqu’alors l’une de leur priorité.
Poussés par les investisseurs qui réclament de plus en plus de garanties, les start-upeurs n’attendent plus, comme ce fut le cas dans le passé, d’effectuer une grosse levée de fonds pour recruter un véritable directeur financier. « Aujourd’hui, les créateurs de start-up ont tendance à recruter plus tôt un directeur financier, afin de structurer leur stratégie financière, car elles bénéficient d’un certain recul que nous n’avions pas il y a dix ou quinze ans, explique Florent Berchet, directeur financier de Shopopop, qui propose des livraisons à domicile en cotransportage. Ils voient que les DAF ont un rôle essentiel pour attirer les investisseurs, mais aussi pour anticiper la structuration financière de la société. » Ainsi, le directeur financier devient généralement un partenaire privilégié du fondateur pour l’aider dans ses prises de décisions stratégiques.
«Nous avons vécu un véritable big bang au cours de l’année 2022. Désormais, la capacité à être neutre en résultat d’exploitation et en trésorerie prime sur le taux de croissance de l’entreprise. »
Equilibrer le modèle
Nous assistons aujourd’hui à un changement de paradigme : la présence accrue des directeurs financiers dans les start-up traduit la volonté de privilégier le suivi rigoureux des indicateurs de performance financiers et comptables (KPI) pour répondre aux attentes des marchés, là où auparavant les investisseurs n’avaient d’yeux que pour les chiffres de croissance et la valorisation de la société. « Nous avons vécu un véritable big bang au cours de l’année 2022, affirme Florent Berchet. Désormais, la capacité à être neutre en résultat d’exploitation et en trésorerie prime sur le taux de croissance de l’entreprise, ce qui pousse les jeunes start-up à se structurer financièrement beaucoup plus tôt. »
En effet, il s’agit dorénavant d’équilibrer la structure financière de l’entreprise dès le lancement de l’activité. Dès lors, le directeur financier va devoir en premier lieu établir une stratégie, et il bénéficie pour cela d’une grande autonomie. « Lorsque vous arrivez dans une start-up avec de jeunes dirigeants, c’est plutôt vous qui fixez vos missions après un diagnostic précis de ce qui se passe en interne », ajoute Florent Berchet.
Généralement, une fois que la stratégie est fixée, le directeur financier va mettre en place l’ensemble des process, déterminer les pratiques à adopter et attribuer des rôles précis à chacun, de sorte que la culture financière de l’entreprise soit partagée par tous. Le cas échéant, il pourra également s’équiper d’outils qui seront de nature à améliorer l’efficacité du pilotage financier. Tout cela avec, en toile de fond, l’objectif de chercher la rentabilité et de contrôler la trésorerie.
Chercher des financements
Cette structuration permet à la fois d’améliorer la santé financière et la viabilité de l’entreprise tout en donnant un certain nombre de gages de confiance aux investisseurs, qui sont de plus en plus méfiants. « Après deux ans marqués par des levées de fonds parfois exubérantes, les conditions de financement des start-up se sont durcies, explique Patrick de Nonneville, cofondateur d’October, fintech spécialisée dans les prêts aux PME. Désormais, l’argent a un coût, et il est beaucoup plus difficile de lever des fonds. » Un constat partagé par Daniel Dos Santos, directeur général de Treesition, entreprise spécialisée dans l’investissement durable. Sous l’impulsion des investisseurs, il a pris récemment la décision de recruter Thibault Dutronc au poste de directeur financier. « Même si notre modèle s’autofinance, nous avons besoin d’apports extérieurs pour booster la croissance de l’entreprise, explique-t-il. Seulement, lorsque j’ai rencontré des business angels, ils m’ont dit qu’avec un directeur financier et une approche financièrement structurée, j’aurais beaucoup plus de chances de convaincre. »
De fait, cette prudence des investisseurs n’est pas forcément une mauvaise chose pour l’écosystème à moyen ou long terme, car elle exige beaucoup plus de rigueur de la part des créateurs de start-up, qui à partir d’un certain niveau de développement (plus faible qu’auparavant) ne peuvent plus gérer le pilotage financier par eux-mêmes ou se contenter d’un directeur financier externe. « Aujourd’hui, les investisseurs sont dans la crainte et la prudence, mais je reste persuadé – et l’histoire le prouve – que les sociétés qui se développent dans cet environnement-là, où le capital reste accessible sans être trop abondant, ont tendance à être de plus beaux succès in fine », estime Patrick de Nonneville.
Se protéger des investisseurs trop gourmands
Structurer sa fonction finance présente aussi l’avantage de protéger les start-up d’investisseurs un peu trop gourmands, qui pourraient profiter de cette période pour racheter à prix cassé des entreprises en difficulté, car elles n’auraient pas géré leur trésorerie de manière optimale, ou qu’elles auraient du mal à se financer. « Un business angel nous avait proposé d’investir 100 000 euros en échange de la prise de contrôle de l’entreprise, une pratique assez courante en ce moment », selon Daniel Dos Santos, directeur général de Treesition. En investissant dans le recrutement d’un DAF, le dirigeant de la start-up augmente donc ses chances de conserver son indépendance tout en s’enrichissant d’un business partner de premier choix, qui pourra l’accompagner dans ses prises de décisions.
Consolider l’entreprise
Et pour cause, les nouvelles exigences des investisseurs vont avoir tendance, pour les start-up qui tentent de s’y conformer, à renforcer la solidité financière de l’entreprise. « Pour aller chercher de nouveaux financements, on s’attend à ce que les due diligences des investisseurs soient ardues, explique Thibault Dutronc. Mon rôle revient donc à établir rapidement les bonnes pratiques de gestion financière pour pouvoir présenter des comptes solides et bien tenus. » La société va ainsi démarrer sur des bases plus saines.
Par conséquent, en établissant la structure financière de l’entreprise, le directeur financier d’une start-up va jouer un rôle beaucoup plus large qu’au sein d’un grand groupe, et devenir un véritable pilier sur lequel les fondateurs – souvent issus des filières ingénierie et commerce – vont pouvoir s’appuyer pour définir les grandes orientations de l’entreprise. « Au départ, lorsqu’on se dote d’un directeur financier, il va être amené à effectuer une multitude de missions différentes, précise Patrick de Nonneville, qui a fait le choix de recruter un DAF dès le lancement de sa société en 2015. Son rôle ne ressemble pas du tout à celui d’un directeur financier de grand groupe, déjà bien organisé. Dans une start-up, il doit devenir un véritable couteau suisse. »
«Lorsque j’ai rencontré des business angels, ils m’ont dit qu’avec un directeur financier et une approche financièrement structurée, j’aurais beaucoup plus de chances de convaincre les investisseurs. »
Assumer un rôle élargi
Il va ainsi prendre en charge le suivi des dépenses, le reporting financier, l’accompagnement administratif des équipes opérationnelles, la renégociation de certains contrats avec les fournisseurs ou les assureurs, la revue des process de facturation, de gestion des frais, et même parfois le recrutement et la formation des nouveaux collaborateurs de la société. Mais la priorité pour les directeurs financiers présents dès l’amorçage consiste à établir un business plan solide. « Car on vous le réclamera pour un prêt bancaire, pour une levée de fonds et même pour solliciter un financement public, confirme Sophie Scantamburlo-Contreras, cofondatrice et directrice financière de Scop3, plateforme digitale spécialisée dans le mobilier professionnel de seconde main. Il faut non seulement pouvoir le présenter, mais aussi l’expliquer et le défendre, car il témoigne de votre travail de planification auprès des financeurs potentiels. Ensuite, lorsque les équipes s’étoffent, il faut très rapidement mettre en place des indicateurs de pilotage pour vous assurer que vous allez dans le bon sens. »
Lors de son arrivée dans une start-up, le directeur financier a tout à faire en termes de structuration, et doit prendre en charge parallèlement les tâches de gestion plus classiques et communes à l’ensemble des directions financières. A une exception près : pour toutes ces missions, il faut réagir beaucoup plus vite. « C’est primordial pour saisir les opportunités, insiste Sophie Scantamburlo-Contreras. Il faut être capable de réagir très vite dans le pilotage de l’entreprise en s’imprégnant complètement du business. L’objectif est de pouvoir réorienter légèrement la stratégie, ce qui suppose d’être à la fois agile et extrêmement polyvalent. » Un rôle sur mesure, en somme, qui replace le directeur financier au cœur du réacteur des entreprises de la Tech, comme il l’est depuis toujours chez les entreprises plus traditionnelles.