Les directions financières dans la crise

Le domaine de Chantilly recherche des soutiens

Publié le 5 mars 2021 à 15h55    Mis à jour le 5 mars 2021 à 18h20

Propos recueillis par Valérie Nau

Grâce au soutien pendant quinze ans du prince Aga Khan, le domaine de Chantilly s’est progressivement organisé pour être capable de se gérer de manière autonome. Le retrait de son principal donateur en 2019, puis la crise sanitaire ont toutefois fragilisé son équilibre. D’autant que le statut particulier de la fondation qui le gère l’empêche actuellement de bénéficier des aides d’urgence mises en place par l’Etat. Pour se financer, ses dirigeants ont eu l’idée en décembre de faire appel aux dons des particuliers. Si ceux-ci ont répondu présents, les sommes récoltées n’ont pu combler le manque à gagner. Pour Feriel Fodil , administratrice générale adjointe, en charge des finances du domaine, un coup de pouce de l’Etat reste indispensable pour éviter la crise de trésorerie et tenir jusqu’à la réouverture du château.

 

Comme beaucoup de châteaux et musées, le domaine de Chantilly connaît, en raison de la crise sanitaire, d’importantes difficultés financières, au point que vous avez dû faire appel aux dons de particuliers. Comment expliquez-vous cette situation ?

Depuis une dizaine d’années, le domaine de Chantilly s’est beaucoup transformé pour devenir une belle PME. Il comprend d’une part le château qui contient notamment la deuxième collection de peintures anciennes en France après le Louvre, un parc de 115 hectares dont une partie a été dessinée par André Le Nôtre, des Grandes Ecuries du XVIIIe siècle, et d’autre part un parc forestier de 6 300 hectares. Historiquement, Chantilly est un domaine privé qui a été légué par le duc d’Aumale, un des fils du roi Louis- Philippe, à l’Institut de France.

Jusqu’en 2005, l’Institut de France le gérait en direct. Mais ce patrimoine exceptionnel nécessitait beaucoup d’investissements et était en mauvais état. L’Institut de France a donc décidé de déléguer sa gestion pendant 20 ans à une fondation de droit privé spécialement créée pour l’occasion en 2005 par le prince Aga Khan. En 15 ans, cette fondation a ainsi investi plus de 70 millions d’euros pour financer une grande partie des besoins de fonctionnement et d’investissement du domaine. C’est le plus important partenariat public/privé réalisé en France dans le secteur muséal à ce jour. Cependant, en 2019, l’Aga Khan a décidé, pour des raisons personnelles, de mettre fin à sa fondation. Il nous a fallu nous adapter à cette nouvelle donne, mais la crise de la Covid-19 est survenue aussitôt après.


Comment le domaine se finançait-il jusqu’alors ?

C’etait un modèle unique en France, inspiré des trusts culturels qui financent les musées américains. Le but de l’Aga Khan était que le domaine se structure petit à petit comme une entreprise afin d’être capable de se développer de manière autonome. A terme, il fallait que ses recettes puissent couvrir ses dépenses. Nous avons donc mis en place progressivement une organisation qui nous a permis d’augmenter les premières tout en baissant les secondes.

Avant la crise, les recettes provenaient à 75 % de la billetterie, à 15 % de la privatisation du site pour des évènements, le solde étant assuré essentiellement par les ventes de la boutique, auxquelles s’ajoutaient un peu de mécénat, des concessions de restauration sur le site, des locations de stands lors d’évènements, comme la Journée des plantes. Ces recettes sont censées couvrir deux types de dépenses. En premier lieu, la masse salariale : 130 salariés, répartis en 33 corps de métier différents, travaillent sur le site. Le second poste concerne les besoins de fonctionnement du domaine (coûts énergétiques, coûts de fonctionnement, nourriture pour chevaux, etc.). Pendant longtemps, les recettes étant inférieures aux dépenses, l’Aga Khan comblait la différence. Mais fin 2019, nous avions pour la première fois atteint l’équilibre.


Un tel domaine nécessite aussi des investissements de fond. Comment sont-ils financés ?

Nous investissons chaque année entre 3 et 4 millions d’euros pour la restauration du château et les investissements plus courants (achats d’ordinateurs, de chevaux, de produits pour la restauration d’œuvres, réfection de la boutique…). Nous recevons, au titre des Monuments Historiques, 800 000 euros par an environ du ministère de la Culture, 250 000 euros de la part du département et 250 000 euros de la Région. La Fondation de l’Aga Khan finançait pour sa part (en plus des dépenses classiques de fonctionnement) les investissements de maintenance. Depuis le 1er juillet dernier, nous percevons également les recettes provenant du périmètre du domaine rural forestier qui nous est annexé (ventes de bois, baux commerciaux, etc.).


En quoi le retrait de l’Aga Khan a-t-il modifié cet équilibre ?

Le domaine a perdu le statut de fondation privée. Il est redevenu le 1er juillet 2020 une fondation de droit public, abritée par l’Institut de France (qui bénéficie lui-même d’un statut juridique à part). Cette fondation n’est pas pour autant un établissement public tel que défini par le ministère de la Culture. Elle ne correspond de ce fait à aucun statut, privé ou public !

Par conséquent, elle ne peut plus prétendre aux aides de l’Etat au secteur privé, comme le chômage partiel, dont le domaine avait bénéficié lors du premier confinement. Elle n’est pas non plus éligible aux aides publiques dans le cadre du plan de relance du ministère de la Culture.


Comment la direction de Chantilly a-t-elle été amenée à monter une plateforme pour faire appel aux dons des particuliers ?

La crise sanitaire a entraîné la fermeture du château pendant cinq mois, ce qui nous a privés de nos principales ressources. Avec le deuxième confinement, nous n’avons pas pu nous rattraper à Noël, période durant laquelle nous réalisons en moyenne 500 000 euros de chiffre d’affaires, sur un total de 6 millions d’euros annuel. Or, nos besoins d’investissement restent importants alors même que les opérations de mécénat sont stoppées. L’appel aux dons a reçu un vrai soutien populaire, notamment des habitants de la région, puisque nous avons récolté 120 000 euros. C’est beaucoup en soi, mais malheureusement insuffisant au regard de notre retard de chiffre d’affaires. Notre campagne a néanmoins permis d’alerter les autorités du ministère de la culture sur notre cas pour essayer de trouver avec elles une solution.


Ne pouvez-vous pas faire appel à l’Institut de France, voire à des prêts bancaires ?

L’Institut de France est propriétaire d’autres grandes institutions, elles-mêmes gérées par des fondations, mais leurs recettes ne sont pas fongibles entre elles. De plus, l’Institut n’a pas droit à des prêts bancaires. Ce serait donc très compliqué pour nous d’en solliciter.


Qu’espérez-vous de l’Etat ? 

Compte tenu de notre statut particulier, nous souhaitons simplement obtenir une dérogation de manière à être éligible au plan de relance du ministère de la Culture. En 2020, le domaine de Chantilly a perdu 6 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le chiffre d’affaires de la billetterie a, à lui seul, chuté de 50 % ! Au rythme actuel, nous serons à court de trésorerie en avril. Selon nos calculs, nous aurons perdu 700 000 euros de plus au premier trimestre 2021 si nous rouvrons en avril, 1,2 million si la réouverture a lieu au 1er mai, 2 millions au 1er juin. 

En étant éligibles au plan de relance, nous pourrions recevoir des subventions de fonctionnement qui nous permettraient de combler le déficit de 2020 et celui lié à la fermeture actuelle. A titre d’exemples, le château de Villers-Cotterêts va recevoir 100 millions d’euros d’aides, Versailles 35 millions, l’Opéra de Paris 80 millions… Nous demandons beaucoup moins. Notre demande est beaucoup plus modeste.

Un coup de pouce de l’Etat nous permettrait de tenir jusqu’à la réouverture, et de remettre la machine en route, notamment en ce qui concerne la recherche de mécènes. On l’a vu après le premier confinement : nous avons été parmi les premiers grands monuments à rouvrir et nous avons résisté mieux que certains car nous sommes moins dépendants des visiteurs étrangers (25 % de la clientèle totale). Nous sommes assez agiles pour rebondir dès que les visiteurs pourront reprendre le chemin du château.

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