D’ici janvier 2025, les PME françaises de moins de 50 salariés devront proposer à leurs salariés au moins un dispositif de partage de la valeur « à titre expérimental et pendant une durée de cinq ans ». Si la nouvelle législation facilite la mise en place d’un accord de participation, les PME optent plus volontiers pour l’intéressement, dont la souplesse est appréciée.
Pour les petites et moyennes entreprises françaises, l’échéance se rapproche à grands pas. La loi sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise (votée le 29 novembre dernier) imposera aux entreprises de 11 à 49 salariés de mettre en place un dispositif de partage de la valeur à partir du 1er janvier 2025, si leur bénéfice net fiscal atteint au moins 1 % de leur chiffre d’affaires pendant trois années consécutives. Dès l’an prochain, les PME devront proposer à leurs salariés au moins un dispositif de partage de la valeur : participation, intéressement, abondement d’un plan d’épargne salariale (notamment PEE ou Perco) ou prime de partage de la valeur (PPV). « C’est un moyen de réconcilier les Français avec un certain capitalisme, en les associant à la réussite de leur entreprise. La loi favorise l’alignement d’intérêts entre le patron et ses salariés », analyse Fabien Lucron, directeur du développement commercial et marketing France chez Primeum, spécialiste de la rémunération variable.
Des accords de participation simplifiés, mais insuffisamment pour les PME
Dans ce but, la loi sur le partage de la valeur simplifie la mise en place d’un accord de participation. En 2021, seuls 4,2 % des employés dans les entreprises françaises de moins de 50 salariés (TPE et PME) en bénéficiaient, selon la Dares. La participation permet de redistribuer aux salariés une quote-part des bénéfices de l’entreprise, sous la forme d’une prime dont le montant est fixé par un accord collectif d’épargne salariale. Jusqu’ici, les entreprises de moins de 50 salariés n’étaient pas soumises au régime de la participation obligatoire. Désormais, la loi sur le partage de la valeur permet aux PME d’instaurer un dispositif de participation de branche ou d’entreprise avec une formule de calcul moins contraignante que la formule légale. Les entreprises ont jusqu’au 30 juin pour ouvrir des négociations en ce sens. « La décision de modifier la formule redonne de la souplesse au dispositif de la participation et le rend presque interchangeable avec l’intéressement », relève Fabien Lucron.
«L'évolution des accords de participation pousse la plupart des PME dans notre clientèle à préférer les accords d’intéressement.»
Mais en dépit de cet assouplissement, la participation reste plus contraignante que l’intéressement pour les PME en croissance. « Les accords de participation sont soumis à des normes beaucoup plus rigides lorsque l’entreprise devient une ETI en passant le cap des 50 salariés, prévient Fabien Lucron. L’entreprise doit alors appliquer la formule de calcul prévue par la loi, qui a été pensée de façon très comptable et ne convient pas à tous les secteurs. La question de l’évolution des accords de participation pousse la plupart des PME dans notre clientèle à préférer les accords d’intéressement. » En 2021, 9,2 % des collaborateurs dans les entreprises de moins de 50 salariés y avaient accès (source Dares). « Avec la nouvelle loi, nous avons créé une offre dédiée d’accompagnement des PME de bout en bout en ayant sélectionné un acteur majeur de la gestion collective qui est AXA », ajoute-il. Outre l’accompagnement par un professionnel dédié, les entreprises disposent de certaines ressources gratuites en ligne. Bercy et le ministère du Travail proposent un modèle type d’accord de participation, à adapter selon les besoins.
Par exemple, pour être valable, un accord de participation contient certaines clauses obligatoires qui sont énumérées sur le site Bercy.info. Les plus importantes sont la date de conclusion, de prise d’effet et la durée d’application de l’accord, ainsi que la formule de calcul retenue. L’accord doit ensuite détailler la durée d’indisponibilité de l’épargne, les conditions de déblocage anticipé, ainsi que les conditions et délais pour disposer d’un accès immédiat à tout ou partie de la somme lors de chaque répartition ou pour choisir son affectation. Enfin, l’accord précise les modes de répartition de la réserve entre bénéficiaires (plafonds inclus) ainsi que la nature et les modes de gestion des droits des bénéficiaires. Par la suite, les modalités de mise en place dépendront de la taille et de la culture de l’entreprise : convention collective ou accord de branche, accord direct entre le chef d’entreprise et les représentants syndicaux, par le biais du comité social et économique de l’entreprise (CSE) entre le dirigeant et les représentants du personnel, ou encore par référendum (si les deux tiers des salariés valident le projet présenté par leur employeur).
«La loi est incitative plutôt que contraignante sur le fond. Nous sommes clairement dans l’ère du dialogue social.»
Une fois l’accord conclu avec ses salariés (ou leurs représentants), l’entreprise a l’obligation légale de le déposer sur la plateforme de téléprocédure du ministère du Travail (article L. 2231-6 du Code du travail). L’Urssaf dispose ensuite de trois mois pour contrôler la forme et le fond du texte, et demander d’éventuelles modifications. Au bout de cinq mois, les exonérations sociales et fiscales sont acquises pour la durée de l’accord. Afin d’encourager la démocratisation des accords de participation, encore peu usités, les dispositions spéciales prévues par la loi sur le partage de la valeur s’appliqueront à titre expérimental pendant cinq ans. Par ce biais, Bercy cherche à inciter les PME à généraliser l’usage des dispositifs de partage de la valeur. « La loi est incitative plutôt que contraignante sur le fond, confirme Nada Kada, directrice générale d’Henner ERA, spécialiste de l’épargne retraite et de l’actionnariat salarié en France. Par exemple, si le bénéfice net d’une PME n’atteint pas 1 % de votre chiffre d’affaires lors d’une année donnée, le compteur est remis à zéro. Il n’y a pas non plus de montant minimum à distribuer, ni de mention explicite de sanction dans le texte de loi même si nous savons bien que les entreprises sont soucieuses de respecter la loi. Nous sommes clairement dans l’ère du dialogue social. »
Une prime de partage de la valeur, outil de court terme pour les PME
Par son caractère incitatif, la loi laisse donc une large marge de manœuvre aux entreprises. Toutefois, l’abondance des outils financiers concernés peut brouiller la lisibilité du dispositif. « Le risque principal que nous avons identifié avec la loi sur le partage de la valeur, c’est la confusion, avertit Nada Kada. Et face à la confusion, l’entreprise risque de privilégier la simplicité au détriment de l’efficacité. La PPV par exemple peut être abondée et placée sur un plan d’épargne. Dès lors, dans leurs communications aux salariés, comment les entreprises vont-elles la différencier de l’intéressement ? » Dans les faits, la PPV peut apparaître comme l’outil le plus simple à mettre en place dans le cadre de la loi sur le partage de la valeur. Depuis 2022, cette prime remplace la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (dite aussi « Prime Macron ») et peut atteindre jusqu’à 3 000 voire 6 000 euros par salarié selon le plafond total d’exonération. La PPV peut être versée deux fois par an dans la limite d’un versement par trimestre, et placée sur un plan d’épargne salariale.
«Avec la Prime de partage de la valeur (PPV), il n’y a pas de notion de redistribution des fruits de la croissance mais une réponse immédiate à des revendications d’augmentation salariale. »
Toutefois, cette prime n’est pas la panacée pour les PME. C’est un outil discrétionnaire et facultatif, qui reste à la main de l’employeur et n’implique pas nécessairement de négociation avec les représentants du personnel. Certes, la loi permet aux chefs d’entreprise de choisir entre un accord de groupe ou d’entreprise et une décision unilatérale de l’employeur (DUE) pour mettre en place une PPV. Mais dans les faits, les dirigeants se tournent massivement vers la deuxième option, jugée plus rapide et plus souple. Or, avec ce système de la DUE, l’employeur a tout à fait le droit de remettre en cause la PPV d’une année sur l’autre. « La PPV n’associe pas les salariés aux bénéfices de leur entreprise sur le long terme, relève Nada Kada. C’est un outil court-termiste ! Lors de sa création en décembre 2018 après la crise des Gilets jaunes, la PPV devait compenser la baisse du pouvoir d’achat face à l’inflation. Elle n’a pas forcément de lien avec les résultats de l’entreprise. » En 2024, la PPV prend ainsi la forme d’un complément de salaire exonéré de cotisations sociales (y compris la CSG et la CRDS) et d’impôt sur le revenu (IR) pour les salariés qui gagnent jusqu’à trois fois le smic. Au-delà de ce niveau de salaire, la PPV est soumise à certaines cotisations (CSG, CRDS et IR sauf si la PPV est affectée à un plan d’épargne).
Cette prime n’incite pas les salariés à s’impliquer davantage dans la réalisation des objectifs de l’entreprise, parce que son versement reste conditionné à la volonté de l’employeur après consultation du CSE. Ainsi, elle se distingue nettement de l’intéressement, qui est versé au salarié proportionnellement aux résultats ou aux performances de l’entreprise. « Avec la PPV, il n’y a pas de notion de redistribution des fruits de la croissance mais une réponse immédiate à des revendications d’augmentation salariale, déplore Marie-Noëlle Auclair, directrice du Cube chez Eres, groupe de conseil et de gestion, spécialiste du partage du profit. Se pose alors la question de la pérennité de cette prime. Lorsque les entreprises la versent tous les ans, la PPV se transforme en avantage acquis dans l’esprit des salariés. Mais le jour où la société voudra revenir dessus parce que l’inflation se sera résorbée et ne pèsera plus autant sur le pouvoir d’achat, ce sera très difficile en termes de dialogue social. »
Un levier de motivation plutôt qu’une dépense
En ce qui concerne le partage de la valeur, le défaut principal de la PPV reste donc sa déconnexion des résultats annuels de l’entreprise (performances financières, objectifs de développement, etc.). Or, c’est précisément ce lien que les dirigeants de PME doivent prendre en considération. « Le partage de la valeur, ce n’est pas juste une dépense supplémentaire, insiste Fabien Lucron. L’idée, c’est de partager tous les efforts de productivité et de récompenser les salariés au titre de cette performance collective. » La plupart du temps pour les PME, cette démarche prend la forme d’un accord d’intéressement (dispositif facultatif, mais jugé plus souple) pour lequel il existe également un modèle type consultable gratuitement en ligne. Dans un accord d’intéressement, la prime versée est liée à la performance de l’entreprise (pas à ses bénéfices comme dans le cas de l’accord de participation). Les sommes attribuées sont versées en direct ou déposées sur un plan d’épargne salariale. La mise en place d’un accord d’intéressement exonère les entreprises du forfait social.
Concrètement, explique Fabien Lucron, il faut déterminer dans un premier temps une enveloppe budgétaire. « Le montant de l’enveloppe n’obéit à aucune règle, cela dépend du secteur d’activité, ajoute-t-il. C’est pour cette raison que la loi n’impose aucun montant minimum. » Dans un deuxième temps, l’entreprise identifie les indicateurs clés de performance (en anglais « key performance indicators » ou KPI) qui permettront de prouver que l’objectif de performance a bien été atteint. Ces KPI doivent être mesurables à tout moment dans l’année, afin d’éviter l’effet de surprise au mois de décembre quand arrive le bouclage du budget. Une partie de ces KPI sont de nature financière, comme le chiffre d’affaires (CA) ou la marge brute par exemple, qui peuvent se mesurer sur un rythme mensuel. Mais il importe également d’inclure d’autres données extra-financières « afin de motiver tous les salariés, y compris ceux qui n’agissent pas directement sur la performance financière de l’entreprise », prévient Fabien Lucron. Ainsi, l’enveloppe peut aussi inclure la satisfaction client ou son bilan RSE dans ses KPI, « en fonction de ce que l’entreprise veut promouvoir ».
Dans un troisième temps, la PME définit la progressivité de l’enveloppe. Ainsi, dans un accord d’intéressement, l’enveloppe peut se répartir de manière arithmétique (chacun perçoit une somme identique) ou au prorata du salaire afin que la prime soit cohérente avec le niveau de rémunération des cadres dirigeants. En règle générale, les PME choisissent une version hybride. « Chez nos clients dirigeants de PME, l’enveloppe se répartit souvent pour moitié de façon arithmétique et pour moitié au prorata des salaires, explique Fabien Lucron. Pour eux, c’est un parcours long et difficile. Ils n’ont pas tous un DAF à leur disposition. Ils se reposent beaucoup sur leurs experts-comptables, mais ces derniers ont justement une vision très comptable… du partage de la valeur, qu’ils considèrent comme une dépense et non comme un levier de motivation globale. » Entre la rédaction juridique de l’accord, sa présentation aux représentants du personnel, la validation administrative et le déploiement du dispositif dans l’entreprise via une plateforme sécurisée d’épargne salariale, comptez un délai de cinq à six mois. « J’ignore si toutes les PME françaises seront prêtes d’ici janvier 2025, mais elles ont intérêt à s’emparer du sujet dès maintenant ! » conclut Fabien Lucron.
L’actionnariat salarié, un dispositif trop lourd pour les PME non cotées
En France, l’actionnariat salarié permet à toute entreprise par actions d’associer ses salariés à son capital dans le cadre d’un plan d’épargne entreprise (PEE) ou d’un plan d’épargne de groupe (PEG). Entre 2015 et 2021, son usage a doublé dans les PME françaises en passant de 4 % à 9 % d’équipement selon la 2e édition du « Panorama dans l’actionnariat salarié dans les PME » publié par Eres avec OpinionWay. Mais pour les PME non cotées, le recours à l’actionnariat salarié reste peu fréquent. « C’est surtout un outil de rétention des talents, estime Fabien Lucron, directeur de développement chez Primeum. C’est lourd à mettre en place, d’abord parce que c’est un outil peu liquide et ensuite parce qu’il est difficile d’anticiper l’évolution de la valeur de titres non cotés. »