Gestion des carrières

Les seniors, parents pauvres de la banque

Publié le 25 mars 2025 à 8h00

Sylvie Guyony    Temps de lecture 7 minutes

La dernière réforme des retraites avait attiré l’attention sur la position des seniors dans la banque. Pour autant, leur prise en compte, et la mise en place d’indispensables plans de formations adaptés, sont loin d’être acquises.

Y aura-t-il une nouvelle réforme des retraites ? Celle de 2023 a eu le mérite de mobiliser les directions des ressources humaines (DRH) sur les seniors dans leurs organisations. « Une récente étude de l’APEC nous apprend que 57 % des 55-64 ans sont actifs en France. Mais la séniorité est davantage associée à la fin de carrière qu’à l’expertise, constate Marilyne Le Bihan, senior manager people and change chez Finegan. Les banques en particulier sont écartelées entre le besoin de capter des jeunes et celui de dire aux seniors qu’ils ne sont pas finis. » Le secteur financier attire en effet de moins en moins les juniors, tandis que « la problématique de la pyramide des âges se pose toujours, surtout dans l’assurance où la moyenne est supérieure à 40 ans », souligne David Guillocheau, directeur général de ZestMeUp, une application dédiée à l’engagement collaborateur. Or, les cadres, qui partent à la retraite plus tard que les autres salariés, y sont nombreux et « les carrières longues sont fréquentes : il s’agit de cadres embauchés après leurs études qui restent dans la même entreprise jusqu’à leur départ à la retraite », explique Marilyne Le Bihan.

De ce fait, « la plupart des entreprises de la branche ont initié des travaux d’état des lieux » en 2023, indique l’étude sur les seniors de l’Observatoire des métiers de la banque. L’âge restait jusque-là « le parent pauvre de la politique diversité ». Et maintenant ?

Premier constat : la proportion de seniors est due à une diminution relative des jeunes dans les effectifs, mais leur répartition est inégale, avec une sous-représentation dans les métiers de la relation client (36 % contre 48,6 % de salariés dans les réseaux), les remembrements ayant marginalisé les seniors dans les agences bancaires. Deuxième constat : les taux d’embauche, de turn-over et de promotion baissent chez les seniors. « Le terme de “senior” n’a pas de définition légale », prévient Valérie Batigne, présidente de Sapiendo, un cabinet de conseil pour l’accompagnement des salariés avec des services aux DRH. Le début de la fin serait à 45 ans. Pourtant, c’est l’âge auquel les collaborateurs de la banque-assurance, qui ont poursuivi des études longues, entrent en seconde partie de carrière. Bénéficient-ils de promotions ? L’étude de l’Observatoire montre que celles-ci diminuent dès 35 ans, de 11,9 % à 8,3 % pour les 45-49 ans et à 4 % pour les 55-59 ans (données 2022). « En matière de mobilité interne, le salaire fixe obtenu par les seniors peut être un frein », note David Guillocheau. Selon son benchmark annuel de l’expérience collaborateur en France, les salariés de la finance-assurance sont plus satisfaits que dans d’autres secteurs, sauf sur deux points clés : la reconnaissance et l’accompagnement dans le développement, l’équilibre vie personnelle et vie professionnelle aussi.

«La séniorité est davantage associée à la fin de carrière qu’à l’expertise.»

Marilyne Le Bihan senior manager people and change ,  Finegan

Des salariés en attente

L’expérience des quadra est-elle un facteur d’embauche ? L’Observatoire l’appelait de ses vœux fin 2023 : « Adapter les processus de recrutements internes et externes pour élargir le sourcing aux salariés expérimentés et garder un équilibre générationnel adéquat. » Désormais, La Banque Postale (LBP) mène une politique inclusive et veille à recruter des plus de 50 ans, « au titre du renforcement des compétences et de l’équilibre de la pyramide des âges », explique son porte-parole. LBP s’engage ainsi à leur réserver 12 % des recrutements externes en contrat à durée indéterminé et des mobilités internes. « Aujourd’hui, 14,9 % des recrutements relèvent des plus de 50 ans, détaille La Banque Postale. Les candidatures des seniors sont traitées, au même titre que toutes les autres, dans le respect des principes des non-discriminations à l’embauche. »

La difficulté à recruter de jeunes talents pourrait orienter les DRH vers des quadra en reconversion, d’autant plus que des dispositifs les y incitent. « L’alternance est un bon moyen d’intégrer des salariés. Elle n’est pas réservée aux étudiants. L’avantage fiscal pour l’entreprise, qui attend d’un collaborateur qu’il soit opérationnel, est le même quel que soit l’âge de l’alternant », explique David Guillocheau. Le rôle de l’encadrant, dans ce contexte, est essentiel. « L’employabilité, la charge de travail, etc. le manager de proximité est en première ligne : il doit s’en préoccuper », rappelle le dirigeant de ZestMeUp. Que peut-il faire à son niveau ? « Sans attendre les actions des RH, il peut réaliser des actions simples, comme déléguer l’animation de certaines réunions, adopter une posture de manager coach pour développer une compétence… Bref agir très concrètement pour la confiance et l’apprentissage. » Dans les groupes coopératifs et mutualistes, la marge de manœuvre locale serait un atout.

Des formations nécessaires

En tout état de cause, « l’employabilité des seniors passe par leur formation : c’est un choix sociétal, au sens de la responsabilité sociale des entreprises, souligne David Guillocheau. Elle commence à être prise en compte, mais ce n’est pas un chantier prioritaire. » Pour la conformité aux réglementations bancaires, se former est impératif quel que soit l’âge. Mais les formations se raréfient en dernière partie de carrière. « A l’époque où l’on entrait dans la banque à 18 ans pour y rester jusqu’à sa retraite, les formations s’adressaient à tous ceux qui voulaient progresser dans leur parcours interne », rappelle Nicolas Dubray.

Quelques banques tentent de progresser dans ce domaine. A La Banque Postale, « le taux de formation des seniors est strictement le même que la moyenne de tous les salariés », assure son porte-parole. Une exception ? « Quelques initiatives pointent à La Banque Postale et chez Société Générale », estime Marilyne Le Bihan. Si les banques se dotent de plus en plus d’universités d’entreprises, « elles anticipent rarement les besoins, constate Nicolas Dubray. Par exemple, alors que les salariés qui vérifiaient les documents d’ouverture de compte dans les back-offices pourraient être remplacés par l’intelligence artificielle, aucun plan d’accompagnement dans la transformation de leur activité n’est pensé pour eux ».

Compte tenu de la démographie, et de la situation de la banque de détail, les politiques RH restent finalement centrées sur la gestion des fins de carrière et les départs anticipés. « Une cessation progressive d’activité est souvent proposée deux à trois ans avant le départ la retraite, décrit Marilyne Le Bihan, avec un mi-temps dans la banque et l’autre moitié du temps dans une association, par exemple, ou réellement pour se préparer à la fin de la vie active. Le dispositif de cessation progressive d’activité repose sur des critères légaux, lorsque le salarié a des difficultés constatées quant à l’utilisation des nouvelles technologies notamment. Celui-ci peut alors associer retraite et salariat. »

Une indispensable passation des connaissances

Pourtant, la difficulté à recruter des juniors devrait inciter à la rétention pour constituer des équipes intergénérationnelles et ne serait-ce que pour permettre le transfert de compétences importantes entre une population considérée comme experte, disposant d’un réseau commercial ou de compétences relationnelles difficiles à transmettre autrement que par l’expérience. Mais les salariés de la banque-assurance continuent de décrire un manque d’organisation de la passation des connaissances. Coaching, mentorat, « certaines grandes banques françaises y réfléchissent mais ce n’est pas encore mis en place », regrette Marilyne Le Bihan. La Banque Postale s’y est engagée « afin d’associer les collaborateurs à l’enrichissement de notre culture inclusive », explique son porte-parole. Elle a ainsi lancé un pilote de binômes générationnels pour « favoriser la compréhension et l’intégration mutuelles et l’organisation de focus groups thématiques et identification de rôle models (seniors, juniors LGBT+, origines sociales et ethniques). » L’approche est bien celle de la diversité. Mais elle est loin d’être entièrement partagée…

Les seniors, surreprésentés dans la finance

Pour 100 salariés d'une branche. Moyenne nationale: toutes branches confondues

Source : L’Observatoire des métiers de la banque, décembre 2023 

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