Si les experts-comptables exerçant en cabinet sont largement reconnus, ceux travaillant en entreprise manquent souvent de visibilité. Pourtant, les opportunités de carrière y sont importantes. Pour promouvoir davantage la profession, plusieurs avancées ont été proposées dans le cadre du projet de loi Pacte.
Près de la moitié des diplômés d’expertise comptable travailleraient en entreprise, soit environ 20 000 professionnels, selon les estimations des spécialistes… Pourtant, ils sont rarement reconnus comme tels. «Par rapport aux experts-comptables qui exercent en cabinet, nous sommes souvent hors circuit, constate Bruno Delhoustal, expert-comptable diplômé et manager au sein de la direction financière d’un groupe bancaire. Nous ne sommes pas membres de l’Ordre et, de ce fait, nous n’avons pas accès aux mêmes informations et congrès.»
Longtemps dénoncé, ce manque de reconnaissance et de visibilité vient d’être remis au cœur des discussions l’été dernier. En effet, dans le cadre du projet de loi Pacte, Patrick de Cambourg, président de l’Autorité des normes comptables (ANC), avait été missionné par le ministère de l’Economie pour proposer des mesures d’accompagnement pour la profession de commissaire aux comptes. Parmi celles-ci figure l’ouverture de l’Ordre des experts-comptables aux experts-comptables exerçant en entreprise, qui pour l’instant est réservée à ceux travaillant en cabinet.
Cette proposition, reprise dans le véhicule législatif, vient d’être adoptée le 16 mars par les députés en deuxième lecture. «Nous pourrons, sur la base du volontariat, nous inscrire au tableau de l’Ordre, se réjouit Eric Freudenreich, président de l’Institut des diplômés d’expertise comptable en entreprise (ECE) et cadre financier d’un groupe coté du SBF 120. Il s’agit d’une avancée considérable, que nous attendions depuis plus de vingt ans et qui permettra de donner plus de visibilité à la profession comptable française à l’étranger.» Si, du côté de l’Ordre, l’objectif de cette mesure est avant tout de permettre à la profession d’avoir plus de poids à l’international, le nombre d’inscrits pouvant être multiplié par deux, les experts-comptables d’entreprise y voient aussi d’autres bénéfices. «Ce rapprochement va renforcer l’attractivité de notre profession, en mutualisant nos réseaux, se félicite Eric Freudenreich. En effet, cette inscription au tableau est un gage de qualité, une marque de confiance et de reconnaissance envers les experts-comptables en entreprise. Cela va également permettre de valoriser l’évolution en entreprise auprès des étudiants.»
Car qu’ils exercent en cabinet ou en entreprise, les experts-comptables ont tous suivi la même formation. «Avant de passer le diplôme d’expertise comptable (DEC), les étudiants doivent obtenir le diplôme supérieur de comptabilité et de gestion (DSCG), un Master 2, puis effectuer un stage professionnel de trois ans, dont deux au moins en cabinet, rappelle Eric Freudenreich. A l’issue de ce parcours, ils obtiennent l’équivalent d’un bac +8 et peuvent poursuivre en cabinet ou évoluer en entreprise. Ils auront la possibilité d’alterner entre ces deux modes d’exercice pour saisir des opportunités et se réorienter tout au long de leur carrière. Cette flexibilité mérite d’être mise davantage en avant.»
Un point d’autant plus important qu’environ la moitié des experts-comptables choisirait à un moment de leur parcours professionnel de travailler en entreprise. Une telle décision se ferait d’ailleurs de plus en plus tôt au cours de la carrière. «Historiquement, de nombreux experts-comptables exerçaient quelques années en cabinet, puis choisissaient de se tourner vers l’entreprise, généralement après une dizaine d’années d’expérience, souvent débauchés par leurs propres clients, observe Bruno Toussaint, consultant principal de la division finance chez Hays Strasbourg. Mais désormais, on observe de plus en plus de jeunes diplômés qui décident d’exercer leur métier en entreprise dès la sortie de leur stage.»
Une variété de métiers
Il faut dire que les experts-comptables d’entreprise profitent de plusieurs avantages par rapport à leurs confrères. D’une part, la charge de travail est souvent allégée. «Au sein d’une entreprise, les diplômés d’expertise comptable peuvent souvent profiter d’un meilleur équilibre vie professionnelle-vie privée que ceux travaillant en cabinet», souligne Bruno Delhoustal. D’autre part, ils peuvent exercer une large palette de métiers et dans diverses structures. «Certaines PME peuvent décider de recruter un expert-comptable en interne pour éviter d’avoir recours à un cabinet qui lui coûtera plus cher, remarque Bruno Toussaint. Mais dans ces entreprises de taille moyenne, les experts-comptables peuvent aussi être employés en tant que responsables comptables et financiers, dans un premier temps, avant d’évoluer vers des postes de direction générale. Dans des groupes plus grands, ils accèdent plus souvent à des postes au sein de la direction comptable, consolidation ou encore en fiscalité.» Autant d’opportunités que confirme Eric Freudenreich. «L’ECE rassemble les diplômés en entreprise, parmi lesquels on retrouve des auditeurs internes, des contrôleurs de gestion, des responsables ou directeurs financiers, des directeurs généraux, mais aussi des enseignants, des formateurs et même un journaliste !» relève-t-il.
Or le différentiel de rémunérations entre ceux opérant en entreprise et en cabinet n’est pas forcément considérable. «Certes, certains experts-comptables qui exerçaient en cabinet et qui décident de postuler en entreprise sont parfois amenés à revoir leur prétention salariale de 5 à 10 % à la baisse, relève Bruno Toussaint. Mais certaines directions sont également souvent prêtes à revoir les salaires proposés à la hausse, afin de valoriser le diplôme d’expert-comptable.» Le diplôme d’expertise comptable est en effet très bien perçu par les entreprises. «Les titulaires du DEC sont plus cotés que ceux qui n’ont pas ce titre, ajoute Benedict Wittet, manager de la division audit & expertise comptable chez Hays Paris. Souvent, les directions valorisent les efforts menés en proposant une rémunération supérieure à celle qu’aurait obtenue un autre candidat.» Une valorisation qui pourrait certainement être encore renforcée si la profession réussit à être davantage reconnue.
Des règles à respecter
l Pour pouvoir s’inscrire au tableau de l’Ordre, les experts-comptables devront adhérer de façon volontaire à certains points. D’une part, ils devront respecter un code déontologique dédié à leur profession. «Ce code est directement inspiré des règles de l’International Federation of Accountants (Ifac), précise Christophe Priem, élu du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables. Celui-ci ne changera pas le mode d’exercice auquel sont soumis les experts-comptables en entreprise, sachant qu’ils ne pourront pas développer de clientèle personnelle.»
l D’autre part, ils devront se former. «Tout comme leurs homologues en cabinet, les experts-comptables en entreprise devront s’attacher à compléter et à mettre à jour régulièrement leur culture professionnelle et leurs connaissances générales, ajoute Eric Freudenreich. Les modalités de cette obligation de formation restent cependant à définir.»