Les institutionnels disposent d’un très bon niveau de connaissance de l’investissement à impact, selon une étude inédite réalisée par Option Finance et Insight AM, en partenariat avec Amundi et Mirova. Engagés dans cette voie en ligne avec les valeurs de leur organisation, ils sont néanmoins freinés par plusieurs obstacles, au premier rang desquels la crainte d’une performance financière limitée. Ils estiment en outre qu’une fiabilisation des mesures d’impact est nécessaire.
On savait les thématiques de l’ESG et de l’ISR désormais bien ancrées dans les politiques d’investissement des institutionnels français. Plus délicat à cerner, l’investissement à impact figure aussi parmi leurs préoccupations : c’est un des enseignements de l’étude inédite qu’ont menée Option Finance et le cabinet Insight AM, en partenariat avec Mirova et Amundi.
Réalisée du 26 mars au 27 mai dernier auprès de 64 investisseurs représentatifs du tissu économique français, l’enquête – qui a recueilli un taux de réponse particulièrement élevé – a permis d’obtenir une photographie de l’état des lieux des portefeuilles mais aussi de sonder assez finement les connaissances, objectifs et ressentis de ces derniers. La parole a été donnée à plusieurs d’entre eux pour expliquer leurs réponses. L’étude a aussi identifié les freins qui subsistent encore à la mise en place de stratégies d’impact, afin de mieux cerner le potentiel de croissance de ce marché. Des conclusions précieuses donc, pour toute l’industrie de l’asset management.
Une part encore modeste dans les portefeuilles
Au-delà des repères constitués par les trois éléments communément admis pour qualifier un investissement à impact (intentionnalité, additionalité et mesure), un certain flou entoure encore parfois celui-ci, qui peut se trouver confondu avec l’ISR. Le niveau de connaissance affiché par les répondants atteint en revanche dans ce contexte général des niveaux importants : 61 % déclarent disposer d’une « bonne », voire « très bonne » connaissance de ces principes. Une tendance encore plus marquée chez les répondants mutualistes (18 % de l’échantillon), qui affichent un taux de connaissance de 80 %. Chez les institutionnels, point de confusion au sein de l’ensemble de leurs investissements ESG : « 82 % des investisseurs précisent qu’ils ont explicitement identifié les investissements à impact qu’ils réalisent, et jusqu’à 91 % pour les assureurs, qui constituent 36 % de l’échantillon », précise Pascal Koenig, président d’Insight AM.
Du fait de la spécificité de l’impact, la part des portefeuilles lui étant consacrée reste néanmoins modeste : seul un quart des répondants mentionne un taux d’investissement supérieur à 5 %. « Si notre conviction est forte, l’investissement à impact est encore une niche au sein de la gamme de produits finance durable, révèle Jean-Laurent Granier, PDG de Generali France. En tant qu’assureurs, étant directement confrontés à la montée en puissance des risques environnementaux liés au dérèglement climatique, nous devons participer aux financements qui permettent d’accélérer la transformation de l’économie réelle vers plus de durabilité. »
Des convictions bien ancrées
Plus de la moitié des répondants (54 %) considèrent l’investissement à impact comme un alignement avec les valeurs et la mission de leur entreprise. L’amélioration de l’image de marque constitue aussi une préoccupation, notamment pour les assureurs. « Ce qui est notable dans la mise en place de ces stratégies, c’est l’implication top-down au sein des organes de gouvernance, avec des directions générales très impliquées », souligne Pascal Koenig. Direction financière (68 %) et direction générale (64 %) sont à la pointe en tant que moteurs décisionnels.
Et ces convictions sont profondes à en juger par la volonté de poursuite des stratégies d’investissement à impact : 64 % des investisseurs affirment souhaiter renforcer leurs positions (73 % pour les assureurs).
«Ce qui est notable dans la mise en place des stratégies à impact, c’est l’implication top-down au sein des organes de gouvernance, avec des directions générales très impliquées.
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Les actifs réels, voie royale pour l’impact investing
En termes de thématiques d’intérêt, l’étude fait nettement ressortir l’environnement. Parmi les objectifs de développement durable (ODD, au nombre de 17 définis par l’ONU), les investisseurs institutionnels plébiscitent en effet le thème de la lutte contre le changement climatique avec un taux de 86 % (36 % l’ont placée en premier choix). La deuxième thématique privilégiée est l’accès à la santé, qui recueille 54 % des suffrages. Viennent ensuite la réduction des inégalités (50 %), les villes et communautés durables (43 %) et la biodiversité terrestre et marine (respectivement 43 % et 32 %). Des objectifs souvent associés à l’histoire des entreprises interrogées. « Deux thématiques clés retiennent particulièrement notre attention pour leur impact social et sociétal : le bien-vieillir et le développement des territoires », indique ainsi Jean-Bernard Ott, responsable allocation et politique ESG de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens.
S’agissant des véhicules d’investissement, les investisseurs institutionnels privilégient les actifs réels en s’appuyant principalement sur l’expertise de tiers externes. Ainsi, 50 % (premier choix) des répondants investissent de façon indirecte, en sélectionnant des investissements non cotés (fonds de private equity). Ils réalisent aussi des investissements de proximité, de façon directe (21 %). Les investissements en titres cotés de façon directe ou via le support d’un tiers externe sont plus marginaux : 18 % au moyen de fonds collectifs (mais 27 % pour les assureurs) et 11 % en investissement direct en titres cotés.
Encore des freins à surmonter
Le tableau ne serait pas complet sans une analyse des freins à l’investissement à impact, qui sont bien réels. En effet, seuls 25 % des investisseurs institutionnels (40 % des mutualistes) considèrent qu’ils ne sont pas confrontés à des résistances pour déployer une stratégie en matière d’investissement à impact au sein de leur établissement. Les blocages sont liés à la crainte d’une performance financière moindre sur ce type d’investissement (76 %), à un manque ou une insuffisance de preuves de l’impact (57 %), aux risques d’impact washing (52 %). « Nous sommes particulièrement vigilants sur les risques d’impact washing et leurs répercussions potentielles immédiates sur l’investisseur, notamment en termes de réputation, souligne ainsi Michèle Lacroix, responsable développement durable du groupe SCOR. Investir dans un projet à impact positif exige une analyse minutieuse des risques encourus en cas de non-réalisation de l’impact envisagé. Les risques d’externalités négatives ne peuvent être négligés. » Pour Jean-Laurent Granier, le mot impact est « très à la mode ». « Cependant, il faut le manier avec précaution car la mise en œuvre est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît et il faut éviter à tout prix l’impact washing pour des questions d’éthique et de réputation », pointe-t-il.
Autre point important à souligner, « l’offre se révèle encore insuffisante aux yeux de 52 % des investisseurs institutionnels », remarque Pascal Koenig. S’ajoutent des difficultés propres à une matière en émergence, qui ne peut encore s’appuyer sur des données structurées. Ainsi, les investisseurs soulignent leurs craintes sur les sujets de normes et méthodes : insuffisance de transparence et hétérogénéité des indicateurs et/ou de leur méthode de détermination (61 %), accès et coût de la donnée. L’absence d’une mesure explicite de l’additionalité peut aussi entraver le fonctionnement au quotidien pour 71 % des institutionnels.
Un objectif de rendement à atteindre
Les institutionnels ont enfin été questionnés sur les façons d’encourager l’investissement à impact. Aujourd’hui, 71 % d’entre eux estiment qu’il faut une fiabilisation des mesures d’impact et 54 % se prononcent pour une généralisation des référentiels de place. La création d’un label impact est souhaitée par un tiers d’entre eux (32 %).
Plus encore, la preuve du rendement apporté serait appréciée. Une « monétisation » des impacts semble nécessaire pour achever de convaincre (selon 39 % des répondants). « Cette idée trouve son chemin, avec un taux qui atteint 55 % chez les assureurs », précise Pascal Koenig. « L’investissement à impact ne pourra se développer qu’avec le soutien de politiques publiques volontaristes et l’élaboration de méthodes précises de quantification de l’impact, idéalement en points de base », confirme Michèle Lacroix. Le réalisme financier prévaudra toujours. « La nécessité de générer un rendement financier suffisant pour couvrir les prestations retraite de nos assurés nous oblige à n’aller que sur des projets à impact ayant un minimum de rendement en phase avec sa classe d’actif », indique Jean-Bernard Ott. Du côté des asset managers, ce point est retenu. « L’objectif de rendement reste un driver clé ; dans un contexte de taux encore élevés et de volatilité forte, les fonds à impact n’ont pas encore démontré (et c’est normal) leur capacité à conjuguer impact et rendement en ligne avec les promesses des marchés de private equity sur des entreprises à des stades de maturité similaire, concède Mathieu Azzouz, impact investing portfolio manager chez Amundi. L’impulsion donnée par les directions générales et/ou les directions financières sera déterminante pour faire pivoter une partie de leurs investissements vers l’impact. »
Malgré les aléas propres à tout investissement, l’impact, dont l’apport spécifique est unanimement reconnu par les institutionnels, est inexorablement amené à occuper un poids croissant dans les portefeuilles. « Avant, nous répondions à la quête de sens par l’investissement responsable, approche qualitative et éthique, mais, depuis le début, il existe une véritable congruence entre les enjeux d’impact et la notion d’investissement à long terme que permet l’assurance vie, analyse Jean-Laurent Granier. Aujourd’hui, l’attendu est d’avoir un impact quantifiable pour la société et fondé sur la science pour l’environnement : c’est toute la différence de l’investissement à impact. » L’innovation pourrait être la clé pour lever les freins qui préoccupent les investisseurs institutionnels. « Pour répondre à la demande des épargnants en quête de sens comme à celle des institutionnels de plus en plus enclins à payer pour une meilleure performance ESG, les sociétés de gestion doivent persister dans l’innovation », affirme Guillaume Abel, directeur général délégué de Mirova. Des investissements en ce sens pourraient faire la différence à l’avenir.