Si la crise sanitaire a donné un coup d’accélérateur à la transformation digitale de la fonction finance du groupe Lucien Barrière, cette dernière était déjà largement avancée dans ce domaine. Soucieux d’optimiser le pilotage de la performance de la société propriétaire de nombreux palaces, son directeur financier a en effet significativement investi ces dernières années dans la robotisation des processus. Une démarche qui est allée de pair avec le renforcement des prérogatives à plus forte valeur ajoutée confiées aux collaborateurs.
La crise qui touche durement le secteur de l’hôtellerie-restauration n’a pas épargné le groupe Lucien Barrière (GLB). Celui-ci est certes parvenu à enrayer la chute de ses revenus cet été grâce à des taux de réservation importants dans ses hôtels situés près de la mer ainsi qu’à une fréquentation en légère augmentation dans ses casinos. Pour autant, la plupart de ses établissements ont dû rester fermés depuis le premier confinement, en raison essentiellement de l’absence de touristes étrangers en France et à l’annulation des séminaires traditionnellement organisés par les entreprises. «Dans ce contexte, nos résultats annuels seront sans surprise grandement affectés», déplore Philippe Perrot, son directeur général métiers supports – directeur financier. Cette situation, d’autant plus problématique que le manque de visibilité quant à la date d’un retour à la normale de ses activités est total, n’a toutefois pas conduit GLB à geler ses projets prioritaires de croissance. «Outre la finalisation des travaux de rénovation de certains palaces, nous avons par exemple lancé, en septembre, notre plateforme de jeux en ligne dédiée – dans un premier temps – aux paris sportifs, BarrièreBet», illustre Philippe Perrot. Face aux implications liées au contexte sanitaire, la société a également été amenée à mener des développements en interne, ce dont la direction financière a directement profité. «Lorsque nous avons dû placer une partie des équipes en télétravail, en mars dernier, de nombreuses questions se sont posées, notamment sur notre capacité technique à respecter nos engagements à distance (par exemple, payer nos fournisseurs dans les délais, produire de l’information financière fiable dans nos délais habituels), témoigne Philippe Perrot. Afin d’adapter nos systèmes et nos processus à ce contexte, nous avons ainsi décidé d’accélérer tambour battant la transformation digitale de la fonction finance initiée précédemment.»
Une forte proximité avec les opérationnels
Depuis sa prise de poste en 2004, ce dernier a en effet considérablement fait évoluer sa direction. Il faut dire qu’il était quasiment parti d’une page blanche. «En 2004, chaque filiale était autonome sur le plan financier. Afin d’accompagner au mieux la croissance du groupe, le choix a été fait de centraliser les processus financiers et d’harmoniser les outils, ce qui a abouti à la création d’une direction financière groupe. Depuis, celle-ci s’est beaucoup transformée et s’est imposée comme un véritable partenaire des équipes opérationnelles.» Au niveau local, les dirigeants d’hôtel, de casino et de restaurant bénéficient, depuis lors, de l’appui de plusieurs contrôleurs financiers, qui rapportent directement à un responsable ou directeur financier. «Au nombre de 33, ces derniers supervisent chacun deux ou trois établissements et aident les opérationnels à l’amélioration des performances (gestion des charges, pilotage des indicateurs clés de performance, etc.)», précise Philippe Perrot.
Au niveau du siège, la direction financière s’appuie sur huit collaborateurs, qui sont répartis dans quatre pôles. Le premier d’entre eux, dédié au contrôle financier groupe, est dirigé par Nicolas Quiviger. Aux côtés de Paulo Fonseca Da Silva, Marie Germond et Rémy Lamaignère, il assure diverses tâches allant de la consolidation des comptes – ceux-ci sont publiés en normes IFRS – à la réalisation des missions d’audit, en passant par la production de statistiques d’activité. «En temps normal, celles-ci sont actualisées tous les dix jours», précise Philippe Perrot.
Cette équipe fournit également une assistance comptable et fiscale à chaque établissement du groupe. «Afin de gagner en efficacité, j’ai souhaité que les financiers qui travaillent dans les hôtels, casinos et restaurants/bars soient proches des opérationnels et les conseillent au quotidien (cadrage budgétaire, orientation en matière d’investissements, analyse des frais fixes, etc.) de manière à contribuer pleinement à l’amélioration de la performance. Pour les problématiques plus techniques comme la comptabilité, il m’apparaissait logique qu’elles soient traitées sous la forme de prestations de services par la fonction finance centrale, qui disposent des ressources et des outils nécessaires.» Ce département devrait prochainement connaître quelques aménagements, en particulier en ce qui concerne la préparation du budget, dont il a la charge. «Nous souhaitions trouver une alternative à la lourdeur du processus budgétaire, signale Philippe Perrot. A cette fin, nous réfléchissions avant la crise à l’instauration d’un système de prévisions glissantes (rolling forecasts) sur un horizon de 18 à 24 mois. Ce projet va être rapidement relancé.»
Un cash pooling en France
Placé sous la responsabilité de Marie-Liesse Sautereau, le deuxième département de la direction financière est en charge du financement et de la trésorerie groupe. Pour la gestion des flux de trésorerie, il dispose depuis plusieurs années, à l’échelle française, d’un cash pooling. «Au sein de celui-ci transite plus de 90 % de nos flux», informe Philippe Perrot. En Suisse, au Maroc et en Egypte, le cash est géré directement par les établissements et est remonté au central sur un rythme quotidien. Compte tenu de sa faible exposition au risque de changes, GLB recourt à des instruments de couverture dans certains cas. Sur le plan des financements, cette direction avait innové en 2018, en émettant un placement privé inaugural de type Euro-PP d’un montant de 90 millions d’euros. Elle avait en parallèle procédé au refinancement de sa ligne de crédit syndiqué, d’une taille de 240 millions d’euros. Afin de sécuriser ses ressources et de subvenir à ses besoins, la société a mis en place au premier semestre 2020 un prêt garanti par l’Etat, qu’elle a partiellement utilisé.
Un centre de services partagés comptable
Toujours dans sa logique de prestataire de services, la direction financière centrale s’est également dotée, en 2013, d’un centre de services partagés (CSP) comptable. Basé à La Défense, il compte une soixantaine de comptables, qui rapportent directement à leur responsable, Emmanuel Cornet. En charge de la tenue de la comptabilité des près de 80 entités françaises du groupe, cette structure s’attelle notamment à la comptabilité de caisse et à la comptabilité générale, aux déclarations de TVA et autres déclarations fiscales, à la comptabilité fournisseur, à l’ensemble des paiements des établissements hexagonaux, etc. De la même manière que pour la gestion des liquidités, ces diverses missions sont directement assurées, à l’étranger, par les filiales concernées.
Enfin, la fonction finance a été renforcée en central l’an dernier avec la création du quatrième pôle, baptisé Centre d’expertise de la donnée et de l’automatisation des processus supports (Cedaps). Son responsable, Alexandre Lordereau, a sous sa direction une collaboratrice (Clémence Sapin). Les réflexions autour de la mise en place du Cedaps se sont accélérées dès 2018, quand la direction financière a commencé à s’engager dans une démarche de digitalisation. «Afin à la fois de réduire nos coûts et, surtout, d’améliorer la qualité de nos données, nous avons fait le constat qu’il était nécessaire d’automatiser autant que faire se peut les processus financiers (clôture des comptes, classification des encaissements clients, intégration des notes de frais…), témoigne Philippe Perrot. Dans ce contexte, nous avons choisi, il y a deux ans, de déployer l’outil de gestion financière et de planification Workday.» Une décision qui a entraîné des évolutions majeures. «Grâce à cette solution, les personnes habilitées ont dorénavant accès aux comptes du groupe depuis leur smartphone et leur tablette, poursuit Philippe Perrot. En outre, elle génère un gain de temps substantiel pour les équipes : par exemple, elle informe directement le comptable sur la matière dont une même opération a été comptabilisée le mois précédent, permettant ainsi au collaborateur, après vérification, de n’avoir qu’à valider le traitement. Enfin, Workday contribue à faire émerger des données de meilleure qualité, et donc des reportings plus pertinents.»
Le déploiement de robots
L’intégration de cet outil ne fait pas partie des seules attributions du Cedaps. En particulier, ce département s’occupe de l’élaboration de tableaux de bord à partir des données exploitées dans Workday ainsi que de la mise en œuvre de projets digitaux. Dans ce domaine, la fonction finance de GLB est particulièrement avancée. Avec l’appui du cabinet Grant Thornton, elle a en effet déjà déployé plusieurs «robots» – on parle de robotisation des processus, ou «robotic process automation» (RPA) – pour simplifier les tâches du quotidien. «Ces robots permettent aujourd’hui, automatiquement, d’extraire les indicateurs clés de performance (KPI), de créer une facture depuis un bon de commande, de remplir les déclarations de TVA, etc.», énumère Philippe Perrot. Les bénéfices qu’en retire la direction financière sont doubles. «D’une part, la RPA permet d’économiser des équivalents temps plein : par exemple, la mise à jour des taux de change pour mesurer nos expositions et consolider nos comptes en euros ne prend désormais qu’une heure par mois grâce à notre robot, contre une demi-journée jusqu’alors, lorsque cette tâche était réalisée manuellement. D’autre part, et c’est là la principale avancée, la robotisation des processus contribue à améliorer la qualité des données, dont la production se fait, qui plus est, en temps quasi réel !»
Un Comité financier restreint mis en place
Alors que cette révolution digitale influe sur la composition des effectifs financiers (voir encadré), le directeur général métiers supports-directeur financier du groupe Lucien Barrière cherche à entretenir une forte proximité avec ses équipes. A ce titre, une réunion intitulée «Cofire», pour Comité financier restreint, est organisée chaque mois dans les bureaux parisiens. En l’espace d’une journée, elle regroupe le directeur financier, les responsables en charge du contrôle financier et de la trésorerie et du financement, ainsi que sept «référents financiers». «Dans chaque région française où le groupe est présent – ainsi qu’en Suisse –, nous avons nommé un référent qui est chargé de se déplacer dans les établissements situés dans son périmètre géographique, précise Philippe Perrot. Son rôle consiste à la fois à accompagner les opérationnels et les financiers travaillant dans ces derniers (amélioration des performances, respect des règles internes, etc.) et à remonter au siège les difficultés qu’ils peuvent rencontrer.» Chaque Cofire constitue notamment l’occasion de recenser les informations à diffuser en interne (nouveautés réglementaires par exemple), d’exprimer les besoins ou difficultés exprimés en local (application de procédures, souhait de mobilité d’un collaborateur financier…), etc.
Un séminaire organisé chaque année
Dans une logique de partage des bonnes pratiques, certains collaborateurs qui œuvrent dans les établissements sont régulièrement invités à se déplacer à Paris afin de former leurs collègues sur des thématiques particulières. «Récemment, l’un d’eux est allé au sein du CSP afin de sensibiliser les comptables sur le sujet des subventions artistiques auxquelles Barrière est éligible», illustre Philippe Perrot. Enfin, l’ensemble des membres de la fonction financière se réunit une fois par an dans le cadre d’un séminaire. «Pour entretenir le sentiment d’appartenance à une communauté et à un groupe, il est important de proposer de telles manifestations», insiste Philippe Perrot. Un constat d’autant plus vrai aujourd’hui avec le contexte sanitaire, qui a conduit à la généralisation du télétravail pour un grand nombre de collaborateurs. La date du prochain séminaire reste à fixer.
Une marque, deux groupes, deux directions financières
l La marque Barrière est composée de deux groupes : le groupe Lucien Barrière, qui n’est pas coté, et la Société fermière du casino municipal de Cannes (SFCMC), qui l’est sur le compartiment B d’Euronext Paris. Ensemble, ils rassemblent 18 hôtels, 33 casinos et un club de jeux, et plus de 140 restaurants et bars.
l Chacun des deux groupes dispose de sa direction financière. «Comptant cinq collaborateurs, celle de SFCMC se focalise essentiellement sur les missions de contrôle financier, prévient Philippe Perrot. Pour certaines opérations du quotidien ayant par exemple trait à la trésorerie et aux normes IFRS, c’est mon équipe qui intervient sous la forme de prestations de services.»
La transformation digitale génère de nouveaux besoins RH
l L’ensemble des développements digitaux opérés par le groupe Lucien Barrière au cours des derniers mois n’ont pas été sans incidence sur les effectifs financiers opérant au siège. C’est le cas, déjà, pour ceux qui composent le centre de services partagés comptable. «En raison de l’automatisation d’une série de tâches comptables rendue possible par le logiciel Workday, nous avons enregistré un turnover au sein de cette structure, évoque Philippe Perrot. Les départs de profils juniors, largement cantonnés aux missions d’exécution, ont ainsi été partiellement compensés par l’arrivée de collaborateurs seniors, dotés de capacités d’analyse éprouvées.»
l Dans le même temps, la création en 2019 d’un Centre d’expertise de la donnée et de l’automatisation des processus supports (Cedaps), chargé de piloter la transformation digitale de la fonction finance, a conduit Philippe Perrot à se tourner vers des profils inédits : un chef de projets IT, un data analyst et un expert en robotisation. «Il y a quelques années encore, je ciblais des candidats issus d’écoles de commerce. Désormais, nos recrues sortent d’écoles d’ingénieurs.»
Le parcours de Philippe Perrot
Diplômé en expertise comptable, Philippe Perrot débute sa carrière en 1995 comme auditeur chez EY. Il est recruté quatre ans plus tard par Vivendi en tant que directeur financier-secrétaire général de la filiale Vivendi Universal Education France. Il avait rejoint le groupe Lucien Barrière en 2004 au poste de directeur financier. En 2017, il a été promu directeur général métiers supports – directeur financier.
Les partenaires de la direction financière
Les banques
Le pool bancaire du groupe Barrière est composé de quatre établissements : BNP Paribas, la BRED, le CIC Nord-Ouest et la Société Générale. Ceux-ci accompagnent la direction financière dans la mise à disposition de lignes de financement – le groupe Barrière compte un crédit syndiqué – ainsi que dans la gestion des flux financiers, particulièrement nombreux. «Dans la mesure où nous traitons une importante volumétrie d’argent dans nos casinos, notamment, il ne se passe pas une journée sans que ma responsable financement et trésorerie ne parle avec nos banquiers», signale Philippe Perrot.
Les commissaires aux comptes
Le co-commissariat aux comptes du groupe est assuré par PwC et Fidexco (Nice). «Au-delà des missions d’audit, ces cabinets nous apportent leurs éclairages sur des problématiques complexes, comme par exemple récemment sur les impacts comptables liés à l’entrée en vigueur de la norme IFRS 16 sur les locations», informe Philippe Perrot.
Les conseils
A son arrivée à la tête de la fonction finance du groupe Barrière, Philippe Perrot a fait le choix d’externaliser la gestion fiscale au cabinet Stehlin et Associés. «Nous nous appuyions régulièrement sur leur expertise.» Stehlin et Associés gère ainsi la revue de l’environnement fiscal du groupe pour ses opérations courantes mais aussi pour ses projets de développement, tant en France qu’à l’étranger.