Spécialisé dans les services à domicile pour les particuliers, le groupe Oui Care n’a pas été épargné par la crise sanitaire. Néanmoins, grâce à un rebond de son activité seniors et à un suivi minutieux de ses revenus et de ses dépenses, le groupe a réussi à retrouver son rythme d’avant crise plus vite que prévu. Plusieurs projets d’envergure, reportés pendant la crise, devraient désormais remplir l’agenda de la direction financière. Le groupe devrait également se concentrer sur la gestion de sa trésorerie et le remboursement de ses emprunts.
Comment la crise sanitaire actuelle affecte-t-elle votre activité ?
Julien Guliana, directeur administratif et financier : Oui Care est un groupe spécialisé dans les services aux particuliers à domicile. 45 % de notre chiffre d’affaires provient de l’activité ménage, 20 % de la garde d’enfants, et 20 % de l’aide aux seniors. Le solde est réparti entre notre activité bricolage-jardinage et notre activité travaux. Si le maintien à domicile des seniors a perduré pendant la crise, les autres domaines d’activité ont été fortement impactés. Au plus fort de la crise en avril, notre chiffre d’affaires a diminué de 80 %. En effet, nos clients comme nos salariés –75 % travaillent au domicile des clients – avaient peur d’être en contact proche avec d’autres personnes. Sur 20 000 collaborateurs, nous avons reçu 7 000 arrêts maladie et garde d’enfants dans le premier mois du confinement, contre 500 habituellement.
Ensuite, alors que nous nous attendions à retrouver 100 % de notre niveau activité à partir du mois d’octobre, nous l’avons atteint dès le mois d’août. Cette reprise s’explique par à un énorme rebond sur l’activité senior (+ 160 % de chiffre d’affaires par rapport à notre budget initial). Compte tenu des événements actuels, les personnes âgées préfèrent rester chez elles que d’aller en Ehpad.
Au final, nous anticipons une baisse de 15 % de notre chiffre d’affaires en 2020 par rapport à 2019, avec néanmoins une activité supérieure à l’année 2019 sur le dernier trimestre.
La direction financière a-t-elle dû prendre des mesures particulières dans ce contexte exceptionnel ?
Nous avons d’abord arrêté tous nos projets en cours sur le moyen et le long terme avec les prestataires extérieurs, et avons gelé les embauches pour nous concentrer sur le très court terme dans l’attente d’une meilleure visibilité. Nous avons seulement continué nos investissements commerciaux, en poursuivant la refonte de notre site web par exemple et en investissant dans des campagnes publicitaires.
Nous sommes convaincus du rebond à terme de nos activités, lesquelles suivent les besoins grandissants de la société en services à la personne. En revanche, nous nous sommes focalisés sur le court terme. Nous sommes ainsi rapidement passés d’un reporting d’activité hebdomadaire à un reporting heure par heure, nous permettant d’avoir une vision par région et par activité de l’évolution de nos revenus. Grâce à cela, nous avons rapidement vu la tendance qui se dégageait sur notre activité senior, et nous avons donc ciblé nos investissements sur ce domaine, plutôt que sur ceux dont l’activité ne repartait pas. De même, nous avons mis en place des prévisions de trésorerie consolidées journalières, alors que nous faisions ce travail de façon hebdomadaire auparavant.
En parallèle, malgré notre baisse de trésorerie, dont le chiffrage exact est encore en train d’être affiné par nos services, nous n’avons imposé à aucun client de payer les prestations qui avaient été annulées hors délai. Nous avons également versé la prime Macron à l’ensemble de nos intervenants ainsi que l’intéressement et la participation du groupe à nos salariés, alors que nous pouvions attendre jusqu’au 31 décembre. Nous avons fait ce choix dans le but de conserver nos clients et nos salariés. De fait, nous avons divisé par trois notre turnover depuis la crise.
Par ailleurs, nous avons profité de la crise pour réfléchir sur des sujets sur lesquels nous n’avions pas le temps de penser auparavant. D’une part, nous avons formé nos collaborateurs. En effet, ces derniers avaient du temps disponible du fait de la baisse d’activité, et surtout, l’Etat a pris en charge 100 % des coûts de formation des salariés en chômage partiel. D’autre part, nous avons cherché à améliorer notre rentabilité en remettant à plat l’ensemble de nos plannings, ce qui a constitué un travail très lourd. Nous avons ainsi optimisé nos plannings en fonction des trajets de chacun. Alors que notre marge nette était d’environ 6 %, ce travail devrait nous permettre de gagner 1 à 1,5 point de marge supplémentaire.
Avez-vous eu recours à des dispositifs publics ? Les démarches ont-elles été difficiles ?
Nous avons très rapidement demandé l’ensemble des aides auxquelles nous pouvions prétendre lors du confinement (PGE, chômage partiel, report de charges). Nous avons sollicité un PGE de 10 millions d’euros. Comme nous faisons partie du dispositif «grandes entreprises», c’est le ministre de l’Economie qui a dû donner son accord. Nous avons également dû transmettre de nombreux prévisionnels à l’Etat, alors même que nous n’avions pas de vision sur l’évolution de notre activité. Au final, nous avons obtenu le prêt plus d’un mois après en avoir fait la demande. Nous avons également dû contacter une trentaine de banques pour aider nos franchisés dans leur demande de PGE. En parallèle, nous avons sollicité le prêt Atout de Bpifrance pour 10 millions d’euros également, que nous avons cette fois obtenu en 10 jours. Il s’agit d’un dispositif également sans garantie, qui peut permettre de traverser une période difficile.
Concernant nos démarches sur le chômage partiel, si dans 95 % des cas nous n’avons pas eu de problème, nous avons encore certaines réponses négatives qui reflètent des problèmes organisationnels au sein des administrations de l’Etat. Nous avons d’ailleurs déjà eu quelques contrôles au sein de nos agences. De plus, au début de la crise, le chômage partiel n’était pas paramétré dans nos outils de gestion de la paye, ce qui a été compliqué à gérer, d’autant plus qu’il fallait ouvrir et documenter plus de 280 dossiers de chômage partiel correspondant au nombre de sociétés à gérer dans le groupe.
Par ailleurs, parmi les aides qui ont été mises en place dans le cadre de la relance, nous espérons obtenir celles qui concernent l’embauche de jeunes (4 000 euros d’aides pour le recrutement de jeunes de moins de 26 ans et 8 000 de prime à l’apprentissage), dont le bénéfice va être très important pour notre activité.
Enfin, nous travaillons en ce moment avec les conseils régionaux sur l’octroi de primes pour une partie de nos salariés. En effet, si le personnel hospitalier a pu bénéficier de primes suite au confinement, ce n’est pas le cas des auxiliaires de vie à domicile. Leur éligibilité à ce dispositif vient d’être reconnue, mais il y a encore des décalages entre les régions sur les montants proposés et les populations concernées.
Comment votre direction financière s’est-elle organisée ces dernières semaines et comment travaille-t-elle aujourd’hui ?
La direction financière englobe une centaine de personnes réparties entre la comptabilité, la paye, la consolidation et le contrôle de gestion, les services généraux et les achats, ainsi que l’immobilier. Quasiment 100 % des salariés ont été mis en télétravail lors du confinement, ce qui était peu le cas auparavant. Cela s’est bien passé car nous travaillons sur des outils digitaux (Odyssée, notre ERP, et notre système central financier SAGE) qui nous permettent facilement de travailler à distance. Pendant cette période, les managers de l’ensemble des services, et pas uniquement ceux de la direction financière, ont organisé deux à trois fois par semaine des réunions avec leurs collaborateurs pour garder le lien et le rythme. Les équipes sont revenues progressivement au siège après le déconfinement. Le télétravail reste limité désormais.
Cependant, nous avons dû investir pour protéger la santé de nos employés. Nous avons à ce stade dépensé plus d’un million d’euros d’équipements de protection pour nos salariés. Nous regrettons à ce titre qu’il n’y ait pas de schéma d’aide prévu alors que ces coûts tendent à devenir pérennes. Nous nous attendons à un coût global de 1,5 million d’euros sur 2020 alors que notre excédent brut d’exploitation est d’environ 14 millions d’euros.
Quels sont vos principaux chantiers pour accompagner la relance de votre activité pendant les semaines à venir ?
Petit à petit, nous reprenons nos projets de moyen et de long terme. Nous allons ouvrir une société informatique en Tunisie, afin de moderniser l’ensemble de nos outils digitaux. De plus, dans six mois, nous allons déménager dans notre nouveau siège près de la gare du Mans. Il s’agit d’un projet en cours depuis plus de trois ans, qui a été reporté de deux mois en raison de la crise. Nos 10 bâtiments rassemblant nos différents services – la direction financière est répartie sur deux d’entre eux – vont ainsi être fusionnés en un seul. Sa localisation va nous permettre d’attirer des candidats de différentes villes desservies par les lignes de train (Paris et Rennes notamment).
En outre, nous sommes particulièrement vigilants quant aux niveaux de cash-flow qui devront être utilisés pour rembourser les prêts que nous avons souscrits pendant la crise. Nous voulons conserver nos capacités d’investissements pour la suite. Pour cela, nous sommes en train de travailler avec nos banques afin de réaménager notre niveau de dette, en étalant sa maturité de cinq à sept ans. Nous allons également revoir le mode de remboursement de nos dettes (linéaire, in fine, etc.).
Enfin, nous avons prévu d’investir fortement dans le domaine des seniors pour que cette activité représente in fine entre 30 % et 40 % de notre chiffre d’affaires global, contre 20 % jusqu’à présent. Nous misons beaucoup sur ce secteur qui devrait nous permettre d’atteindre, en 2021 370 millions de volume d’affaires, dont 250 millions d’euros en direct.