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Les directeurs financiers de l’aéronautique et de la défense

Publié le 27 mai 2013 à 11h14    Mis à jour le 25 juin 2014 à 10h46

Morgane Remy

Si les industriels de l’aéronautique et de la défense se portent bien et bénéficient d’une forte croissance, le secteur reste très concurrentiel. Très impliqués dans l’élaboration de prix attractifs, les directeurs financiers doivent aussi veiller à préserver les marges afin de donner à leurs entreprises les moyens d’innover et de rester compétitives dans les années à venir !

Dans une conjoncture économique de plus en plus morose, le secteur de l’aéronautique et de la défense dénote fortement. Le chiffre d’affaires de l’ensemble des industries françaises qui composent ce secteur a progressé de 16 % en 2012, pour s’établir à 42,5 milliards d’euros. En parallèle, la valeur des contrats signés en France que les entreprises doivent honorer dans les années à venir (49,7 milliards d’euros) est plus importante que ce chiffre d’affaires, ce qui signifie que ce dynamisme va se poursuivre. Ainsi, contrairement à la majorité de leurs confrères, les directeurs financiers de ces industries doivent avant tout gérer des problématiques d’accompagnement d’une forte croissance, et de développement à l’international.«Après des années difficiles entre 2001 et 2004, l’industrie aéronautique a redémarré en 2005 avant de replonger en 2009, témoigne Jean-François Micheletti, directeur administratif et financier groupe du fournisseur Lisi Aerospace. Depuis 2011, la croissance s’accélère et nous enregistrons pour notre part une croissance annuelle de plus de 20 %.»

Les futurs programmes essentiellement financés par la trésorerie

Dans ce contexte, la mission première de la direction financière est donc de s’assurer que l’entreprise dispose des ressources nécessaires à son développement. La durée des programmes, qui peuvent s’étaler sur dix à trente ans, rend peu adaptées les solutions de financement classique que sont le crédit bancaire ou les émissions obligataires. Il faut donc trouver d’autres moyens pour assumer les frais de lancement d’un nouveau produit, notamment la recherche et développement, qui est de loin la partie la plus coûteuse. Ainsi, pour les financer, les entreprises se tournent… vers le client ! C’est notamment le cas dans la défense où, dès les premières étapes du programme jusqu’à la livraison du produit fini, les Etats règlent plusieurs échéances, négociées en amont, qui permettent de financer chaque étape du programme. Dans l’aéronautique, des clients grands comptes peuvent également aider leurs fournisseurs lorsqu’ils leur demandent de produire des pièces qui sont adaptées à un seul type d’appareil.

Par exemple, chez Lisi Aerospace, quand des investissements spécifiques, outillages ou machines spéciales, sont nécessaires pour lancer la production de pièces nouvelles, leur paiement fait l’objet d’une négociation avec le client. Mais la principale ressource sur laquelle comptent les industriels du secteur reste, très largement, leur propre trésorerie. Par exemple, chez Aerolia, la commercialisation d’avions de fuselages issus d’anciens programmes est la source principale de cash, ensuite utilisé pour le développement des futurs appareils des nouveaux programmes. «Nous finançons essentiellement les futurs programmes grâce à la vente de nos produits actuels, explique Thierry Antras, directeur financier du groupe Aerolia SAS, spécialisé dans la conception et la production de fuselages d’avions équipés de systèmes. Nous avons revu notre organisation pour avoir une plus grande visibilité sur les rentrées de cash et le besoin de financement de la recherche et développement.» Une logique partagée par tous les acteurs du secteur : les programmes matures doivent générer assez de trésorerie afin de subvenir aux dépenses de développement des prochains produits.

Une stratégie qui demande de préserver la marge d’un programme, et ce depuis son lancement ! La mission de la direction financière commence donc dès les négociations précédant la vente, car c’est à ce moment-là que le prix, mais aussi les critères de qualité et de délais de livraison sont définis. Chez le producteur de missiles MBDA, par exemple, un comité financier doit valider chaque offre avant qu’elle ne soit remise. «Un contrat mal négocié prenant pour base une proposition commerciale insuffisamment analysée et préparée peut nous coûter très cher, et ce d’autant plus qu’il se déroule sur une longue période, précise Frank Le Rebeller, directeur du contrôle financier, de la comptabilité et du risk management de MBDA. Nous avons donc mis en place des équipes spécialisées, composées de financiers expérimentés et de professionnels ayant eu des responsabilités de chefs de projets, qui interviennent dès l’élaboration de nos offres afin d’en mesurer précisément les conséquences financières, d’analyser les risques et les opportunités afin d’optimiser financièrement nos offres, les rendant à la fois compétitives et rentables à terme.»

Dans l’ensemble des entreprises du secteur, des contrôleurs de gestion spécifiques réalisent ainsi des modélisations des coûts d’études et d’industrialisation, du chiffre d’affaires, des coûts de production, des investissements et des cash-flows prévisionnels. «Ces scénarios servent ensuite de base aux équipes chargées des négociations de contrat, afin qu’elles puissent proposer aux grands donneurs d’ordres l’offre la plus compétitive possible tout en préservant notre marge opérationnelle, permettant d’investir et d’assurer le développement de la société et sa pérennité», explique Jean-François Micheletti. L’équilibre est difficile à trouver car les commerciaux cherchent à proposer le programme le plus attractif possible afin de remporter l’appel d’offres dans un milieu très concurrentiel, et la fonction finance souhaite générer du cash afin d’assurer la pérennité de l’entreprise. Une fois le contrat signé, il faut ensuite veiller à ce que le projet respecte à la fois les prévisions de dépenses et l’échéancier, un dépassement du calendrier pouvant se révéler également très coûteux. Pour répondre à cet enjeu, la direction financière de Lisi Aerospace procède à un ajustement permanent de la comptabilité analytique afin qu’elle suive les évolutions des programmes.

Mais surtout, le rôle des contrôleurs de gestion est central, car ce sont eux qui peuvent alerter la direction financière en cas de dépassement. «Même si ces derniers sont toujours intégrés à des équipes techniques opérationnelles, ils sont rattachés à la direction financière afin de garder toute leur indépendance par rapport au responsable de programme aux responsables opérationnels, précise Thierry Antras. Ils sont ainsi les garants de la transparence et de la rentabilité de chaque projet et, par extension, celle du groupe !» Dans le secteur de la défense, les directions financières doivent également gérer une autre problématique : les marges à terminaison. Elles doivent s’assurer à chaque échéance que les délais sont respectés, que les dépenses engagées sont bien conformes aux prévisions et que le montant des versements du client permette de les couvrir. Pour approcher au plus près cet objectif, MBDA mène deux fois par an une revue d’ensemble des projets. Celle-ci permet notamment de corriger le tir si les dépenses – surveillées par ailleurs en continu par un contrôleur de gestion responsable de l’aspect financier du programme – dérapent par rapport aux prévisions réalisées en amont de l’offre.

Un fort développement à l’international

Grâce à l’ensemble de ces contrôles, les directeurs financiers s’assurent que les programmes génèrent du cash, permettant d’investir pour proposer des produits de plus en plus performants. En effet, le marché de l’aéronautique et de la défense n’ayant que peu de clients, les entreprises rivalisent en innovations technologiques pour se différencier. Ces efforts permettent notamment de chercher de nouveaux débouchés, en termes de clientèle comme de zone géographique. Le besoin de développement à l’international est particulièrement fort dans le secteur de la défense, alors que les Etats matures réduisent leurs budgets militaires. «Nous assistons à un double mouvement de baisse significative des dépenses dans le domaine de la défense des Etats matures et de croissance de la demande dans les pays émergents, comme l’Inde ou les pays du Moyen-Orient, témoigne Pascal Bouchiat, directeur général finances et système d’information de Thales. Nous nous orientons donc de plus en plus vers ces derniers.» Mais c’est également vrai pour l’aéronautique. Lisi Aerospace, dont Airbus est le principal partenaire, a ainsi choisi de s’implanter outre-Atlantique.

«Nous souhaitions travailler également avec Boeing et nous positionner sur le marché nord-américain, précise Jean-François Micheletti. Nous avons donc acheté une première usine aux Etats-Unis en 1996, puis deux autres au début des années 2000, dans une optique de diversification de notre clientèle.» Si, dans ce cas, l’entreprise est ainsi partie seule à l’export, la démarche la plus commune implique l’ensemble d’une filière : lesdonneurs d’ordres font bénéficier leurs fournisseurs de contrats à l’étranger. En effet, ils ont fortement besoin de leurs partenaires habituels, dont ils connaissent les qualités et dont certaines technologies ont même été développées spécifiquement pour eux. «Nous sous-traitons 70 % de notre activité, précise Thierry Antras. Entretenir des liens avec nos fournisseurs est donc également un facteur de pérennité et de compétitivité. Par exemple, lorsque nous nous sommes développés en Tunisie, nous avons construit le projet de parc aéronautique en étroite collaboration avec nos partenaires.»

Grâce à l’aide de leur client, Lisi Aerospace s’est ainsi rendu en Pologne, a créé son usine, puis a développé son réseau sur place. Le groupe Akka Technologies a également profité des exportations de ses clients.«Accompagner nos clients nous a permis de nous positioner sur les marchés qui se développent actuellement, confirme Nicolas Valtille, directeur général finance d’Akka Technologies. Ainsi, alors que le chiffre d’affaires du groupe était réalisé à 85 % en France en 2010, cette part n’est plus que de 50 %.»

Une gestion des risques de plus en plus poussée

Si cette stratégie est porteuse de croissance pour les entreprises européennes, elle demande un investissement des directions financières sans commune mesure avec le passé. Le premier enjeu qui émerge est aussi le plus classique : le risque lié à la commercialisation en dollars ou en monnaies locales.«L’évolution des devises représente désormais un risque que nous devons également encadrer, explique Jean-François Micheletti. Pour cela, nous utilisons des outils comme des contrats à terme et aussi des accumulateurs. Mais la principale difficulté est de réussir à se couvrir sur la dizaine d’années que dure un contrat.» Toutefois, si cette problématique de devises a pris de l’ampleur, la véritable nouveauté tient à une demande spécifique des clients des pays émergents. Ces derniers savent qu’ils représentent le débouché le plus important pour la plupart des industriels des pays développés dans les années à venir, et cherchent à profiter de ce rapport de force en leur faveur. Cette tendance leur permet désormais non seulement d’être exigeants en termes de qualité mais aussi d’obtenir la transmission d’un certain savoir-faire.

«De plus en plus souvent, nos clients souhaitent que nous participions au développement industriel local en réalisant dans le pays concerné une part croissante de la valeur ajoutée des produits et services que nous développons pour eux», précise Pascal Bouchiat. Cette pratique, favorisée par la concurrence entre les entreprises européennes et américaines dans les pays émergents, qui les poussent à faire des concessions sur le sujet, se développe fortement. Ainsi, les contrats de défense comme en aéronautique à destination de ces marchés impliquent de plus en plus une clause de «transfert de technologie» prévoyant qu’une partie du produit soit réalisée dans le pays client grâce au savoir-faire du fournisseur européen. «Pour exporter en Inde par exemple et pour satisfaire à nos obligations contractuelles, nous devons établir des partenariats avec des sociétés locales afin que 30 % du programme soit réalisé sur place», précise Frank Le Rebeller.

Thales doit faire face à la même problématique. L’entreprise opte donc également pour des partenariats sous forme de joint-venture, de consortium ou de contrat de service, prenant en charge localement une partie de la réalisation du projet. Par exemple, pour entrer sur le marché aéronautique chinois, Thales a créé une joint-venture dans le pays. De cette manière, l’entreprise peut commercialiser son système «in-fligth entertainment». «Si ces transferts de technologies deviennent de plus en plus importants pour remporter un contrat, il s’agit toutefois d’un sujet sensible qui doit faire l’objet d’une grande attention au cas par cas», nuance immédiatement Pascal Bouchiat. En effet, transférer une partie de ses technologies constitue un risque pour l’entreprise européenne qui utilise cette stratégie pour se développer sur ce marché. Le contrôle commence, comme pour le lancement d’un produit, très en amont, au moment de la négociation contractuelle et de la création de l’entité juridique de l’entreprise qui travaillera localement.

«Le travail de partenariat mobilise beaucoup la direction financière, à la fois sur le plan juridique mais également pour la recherche de financements propres à la nouvelle structure, poursuit Pascal Bouchiat. Nous aidons nos clients dans les pays émergents à monter les financements nécessaires à la réussite de leur projet.» Dans ce cadre, le groupe collabore avec de grandes banques internationales mais aussi des institutions comme la Banque mondiale. Outre les questions ponctuelles du choix de la structure juridique et de son financement, Thales a également créé un nouveau processus de gestion des risques. «Pour nos activités aéronautiques, comme pour celles relatives à la défense et à la sécurité, nous avons mis en place une politique de gestion des risques adaptée», explique Pascal Bouchiat. Cette politique s’appuie sur l’évaluation de la maturité de chacune de nos entités sur 17 risques concernant nos métiers, dont bien sûr des risques financiers comme le risque de devise, le risque politique ou le risque de défaillance d’un client. «Chaque direction travaille sur ces problématiques mais c’est l’audit interne qui anime cette nouvelle procédure», précise Pascal Bouchiat. Ainsi, si ces marchés offrent la possibilité d’un décollage rapide, les directions financières travaillent à éviter les possibles trous d’air !

Des problématiques de ressources humaines pour les directions financières

Sous l’effet d’une forte croissance, les entreprises du secteur évoluent très vite, tant en termes d’effectifs que de localisation, ce qui a également des impacts en termes d’animation et de gestion des équipes de la direction financière.

. Par exemple, alors qu’Akka Technologies a doublé son chiffre d’affaires en deux ans, passant d’un peu plus de 400 millions d’euros en 2010 à 827 millions d’euros fin 2012, la direction des ressources humaines accompagne mieux la direction financière. «Pour assurer un suivi des financiers à fort potentiel dans un contexte où le groupe grandit très vite, nous avons mis en place une revue semestrielle des talents», explique Nicolas Valtille, directeur général finance du groupe. De plus, un poste a été créé à la direction des ressources humaines afin de suivre spécifiquement les fonctions support, notamment à l’international.

. En effet, le développement du secteur dans les pays émergents est un enjeu majeur et nécessite souvent une animation de la direction financière plus poussée, comme chez MBDA, où les principaux responsables financiers se réunissent tous les deux mois afin de partager les meilleures pratiques financières pour en dégager des processus financiers qui s’appliquent à travers l’ensemble du groupe.

. Même les plus grands groupes sont concernés par cette problématique de ressources humaines liée au changement de périmètre du groupe. Par exemple, Thales doit faire face à un véritable enjeu de recrutement de cadres financiers dans les pays émergents. «Concernant la fonction finance, nous expatrions souvent sur place un responsable financier européen, explique Pascal Bouchiat, directeur général, finances et système d’information. Mais cette solution ne peut être que provisoire. Attirer et développer des talents locaux fait partie de mes priorités.» En effet, les marchés émergents étant amenés à représenter une plus grande part du chiffre d’affaires (25 % actuellement), le groupe va également renforcer sa présence dans ces pays et trouver des financiers capables d’accompagner ce développement !

Les chiffres clés de l’industrie aéronautique, spatiale, de défense et sécurité française

. Le chiffre d’affaires total en 2012 pour le secteur atteint 42,5 milliards d’euros, en progression de 16 %. Il provient à hauteur de 31,4 milliards d’euros de l’activité civile et de 11,1 milliards d’euros de l’activité militaire.

. L’international prend de l’importance avec un chiffre d’affaires de 26,9 milliards d’euros réalisé à l’export soit, à périmètre constant, une croissance de 20 % en 2012.

. Au sein du secteur, les équipementiers et PME de la chaîne des fournisseurs français représentent un chiffre d’affaires de 12,7 milliards d’euros, elle aussi en croissance de 16 %.

. Les commandes enregistrées en 2012 et livrables les années suivantes atteignent 49,7 milliards d’euros.

. Le secteur a également procédé à 15 000 recrutements, dont 8 000 créations nettes d’emplois en France. Il représente également 170 000 emplois directs et 310 000 emplois indirects.

Réduire les coûts pour gagner en compétitivité prix

Outre les efforts pour innover, des problématiques de réduction de coûts mobilisent les directions financières afin d’offrir également des tarifs attractifs. La compétitivité se joue également sur les prix dans les marchés émergents et des optimisations de coûts ont dû être trouvées afin de proposer des prix attractifs.

. «Nous avons mis en place un programme de réduction des frais généraux il y a quatre ans, témoigne Frank Le Rebeller. Cette politique a abouti à une baisse de 15 % au total de ces dépenses. Après ce succès, nous pensons renouveler cette démarche de façon plus approfondie.»

. Un autre levier de réduction de coût est activé : celui de la coopération entre plusieurs Etats clients. MBDA a réussi à monter un programme de collaboration entre la France et le Royaume-Uni, mutualisant ainsi les frais de recherche et développement et ouvrant la voie à une rationalisation industrielle.

. Enfin, pour certains clients, notamment des pays émergents avec des budgets de défense plus limités, MBDA réutilise ainsi de plus en plus d’équipements déjà développés, comme les autodirecteurs – ce qui guide le missile vers sa cible – afin de réduire les dépenses de développement les plus importantes.

. Thales a également entamé la même démarche pour ses systèmes de communication. «Certains pays émergents recherchent des produits moins sophistiqués et plus compétitif en terme de coût.» explique Pascal Bouchiat, directeur général, finances et système d’information de Thales. Cela conduit Thales à proposer des produits qui répondent à ces attentes.

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