Alors que le président américain Joe Biden s’est engagé cette année à réduire d’ici 2030 les émissions de carbone de 50% par rapport aux niveaux de 2005 et que la Chine, le Royaume-Uni et le Japon se sont également engagés à réduire considérablement leurs émissions de gaz à effet de serre, quel rôle les investisseurs peuvent-ils jouer dans la lutte contre le changement climatique ?
Alors que les dirigeants du monde entier se préparent à la prochaine conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP26) qui se tiendra à Glasgow en novembre prochain, certains événements météorologiques majeurs survenus cette année n’auraient pas pu mieux les avertir de la menace que représente le changement climatique pour notre survie.
Malgré une prise de conscience quelque peu tardive, les gouvernements prennent des engagements sérieux en matière de climat. Le président américain Joe Biden s’est engagé cette année à réintégrer l’accord de Paris qu’avait rejeté son prédécesseur Donald Trump, tout en promettant de réduire les émissions de carbone des États-Unis de 50 à 52% d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005.
En septembre dernier, la Chine – l’un des plus gros pollueurs au monde – a déclaré qu’elle comptait atteindre la neutralité carbone avant 2060, rejoignant ainsi le Royaume-Uni, l’Union européenne (UE) et des dizaines d’autres pays qui se sont fixé des objectifs climatiques ambitieux pour le milieu du siècle. Entre 1990 et 2019, l’UE a réduit ses émissions de carbone de 24%. Il est désormais prévu de supprimer à nouveau 31% d’émissions de CO2 en seulement neuf ans.
Dans le cadre de ses efforts, l’UE a annoncé des mesures visant notamment à taxer le kérosène et à interdire purement et simplement la vente de véhicules fonctionnant à l’essence et au diesel d’ici 20 ans. En revanche, compte tenu de sa structure politique complexe, les propositions risquent d’impliquer plusieurs années de négociations.
Pour autant, et malgré les nouveaux engagements attendus lors de la COP 26, Andrew Parry, Directeur de l’investissement durable chez Newton, craint que les dirigeants mondiaux n’aient plus beaucoup de temps s’ils veulent éviter une catastrophe climatique. « Cela fait près de six ans que l’accord de Paris a été signé, et que 196 pays ont convenu de limiter les émissions de carbone. Hélas, les belles paroles et les promesses médiatiques d’alors ne se sont pas concrétisées sur le terrain. En réalité, nous aurions dû prendre davantage de mesures contre le changement climatique il y a 20 ans », souligne-t-il.
"Code rouge"
« Depuis la conclusion de l’accord de Paris, nous avons en fait constaté une hausse des émissions mondiales de carbone. Malgré un bref répit aux heures les plus noires de la crise du Covid-19 l’an dernier, les émissions mondiales devraient malheureusement atteindre un nouveau record en 2021.»
En dépit de ces aspects négatifs, Newton reste optimiste, estimant que les gouvernements, les industries, les entreprises individuelles et le secteur de la gestion d’actifs ont encore un rôle majeur à jouer pour sauver la situation.
« Parmi les raisons qui incitent à l’optimisme, citons le fait que neuf des dix plus grandes économies du monde ont fixé des objectifs d’émissions nettes nulles. Au niveau du secteur de la gestion d’actifs, nous constatons que les investisseurs s’impliquent fortement dans la démarche « zéro émission nette » des gestionnaires d’actifs et qu’une puissante voix militante s’élève en faveur du réengagement dans le monde », ajoute-t-il.
« Au niveau de l’entreprise, les sociétés peuvent désormais être tenues pour responsables de leurs émissions de catégorie 3, un sujet auquel les tribunaux s’intéressent de plus en plus. Nous sommes parvenus à un moment crucial de ce débat. »
Compte tenu des engagements « zéro émission nette » pris par les gouvernements, on peut considérer que nous entrons dans une phase de révolution énergétique verte qui transformera fondamentalement notre vie quotidienne et élargira les opportunités d’investissement.
« La transition verte s’accompagnera de nombreux avantages économiques pour l’ensemble du système et devrait radicalement transformer les modes d’utilisation et de distribution de l’énergie. Rares sont les secteurs qui ne seront pas concernés, et si les défis sont gigantesques, certaines opportunités d’investissement potentielles sont tout aussi considérables.”
Chez Walter Scott, Alan Lander, gérant et co-directeur de la recherche, et Tom Miedema, gérant, sont parfaitement conscients des obstacles à surmonter, mais sont aussi très enthousiastes quant aux opportunités d’investissement susceptibles d’en découler.
« L’ampleur des investissements qu’il faudra réaliser pour décarboniser l’économie mondiale au cours des 40 prochaines années est colossale. Les opportunités vont des technologies présentant déjà un intérêt commercial, comme la production d’énergie renouvelable, les véhicules électriques et les matériaux de construction écologiques, aux technologies encore en développement à ce jour, comme l’hydrogène et le captage et le stockage du carbone », explique A. Lander.
Les progrès réalisés dans tous ces domaines, ajoute M. Miedema, sont susceptibles de faire apparaître des gagnants et des perdants, et les entreprises impliquées dans le développement de technologies vertes devront faire l’objet d’une analyse et d’une réflexion approfondies.
« Les mutations à venir donneront sans aucun doute lieu à une pléthore d’opportunités d’investissement dans les prochaines années. Bien sûr, naviguer dans un tel environnement d’investissement ne sera pas aisé. Les retours sur investissement des nouvelles technologies et des nouvelles industries sont loin d’être acquis.”
« En termes d’investissement, il sera essentiel de procéder à une analyse minutieuse et rigoureuse des entreprises afin d’aller au-delà du battage médiatique et des hyperboles et d’identifier des entreprises de premier plan présentant des avantages concurrentiels démontrables et des niveaux de rendement élevés, en complément de l’élan que devrait apporter le thème de la ‘croissance verte’ ».
Croissance du marché
Dans ce contexte en pleine évolution, l’investissement responsable continue d’afficher une croissance exponentielle. Selon Morningstar, les fonds appliquant des principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont capté 51 milliards USD d’entrées de capitaux nettes en 2020. L’intérêt grandit rapidement, inspiré par les préoccupations liées aux enjeux tels que le changement climatique, mais aussi par les nouvelles règles favorables aux considérations ESG, comme le règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR).
Par ailleurs, si l’investissement responsable relevait auparavant principalement du domaine des investisseurs en actions, le concept s’est désormais élargi aux marchés obligataires, de capital-investissement et même à l’immobilier.
L'évolution - et dans certains cas les divergences géographiques - des réglementations, des définitions et des comparaisons de performance sont autant de problématiques complexes que le secteur de l'investissement responsable doit résoudre. Pourtant, beaucoup espèrent que le métier de la gestion d'actifs pourra relever au moins en partie les défis environnementaux, sociaux et de gouvernance auxquels le monde est confronté alors qu’il se relève de la crise du Covid-19.
Joshua Kendall, Directeur de l’investissement responsable chez Insight Investment, commente les progrès réalisés en matière d'investissement responsable sur les marchés obligataires : « En résumé, l'intégration d'une approche d'investissement responsable dans les portefeuilles obligataires n'en est qu'à ses débuts. Mais à mesure que les pratiques d'investissement évolueront, l'accent sur les risques ESG et les facteurs de durabilité pourrait offrir aux investisseurs la possibilité de construire des portefeuilles visant des objectifs à la fois durables et financiers, avec davantage de précision et de meilleurs résultats pour l'ensemble des parties prenantes. »
Plusieurs structures obligataires favorables à l'investissement responsable - dont les obligations vertes, les obligations sociales et les obligations durables, pour n'en citer que trois - se sont déjà adaptées pour répondre à l’évolution de la demande des investisseurs. Dans la mesure où les investisseurs sont de plus en plus soucieux de l'investissement responsable et des critères ESG, M. Kendall ne prévoit aucun fléchissement de la demande de produits qui y sont liés.
« Nous nous attendons à ce que les entreprises émettrices rencontrent une base d'investisseurs réceptive, soucieuse de contribuer aux objectifs de durabilité. Le regain d'intérêt pour les questions écologiques et sociales constitue une opportunité pour les émetteurs d’obligations vertes. Dans la mesure où de plus en plus d'investisseurs cherchent à constituer des portefeuilles résilients et axés sur la durabilité, il nous semble que les entreprises pourraient chercher à s'engager davantage sur les thèmes de la durabilité, indépendamment de toute exigence réglementaire », conclut-il.