Intelligence artificielle : la difficile montée en compétences des directions financières

Publié le 29 février 2024 à 8h30

Chloé Consigny    Temps de lecture 7 minutes

Si les grandes entreprises se disent au fait de la révolution qui s’annonce avec l’arrivée de l’intelligence artificielle générative, dans la réalité, la formation des équipes reste aujourd’hui anecdotique. Au regard de leurs consœurs anglo-saxonnes, les directions financières françaises accusent un réel retard.

Les études sont formelles : les DAF et les directions financières se sont bel et bien emparés du sujet de l’IA. L’étude « Directeurs financiers : prévoir l’imprévisible ou comment maîtriser la résilience des entreprises à l’ère de l’incertitude ? », publiée par l’éditeur de logiciels Backline, révèle que l’IA et l’IA générative sont citées respectivement par 64 % et 69 % des 1 300 responsables des directions financières interrogés comme l’outil technologique qui leur permettra à l’avenir de faire face à des chocs financiers et à l’imprévisible. Un score immédiatement atténué par les obstacles identifiés par ces leaders financiers : ils sont ainsi 34 % à déplorer le manque de formation aux modèles d’IA.

Des formations non diplômantes

Pourtant, sur le marché de la formation, l’IA générative n’est pas en reste. Depuis quelques mois, on constate une augmentation exponentielle des formations proposant des modules spécifiques IA et IA générative. Certains axent spécifiquement leur offre à destination des directions financières. Orsys propose, par exemple, une formation en 7 heures, baptisée « Intelligence artificielle et finance d’entreprise ». Une journée au cours de laquelle sont passées en revue l’optimisation de la trésorerie et l’anticipation de la gestion comptable grâce à l’IA, tandis que l’impact de l’IA sur les indicateurs de performance financière est également étudié. La DFCG, pour sa part, incorpore désormais une journée complète dédiée à l’IA dans son programme de 10 jours « Digitalisation de la fonction finance ». Cette formation est l’une des rares à donner lieu à un certificat universitaire, en partenariat avec l’Université Paris Dauphine-PSL. Néanmoins, l’IA générative étant une science récente, aucune de ces formations ne fait l’objet d’un diplôme. « Il y a sans conteste un effet marketing, post-Chat GPT, qui pousse les organismes de formation à proposer des modules autour de l’IA, souligne Axel Cypel, ingénieur de l’Ecole des Mines de Paris et auteur de l’ouvrage “Voyage au bout de l’IA” aux éditions De Boeck Supérieur. Les premiers stagiaires essuieront sans doute les plâtres. Au fil du temps, certaines formations se distingueront, tandis que d’autres disparaîtront. »

Absence d’anticipation et autoformation

Pour l’heure, l’un des freins à la formation reste le quotidien surchargé des directions financières. « Il faut bien avoir à l’esprit que les équipes fonctionnent de manière cyclique, avec des phases de clôture intenses. Cette pression mensuelle est spécifique à la fonction finance et peut entraver la capacité à se projeter dans le temps long et à investiguer sur de nouveaux outils », explique Cédric Schmitz, directeur conseil directions financières, Onepoint.

Dans ce contexte, les directions financières sont souvent tenues de se former elles-mêmes. La montée en compétences se faisant alors à la faveur de l’installation d’un nouveau prologiciel utilisant l’IA. Dans ce cas, les quelques heures de formation délivrées par le prestataire extérieur suffisent à appréhender le nouvel outil. Sur le temps long, l’usage soulève de nouvelles interrogations, incitant les équipes à s’autoformer.

«C’est souvent sous l’impulsion d’un profil singulier que le sujet IA fait son incursion dans les directions financières.»

Cédric Schmitz directeur conseil directions financières ,  Onepoint

Une exception française

A l’échelle mondiale, les directions financières françaises font aujourd’hui figure de retardataires sur l’adoption de l’IA. « Je peux faire un parallèle avec les ERP, les directions financières françaises ont mis du temps à s’en emparer et pourtant aucune n’y a échappé, relève Cédric Schmitz. Il aura fallu 10 années. Mais aujourd’hui toutes les grandes entreprises en sont équipées. Ce sera sans doute la même chose avec l’IA. Aucune entreprise n’y échappera, néanmoins, il y aura sans doute un retard français. » Cela s’explique notamment par les profils qui officient à la tête des directions financières. En France, ces profils aux bagages académiques solides ont fait leurs armes au sein des big four avant de rejoindre des grands groupes, au sein desquels ils ont monté en responsabilité au fil des années. Rares sont les profils plus atypiques avec des dominantes mathématiques ou IT, les deux grandes composantes de l’IA. « C’est souvent sous l’impulsion d’un profil singulier que le sujet IA fait son incursion dans les directions financières, constate Cédric Schmitz. A titre d’exemple, au sein du groupe Airbus, j’ai rencontré la personne qui dirigeait un centre de services fournissant des solutions d’IA aux différentes fonctions du groupe. Un défi particulier émergeait : convaincre la direction financière de l’utilité de l’IA. Alors que d’autres fonctions sollicitaient activement des services d’IA pour répondre à divers besoins, estimant que l’IA pouvait leur offrir des solutions innovantes, la direction financière était significativement en retrait par rapport aux autres fonctions du groupe, moins encline à adopter cette technologie. »

Une sensibilisation nécessaire de tous les collaborateurs

En France, lorsqu’il s’agit d’IA, l’un des écueils consiste à ne s’adresser qu’au top management. Si le comité de direction et les directeurs financiers ont accès à des sessions d’information et d’acculturation, le gros des équipes, en revanche, est souvent tenu à l’écart. « Les personnes dont le cœur de métier consiste à manipuler de la donnée pourront difficilement passer à côté de l’IA, relève explique Axel Cypel. A mon sens, il est impératif de sensibiliser l’ensemble des équipes en présentant la technologie, en expliquant son origine et en donnant à voir ce qu’elle permet. Ce préalable est indispensable, car il permettra de démystifier la technologie et d’éviter toutes sortes de projections fausses sur les capacités humaines de l’outil. Si tous les collaborateurs doivent être sensibilisés, le cap est donné par les plus hautes fonctions. » Ainsi, « dès que la direction financière a la data dans son portefeuille de mission, l’IA suit immédiatement », abonde Cédric Schmitz.

Au-delà du sujet purement technique, la formation à l’IA au sein des directions financières pourrait rapidement devenir un sujet de rétention et de fidélisation des talents. Selon le baromètre Deloitte des tendances RH 2022, 90 % des employés seraient prêts à rester plus longtemps dans une entreprise si celle-ci les aidait à se développer et à acquérir de nouvelles compétences.

Les banques dans les starting-blocks

Dans le secteur financier, il faut distinguer les banques des directions financières. Les établissements bancaires, pour leur part, semblent avoir pris la mesure de l’IA et font preuve d’une appétence forte pour les sessions d’acculturation à destination de toutes les équipes. Des acteurs tels que BNP Paribas et Société Générale estiment déjà à 500 millions d’euros par an dès 2025, le montant de la création de valeur permise par l’IA (via des économies de coûts, mais également via la création de nouveaux produits et services). Pour ne pas passer à côté de la manne potentielle de l’IA, les banques se préparent activement. A titre d’exemple, une banque telle que BNP Paribas planche actuellement sur un millier de cas d’usage qui devraient entrer en production dès 2025. Pour ce faire, le groupe s’est structuré en interne avec 50 chief data officers et 3 000 experts data, dont 700 sont exclusivement consacrés à l’IA.

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