(AOF) - "Nos marchés ont une résilience certaine, et ils sont sains parce qu'il y a une demande réelle", affirme Philippe Rosio, président d’Inea. Dans un entretien accordé à AOF, il décrit le modèle original de cette foncière centrée sur l’immobilier neuf de bureaux en régions avec une forte coloration écologique, en avance sur les objectifs fixés par la réglementation. Il souligne la bonne santé de son marché dans un contexte difficile pour l’immobilier d’entreprise.
La spécificité de la foncière Inea, c'est à la fois l'ouverture aux régions et l'écologie…
Lorsque nous avons créé Foncière Inea en 2005-2006, nous avons voulu nous différencier, et pour ce faire aller sur le marché des bureaux en régions, ce qui était alors extrêmement nouveau. Au fil des années, nous nous sommes rendus compte que cet immobilier neuf était en plus celui qui répondait le mieux aux normes environnementales, et lorsque les seuils du "décret tertiaire" de juillet 2019 ont été publiés, 90% de notre portefeuille y répondait déjà, de sorte que nous avions quasiment 10 ans d'avance avec un immobilier neuf vert, extrêmement peu consommateur en matière énergétique. Après avoir été précurseurs, aujourd'hui nous sommes la seule foncière à la fois bénéficiaire en 2023 et qui ait soumis la totalité de son patrimoine au décret tertiaire. Nous avons quasiment dix ans d'avance par rapport aux objectifs qui ont été fixés au titre de ce décret pour 2030.
Quel est votre business model ?
Nous n'avons pas changé véritablement de business model. Nous achetons des immeubles de bureaux neufs "en blanc", c'est-à-dire à construire et à commercialiser. Lorsque nous les louons, nous créons une plus-value. Ce faisant, avec des locataires solvables, nous créons une rente locative. Aujourd'hui, nous avons un patrimoine d'un milliard trois cents millions d'euros. Notre capital, au départ, était de 5 millions d'euros, et aujourd'hui, nos fonds propres sont de l'ordre de 600 millions d'euros.
Et vous pariez sur le développement des métropoles régionales…
Oui, nous avons prospéré sur l'idée d'accompagner le développement économique des territoires. Des emplois se créent parce qu'une agglomération régionale se développe, nous y répondons par la création de surfaces de bureaux neufs, qui à leur tour sont occupés, de sorte que la région se développe encore plus, avec un phénomène de profondeur de marché. Aujourd'hui, un immeuble de bureau acquis va pouvoir avoir plusieurs vies locatives.
Vous avez un deuxième créneau, les parcs d‘activité...
L'immobilier de bureaux en régions représente 80% de notre portefeuille actuel. Les 20 % restants ont été développés au fil du temps sur la notion de parc d'activité, qui aujourd'hui s'entend comme une des formes de la logistique urbaine, en relais entre les grandes plateformes logistiques et le consommateur lambda.
En immeubles de bureaux nous n'avons absolument rien sur Paris ni en région parisienne, mais sur ces parcs d'activité, nous nous sommes complètement calés sur la région capitale. Nous sommes en train de les décliner dans les dix principales métropoles régionales françaises.
Que représente votre marché à l'échelle nationale ?
Nous souffrons d'un déficit de notoriété, de connaissance des marchés de bureaux en région aujourd'hui. Actuellement globalement dans l'immobilier de l'entreprise, à peu près 1 euro sur 2 s'investit aujourd'hui en région, toute typologie d'actifs confondus.
Maintenant, si on zoome sur les bureaux il y a 1 euro sur 3 qui s'investit en régions, il y a 1 mètre carré sur 2 qui se loue en régions et il y a 1 mètre carré sur 2 en régions qui se loue dans le neuf. Et concernant l'autre typologie d'actifs qui nous intéresse, c'est-à-dire les parcs d'activité, vous avez quasiment aujourd'hui 1 euro sur 2 qui s'investit dans les régions au titre des locaux d'activité, 2 mètres carrés sur 3 qui se louent dans les régions et 1 mètre carré sur 3 en région qui se loue dans le neuf.
Votre activité est particulièrement rentable…
Aujourd'hui, la rentabilité locative de notre patrimoine par rapport à son prix d'acquisition est supérieure à 7 %. Inea est la seule foncière cotée bureaux à avoir dégagé des bénéfices en 2023, alors que les bénéfices de nos confrères ont été corrigés par les moins-values ou les corrections de valeur encaissées sur les patrimoines. Il faut dire que nos loyers s'échelonnent entre 150 et 200 euros, hors taxes et hors charges, à comparer à des loyers qui atteignent au plus haut, à Paris intramuros, 1 000 euros.
Et vos perspectives sont positives…
Nous avons communiqué un chiffre d'affaires du premier trimestre 2024 qui est plus que bon puisqu'il est en croissance de 22% et nous sommes en train de bénéficier d'un pipeline d'opérations qui court jusqu'en 2026 et qui devrait nous assurer, presque à production arrêtée, une croissance assez substantielle.
En revanche comme les taux d'intérêt sont à un niveau élevé, le marché de l'immobilier d'entreprise est en train de souffrir et donc notre objectif initial, à savoir un patrimoine de 2 milliards d'euros à horizon 2026, ne tient plus. Nous en avons rendu compte très simplement au marché.
La majorité de la croissance s'explique-t-elle par l'inclusion des nouveaux actifs ?
C'est partagé, c'est-à-dire que sur les 22% vous avez une croissance à périmètre constant qui est de 10% et puis le reste, effectivement, ce sont les nouveaux actifs. A périmètre constante, la croissance s'explique à quasiment 6% par l'indexation des loyers.
Alors que la conjoncture est assez défavorable…
Nous n'avons pas une vision noire de la conjoncture actuelle : ce n'est pas le marasme le plus complet. Il faut dire qu'il y a 3 marchés de bureaux aujourd'hui en France. Il y a premièrement un marché de bureaux à Paris intramuros qui d'un point de vue locatif se porte très bien mais dont les valeurs se corrigent et qui n'est pas du tout vert.
Il y a ensuite un marché des bureaux francilien qui est en train de souffrir, la hausse des taux étant l'élément déclencheur. On savait que ce marché avait une part obsolète à hauteur de quasiment 40-45 % et le développement du Grand Paris s'est fait exclusivement sur des bureaux. Aujourd'hui sur ce parc, il y a des typologies d'actifs comme les tours ou les campus qui ne sont plus d'actualité et ne répondent plus vraiment aux besoins des entreprises.
Et le troisième marché ?
Le troisième marché c'est le nôtre. Actuellement si on a normalement investi dans les régions, ce qui est notre cas, on arrive à avoir des rendements tout à fait corrects avec des loyers qui s'indexent pleinement. Lorsque vous avez des loyers à 100 ou 200 euros que vous les indexez à hauteur de 5-6% c'est beaucoup plus "comestible" pour les locataires que des loyers à 1000 euros. Ce marché a une vraie résilience, donc notre patrimoine dans sa globalité a maintenu sa valeur à fin 2023 alors que nombre de nos concurrents subissaient des corrections à la baisse extrêmement sensibles.
Quel est l'impact du télétravail sur votre marché ?
En régions, le moyen de transport le plus usité est la voiture, et quand les collaborateurs se déplacent, leurs temps de transport sont bien inférieurs à ceux de la région parisienne. Or la demande de télétravail répond au départ à des temps de transport devenus insupportables, donc elle est beaucoup moins vive en régions. Pour nos locataires cela relève de la flexibilité plutôt que de la demande impérieuse émise par les salariés : nous avons eu extrêmement peu de demandes de réduction de surfaces. Et quand c'est le cas la perte de surface d'open spaces est compensée par la création de salles de réunion ou d'espaces de convivialité.
Quelles sont vos perspectives pour l'année 2024 ?
A fin 2023 nous avions un actif net réévalué aux alentours de 53-54 euros par action. Nous avons enregistré au premier trimestre une croissance du chiffre d'affaires de l'ordre de 22% et nous avons indiqué qu'avec le pipe-line d'opérations qui est le nôtre la croissance d'ici 2026 serait à deux chiffres. Nos marchés ont une résilience certaine, et ils sont sains parce qu'il y a une demande réelle, nous avons des actifs qui se louent sans que nous ayons à consentir des mesures d'accompagnement qui nous auraient été préjudiciables.
Seule ombre au tableau, le cours de Bourse…
Notre cours de bourse ne se comporte pas comme on voudrait, nous avons une décote qui s'est accrue, avec un cours à 33 euros alors que nous allons distribuer un dividende de 2,70 euros par action fin mai 2024, soit un rendement supérieur à 8%. Compte tenu de la résilience des marchés sur lesquels nous sommes, cette décote est injustifiée. Notre valeur de patrimoine divisée par le nombre de mètres carrés donne une valeur de 2 500 euros par mètre carré, en dessous du coût de construction d'un immeuble en date d'aujourd'hui sans même penser à sa charge foncière…
Propos recueillis par Matthieu Richard-Molard