Formation

L’enseignement séduit les responsables financiers

Publié le 15 mars 2019 à 17h06

Thomas Feat

En parallèle de leur métier, de nombreux responsables financiers d’entreprises enseignent aujourd’hui dans des grandes écoles et universités comme permanents ou intervenants. Une démarche motivée à la fois par le désir de transmettre et celui d’acquérir de nouvelles compétences. Les débouchés sont nombreux, tant l’incorporation de managers en poste au sein de leurs effectifs professoraux est devenu un enjeu de première importance pour les établissements.

Le mardi matin est un moment particulier dans la semaine de Cyrille Deliry. A 9h30 précise, le directeur administratif et financier de La Maison du Convertible n’a pas rendez-vous avec ses équipes, comme à l’accoutumée, mais avec les élèves de première année du magistère «Sciences de Gestion» de l’Université Paris-Dauphine. Durant une heure et demie, le manager leur enseigne les fondamentaux du contrôle de gestion, entre pilotage de budgets, définition d’indicateurs de performance, analyse de marge et calcul de coûts de revient ou d’opportunité. «Il y a quinze ans j’étais élève sur ces mêmes bancs, aujourd’hui me voici professeur !», s’enthousiasme, amusé, celui qui exerce cette double activité depuis maintenant cinq ans.

Comme lui, Arnaud Maréchal, directeur financier d’Orange Digital Ventures, entité de corporate venture de l’opérateur télécom, consacre une trentaine d’heures par semestre à l’enseignement. Une vocation née il y a dix ans presque fortuitement. «A l’époque, Centrale Nantes venait de créer son département Finance. Un ami, ingénieur de formation comme moi, m’a recommandé à la direction pour intervenir ponctuellement sur des sujets de dépréciation d’actifs. Cette collaboration épisodique a duré près de cinq ans, se souvient-il. Par la suite, conséquence d’un désistement, j’ai été approché par Télécom ParisTech pour intégrer son département “Finance d’entreprise” en qualité de permanent. J’enseigne aujourd’hui les différentes techniques de valorisation d’entreprises aux élèves de la filière en classe de master 2.»

Affiner ses compétences

Pour ces responsables financiers, un tel investissement ne répond pas seulement à un désir enthousiaste de transmettre, une évidence, mais procède aussi d’une volonté de perfectionnement. Amélioration des soft skills, d’abord, ou compétences comportementales. «Prendre la parole devant un auditoire pas toujours acquis à sa cause, réapprendre des concepts oubliés ou encore expliquer des notions complexes à des néophytes sont autant d’exercices qui permettent de gagner en assurance et en crédibilité, un atout de poids pour la vie professionnelle», indique Cyrille Deliry.

Amélioration et affinage des compétences techniques et de la connaissance métier ensuite, car lorsqu’elle s’inscrit dans un programme de formation continue, la démarche débouche immanquablement sur des rencontres avec des professionnels issus d’horizons très divers. «En tant qu’intervenante au sein de la formation certifiante en finance de HEC Paris Executive Education, j’enseigne l’analyse financière propre aux fusions-acquisitions à des opérationnels issus du contrôle de gestion, de l’audit, du pilotage industriel et même de la gestion de la relation client ou du marketing», souligne Muriel Atias, chief investment officer de BOLD, structure lancée par L’Oréal en décembre dernier et dédiée au capital-investissement. Face à une telle disparité de profils, je m’efforce, dans la mesure du possible, de substituer à un enseignement purement technique des cas pratiques familiers de tous que chacun peut enrichir de ses connaissances propres. Ces remontées du terrain, différentes selon les postes de mes interlocuteurs, m’ont conforté dans l’idée qu’une approche à 360 degrés était essentielle à la réalisation d’une évaluation d’entreprise approfondie.»

En complément, évoluer au sein d’un établissement d’enseignement supérieur, écosystème propice par essence aux expérimentations entrepreneuriales, peut constituer pour les professionnels en poste un moyen de se maintenir au contact de l’innovation. Une ressource très appréciable, surtout lorsque ces professionnels évoluent eux-mêmes quotidiennement dans un milieu hautement technologique. «Un professeur de Télécom ParisTech en charge de la chaire capital-risque m’a introduit récemment auprès des responsables de l’incubateur de l’établissement, indique Arnaud Maréchal. Ma situation actuelle me permet de réaliser une veille de projets potentiellement porteurs pour notre industrie.»

Attirer des profils

A l’avantage des financiers attirés par l’instruction, l’intérêt des grandes écoles et universités pour leurs profils n’a cessé de s’affirmer ces dernières années et ne devrait pas faiblir d’ici peu. «Dans un monde de plus en plus concurrentiel et réglementé, les écoles plébiscitent leur connaissance des réalités du terrain et leurs compétences techniques», explique Laurent Champanay, vice-président de la Conférence des grandes écoles (CGE). Exemple avec HEC, l’Essec et l’ESCP Europe, qui font chacune appel aujourd’hui à près de 700 professionnels enseignants, dont un quart à un tiers au moins ont un parcours financiers,  pour environ 150 professeurs-chercheurs. «Incorporer des managers en poste au sein de leurs effectifs professoraux est devenu un enjeu de première importance pour ces établissements, souligne Laurent Champenay. Une telle démarche constitue non seulement un gage de crédibilité académique, mais encore de proximité avec le monde de l’entreprise. Elle conditionne également l’obtention de certaines accréditations délivrées par les organismes certificateurs de l’enseignement supérieur.»

Si recruter leurs professionnels enseignants parmi leurs anciens élèves était jadis la norme pour les écoles, la donne a changé.«Au sein de notre filière finance, plus de la moitié de nos permanents et plus des deux tiers de nos intervenants ne sont pas des alumni, souligne le doyen d’une grande école d’ingénieurs parisienne. Pour augmenter leurs chances d’attirer ces profils extérieurs, certains établissements n’hésitent pas, par exemple, à leur laisser carte blanche dans l’organisation du contenu des cours. «Télécom ParisTech m’a confié l’élaboration pleine et entière du module de Finance d’entreprise du master 2, ce qui m’a permis d’équilibrer à ma guise théorie et cas pratiques tirés de mon propre vécu», confirme Arnaud Maréchal.

Dans un certain nombre d’établissements, privés en particulier, des efforts importants sont consentis aussi en matière de rémunérations. Si ces dernières n’atteignent pas les niveaux des émoluments perçus par les «profs stars» (lesquels peuvent se chiffrer à plusieurs centaines de milliers d’euros par an), elles peuvent être tout à fait confortables. «Enseigner 60 heures par an dans une grande école me permet de doubler mon salaire», confie le responsable de l’audit d’une PME de la restauration, engagé depuis deux ans dans cette double activité au sein d’une grande école de commerce. Avant toutefois de préciser : «Cet argent n’est pas volé, car enseigner sur une base régulière est non seulement très prenant, mais encore très chronophage. C’est un investissement qu’il ne faut surtout pas prendre à la légère !»

Le choix de l’associatif

Tandis que la plupart des responsables financiers enseignants évoluent dans un environnement scolaire, certains ont fait le choix de pratiquer l’enseignement dans un cadre associatif. Ainsi, chaque année, l’association 100 000 Entrepreneurs fait appel à des dizaines de financiers d’entreprises, en poste ou à temps partagé, pour intervenir dans le cadre de formations dispensées à des porteurs de projets inexpérimentés. Les sujets abordés vont de l’élaboration du business plan à la préparation des levées de fond en passant par le pilotage budgétaire.

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