Métier

Le directeur fiscalité monte en puissance dans les directions financières

Publié le 23 avril 2025 à 8h00

DELPOZO, Anne    Temps de lecture 9 minutes

Fortement dépendantes des évolutions législatives en matière fiscale, les missions des directeurs de la fiscalité en entreprise sont en constante évolution. Une situation qui contribue à l’attractivité d’un métier de plus en plus financiarisé : les responsables de la fiscalité, souvent rattachés, auparavant, aux directions juridiques, sont désormais liés aux directions financières, auprès desquelles ils doivent justifier l’impact de leurs décisions sur les sorties de cash.

Plus que jamais, les responsables fiscaux en entreprises sont sous les feux de la rampe. Une mise en lumière portée par l’actualité du moment et en particulier par la politique douanière de l’administration Trump ou encore par la mise en place prochaine du volet « e-reporting » de la réforme sur la facturation électronique. « L’attractivité de notre métier repose d’ailleurs notamment sur la diversité des missions qui peuvent nous être proposées mais aussi par son évolution permanente, au gré notamment des réglementations ou des lois de finance », souligne Allison Souanef, directrice fiscalité chez Vestiaire Collective et adhérente de l’A3F.

Face à une fiscalité qui en France évolue en permanence, le directeur fiscal intervient comme gardien du temple des règles de gestion fiscale. Il lui revient également de recommander les meilleures options qui s’offrent à l’entreprise pour optimiser sa fiscalité en fonction de sa situation financière et de ses besoins, sans pour autant commettre de manquement par rapport à la législation, ce qui pourrait occasionner un redressement fiscal. « Notre rôle principal consiste notamment à déterminer la juste charge d’impôt de notre organisation et à veiller aux bonnes connaissances des règles fiscales, explique Marie Egloff, directrice fiscale groupe de Worldline et adhérente de l’A3F. Par exemple chez Worldline, j’ai notamment pour mission de sensibiliser les équipes R&D sur les dispositifs fiscaux comme le crédit impôt recherche. Il nous revient également de gérer les contrôles fiscaux. » Ainsi en cas de contrôle fiscal, le directeur fiscal doit être en mesure de justifier chaque choix effectué au nom de l’entreprise et d’en défendre les intérêts.

Le directeur fiscal joue également un rôle de conseiller lors de chaque projet ou décision majeure impliquant d’importants mouvements financiers, qu’il s’agisse de dépenses ou de gains. « Une mission que les responsables fiscaux ne peuvent remplir qu’en s’impliquant fortement auprès des opérationnels, ajoute Marie Egloff. De plus en plus, nous intervenons en support auprès d’eux dans le cadre de leurs projets de fusions, acquisitions, investissements, implantations à l’étranger, etc. » La gestion de fiscalité de projets est ainsi une mission à laquelle Allison Souanef s’est longtemps attelée lorsqu’elle était chez Alstom. « A ce titre, mon rôle consistait à structurer, d’un point de vue TVA et IS, les projets de l’entreprise, précise Allison Souanef. Comme dans les grands groupes nous avons beaucoup d’éléments financiers à faire apparaître pour les investisseurs, tels que le taux effectif d’imposition (dont font partie les crédits d’impôts), notre rôle consiste aussi à réaliser des reportings. »

Un métier aux multiples facettes

Les missions du directeur fiscalité varient par ailleurs en fonction de la structure et de l’activité de l’entreprise. « Chez Vestiaire Collective, je suis arrivée pour une création de poste, donc tout était à faire, poursuit Allison Souanef. L’enjeu était d’autant plus intéressant que la société, spécialisée dans la vente de seconde main sur Internet, évolue sur un secteur nouveau avec une législation mouvante. J’ai notamment dû refondre totalement la structure prix de transfert du groupe mais aussi mener un projet de mise en place d’une API (application programming interface) dédiée à la TVA, de bout en bout. A cet effet nous avons travaillé en étroite collaboration avec l’équipe technique à la mise en place de cet outil de calcul, pour chaque transaction effectuée sur la plateforme. Un projet qui s’est déroulé sur quatre mois et qui a notamment nécessité que je comprenne le fonctionnement du langage de programmation SQL. » Auparavant responsable fiscale chez EDF, ses missions s’articulaient surtout autour de la gestion de la TVA. « Certaines business units comme celles des outre-mer ou certains projets comme ceux liés au nucléaire ont des régimes fiscaux et de TVA spécifiques, ajoute Allison Souanef. Il nous revenait, avec mon équipe, de veiller à leur bonne gestion. »

Au-delà de ces missions, les méthodes de travail peuvent également varier en fonction du profil de l’entreprise. « Par exemple, les licornes de la French tech comme Vestiaire Collective sont reconnues et écoutées, poursuit Allison Souanef. Lorsque nous pensons que certains points de législation peuvent être améliorés, nous avons ainsi des relais au niveau du gouvernement pour que nos initiatives soient écoutées. Nos démarches chez EDF étaient examinées différemment. La société étant un fleuron industriel français avec une forte participation étatique, toutes nos initiatives étaient forcément plus scrutées. » Dans les entreprises du secteur privé, les obligations des fiscalistes sont également très encadrées. « Par exemple, en qualité d’entreprise cotée, nous avons un audit externe tous les semestres et nous devons décrire notre système de gouvernance fiscale et expliquer comment nous luttons contre l’évasion fiscale dans notre documentation de référence », précise à ce sujet Marie Egloff.

«Notre rôle principal consiste à déterminer la juste charge d’impôt de notre organisation et à veiller aux bonnes connaissances des règles fiscales.»

Marie Egloff directrice fiscale groupe ,  Worldline

Une profession qui se financiarise

Pour remplir ces différentes missions, les directeurs de la fiscalité tendent à changer de posture dans les organisations et à se rapprocher des équipes financières. « Auparavant, les fiscalistes pouvaient être rattachés au département juridique de l’entreprise, alors que nous assistons maintenant à une financiarisation de nos missions, constate Marie Egloff. Il nous revient aujourd’hui de justifier auprès de la direction financière l’impact d’une prise de décision en termes de tax cash et de taux effectifs d’imposition. D’autre part, depuis la mise en place de Pilier 2, le fiscaliste doit désormais s’adapter à la notion d’impôt différé. »

De plus en plus, la production fiscale est désormais gérée en collaboration avec les départements consolidation et comptabilité. « Un rapprochement avec les équipes comptables qui va d’ailleurs se renforcer avec la mise en place de la réforme sur la facturation électronique et en particulier avec son volet e-reporting, précise à ce sujet Jill Alix Martineau, directrice des affaires fiscales du groupe SNCF. En effet, avec cette réforme, le reporting des données comptables et fiscales vers l’administration se fera automatiquement. Il va donc nous falloir travailler sur nos processus de contrôle de TVA en amont de cette transmission à l’administration fiscale et vérifier ensuite que ce qui a été transmis correspond bien à ce que nous aurions déclaré. Cette réforme implique des travaux de cadrage importants qui sont actuellement l’une de nos priorités. » La digitalisation de la profession a également contribué à la mutation du métier de fiscaliste. « La profession connaît en la matière une véritable révolution culturelle, ajoute Jill Alix Martineau. Aujourd’hui, il ne nous suffit plus de juste comprendre les ERP, nous devons également maîtriser les outils qui permettent de comprendre, analyser et reporter les données. »

«De plus en plus, nous intervenons en support auprès des opérationnals dans le cadre de leurs projets de fusions, acquisitions, investissements, implantations à l’étranger...»

Des profils aux compétences IT et financières

Face à la financiarisation et à la digitalisation de la profession, les compétences des directeurs de la fiscalité mais également de leur équipe évoluent. « Par exemple, pour faire face à la mise en place de la facturation électronique et le besoin de contemporanéité des informations demandées par les administrations fiscales, nous recrutons actuellement un tax opérationnel capable d’aller chercher de la data dans les systèmes d’information, précise Marie Egloff. Nous comptons également dans notre équipe de fiscaliste des profils économistes ou contrôleurs de gestion pour travailler notamment sur les prix de transfert. » Plus globalement, les fiscalistes avec un vernis IT et une appétence marquée pour les chiffres sont de plus en plus plébiscités par les recruteurs. « Des compétences qui s’ajoutent à un socle technique de base sur les questions de TVA, prix de transfert, douane, intégration fiscale ou encore impôts locaux », précise Jill Alix Martineau. Souvent, les fiscalistes ont à cet effet une formation de juriste, d’avocat, ou un master en droit des affaires et fiscalité. Certains sont également passés par des écoles de commerce. « Ces compétences techniques ne font cependant pas tout, ajoute Jill Alix Martineau. Le responsable fiscalité doit également avoir une vision transverse de l’entreprise pour être en capacité de faire des arbitrages sur des prises de décisions stratégiques, ou d’appréhender sous toutes leurs dimensions des dossiers fiscaux complexes. Il doit aussi savoir communiquer tant en interne auprès des opérationnels qu’en externe, auprès des vérificateurs ou de ses autres interlocuteurs, notamment au sein de l’administration fiscale. » Si les compétences attendues pour occuper le poste de directeur fiscal sont de plus en plus étendues, elles ouvrent néanmoins la voie à des perspectives d’évolutions hors du seul champ de la fiscalité, pour par exemple prendre des fonctions de direction financière ou de direction générale.

Quel salaire pour un directeur fiscal ?

  • Débutant dans la fonction, en cours de développement de certaines compétences clés : 100 000 €
  • Expérience intermédiaire, possède la plupart des compétences clés : 120 000 €
  • Expérience reconnue, possède toutes les compétences clés : 150 000 €

Source : Robert Half

L'info financière en continu

Voir plus

Dans la même rubrique

L’alternance dans la finance, un modèle gagnant ébranlé

La réduction du financement public des formations aura un impact pour les entreprises qui ont...

Directive sur la transparence des rémunérations : quel rôle pour la direction financière ?

La directive européenne sur la transparence des rémunérations doit être transposée en droit français...

Directions financières : les femmes toujours largement sous-représentées

La féminisation des comités de direction des entreprises du SBF 120 progresse. Cependant, les...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…