Le grand débat

Low carbon : La décarbonation entre dans un nouveau paradigme

Publié le 21 juin 2024 à 14h00

Sandra Sebag    Temps de lecture 23 minutes

L’industrie financière a adopté des engagements en matière de décarbonation des investissements qui se sont traduits par des avancées notables. La baisse des émissions de l’ordre de 25 % sur cinq ans d’ici à 2025 semble actée chez la plupart des investisseurs institutionnels et gérants d’actifs présents dans les grandes coalitions internationales. Une nouvelle phase s’ouvre maintenant qui s’avère bien plus complexe. En effet, il s’agit de convaincre les entreprises des secteurs les plus émetteurs de carbone de mettre en place des plans de transition et d’évaluer ces derniers. Les indicateurs à prendre en compte doivent aussi gagner en complexité pour s’adresser à l’ensemble des émissions induites par les entreprises de façon directe ou indirecte.

Les intervenants :

  • Carlos Araujo-Blanco, Allianz France
  • Matthieu Jouanneau, Amundi
  • Alix Chosson, Candriam

Photos : Véronique  Taupin

Quels engagements avez-vous pris pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique ?

Carlos Araujo-Blanco, directeur ESG, innovation et gouvernance au sein de l’unité investissements d’Allianz France : Le groupe Allianz est un des membres fondateurs de l’« Asset Owner Net Zero Alliance » et s’est engagé à ce titre à être neutre en carbone d’ici à 2050. Cet accord comprend des cibles intermédiaires tous les cinq ans. Nous avons commencé avec un objectif de -25% d’ici à 2025 et -50% d’ici à 2030. Nous sommes confiants quant aux premiers objectifs, l’enjeu reste de réduire les dernières émissions de carbone. Nous avons mis en place un plan de transition granulaire qui cible les secteurs qui émettent le plus de carbone. C’est le cas de l’acier, du ciment et des secteurs des énergies fossiles, des services aux collectivités locales ou encore de l’automobile. Nous nous appuyons dans ce cadre sur l’expertise interne ainsi que sur d’autres gestionnaires d’actifs qui proposent des fonds et des mandats qui peuvent nous aider à diminuer notre empreinte carbone.

Matthieu Jouanneau, responsable des solutions environnementales quantitatives chez Amundi : Nous nous sommes engagés dans la « Net Zero Asset Managers Initiative », qui est le pendant de celle des asset owners et permet de les accompagner et de parvenir ensemble à la neutralité carbone d’ici 2050. Notre engagement passe également par des objectifs intermédiaires. D’ici 2025, nous souhaitons porter à 18 % la part de nos encours gérés avec des objectifs net zéro. Cet objectif est ambitieux puisqu’il se traduit par une volonté de réduire cette empreinte à la fois dans les fonds ouverts et dans les mandats de gestion. Nous accompagnons nos clients qui souhaitent réduire leur empreinte carbone, d’autres qui souhaitent investir dans des solutions climatiques. Nous nous appuyons aussi sur une politique d’engagement ambitieuse, afin d’accompagner les entreprises dans leur transition. Dans le cadre de notre plan stratégique Amundi ESG 2025, nous nous sommes fixé pour objectif d’engager 1 000 entreprises supplémentaires sur les enjeux du climat, par rapport à 2022. A fin 2023, cet objectif était presque atteint, avec déjà 966 entreprises supplémentaires engagées.

Alix Chosson, analyste senior ESG, climat et environnement chez Candriam : Nous sommes aussi engagés à être neutres en carbone avant 2050 avec des objectifs intermédiaires pour 2030. Rappelons par ailleurs que si nous avons publié notre stratégie « net zéro » en 2022, beaucoup de nos stratégies ISR (investissement responsable) avaient des objectifs carbone depuis 2018. Nous avons accéléré cette démarche avec une intégration systématique dans les outils de gestion et le monitoring de ce risque. Nous disposons ainsi maintenant d’un budget carbone au même titre que nous possédons un budget de risque. Nous avons structuré notre stratégie autour de 4 piliers. Le premier porte sur l’engagement, nous employons six collaborateurs pour mener cette stratégie dont une collaboratrice dédiée entièrement à la problématique « net zéro ». Notre objectif est d’engager 70 % des émetteurs qui se situent dans le périmètre de notre gestion « net zéro ». Nous ne mettons pas seulement en place des moyens, nous cherchons à obtenir des résultats. Si ces derniers ne sont pas au rendez-vous, nous nous laissons la liberté de déposer une résolution sur le climat ou de désinvestir certains noms. Nous avons également adopté un objectif de décarbonation des portefeuilles, mais à la limite, il ne s’agit pas du volet le plus impactant ou du plus difficile. Pour réduire l’empreinte carbone d’un portefeuille, Il suffit par exemple de réduire la part de certains secteurs clés pour la transition comme celui des services aux collectivités locales ou de l’industrie et d’augmenter la part de la technologie, des médias ou de la pharmacie, ce qui finalement n’apporte pas grand-chose pour le financement de la transition. Il nous a ainsi semblé important d’introduire un volet sur l’analyse entreprise par entreprise de leur trajectoire net zéro. Nous nous appuyons notamment sur les travaux scientifiques de l’AIE (Agence internationale de l’énergie) pour établir la trajectoire des entreprises pour chaque secteur. Enfin, nous travaillons sur le financement de solutions pour aider à la transition. Nous avons étendu dans ce cadre nos stratégies thématiques.

Vos clients sont-ils ouverts aux enjeux climatiques ?

Matthieu Jouanneau : Certains clients nous demandent spontanément de mettre en œuvre des objectifs net zéro dans leur gestion, notamment ceux qui ont rejoint des alliances net zéro (NZAOA, PAAO). Dans un marché qui est encore en pleine transformation sur ces sujets, ce n’est pas le cas de tous nos clients. Nous échangeons directement avec de nombreux clients afin de renforcer leur prise de conscience et nous faisons œuvre de pédagogie sur nos objectifs climatiques, sur leur importance. Nous menons un travail de conviction. En parallèle, nous sommes en train de lancer des fonds ouverts à tous les investisseurs sur toutes les classes d’actifs avec un objectif net zéro.

Le retrait de grands investisseurs américains de certaines coalitions a-t-il un impact sur le développement des solutions bas carbone ?

Alix Chosson : Le paysage ESG évolue aujourd’hui à plusieurs vitesses. Il devient plus compliqué de parler d’ESG aux Etats-Unis, il ne s’agit plus seulement d’une question commerciale, mais aussi d’une question légale. Il faut aussi relativiser les sorties de coalitions, qui ne sont pas toujours de réelles sorties. Elles relèvent parfois plus d’un message politique qui ne se traduit pas forcément dans les faits par des changements concrets. Concernant la coalition Action pour le climat 100+, la première phase correspond à une phase de reporting qui convient à tout le monde, en revanche, la deuxième phase est plus complexe car elle consiste à pousser les entreprises à s’améliorer. Le consensus est ainsi moindre sur le rythme de transition qui doit être mis en place. Nous pouvons en effet constater des divergences entre des très grands acteurs qui se doivent d’utiliser des approches générales et des acteurs spécialisés dans l’ESG comme Candriam, qui se veulent plus exigeants.

Matthieu Jouanneau : Il y a effectivement une différence d’évolution entre les Etats-Unis et l’Europe, pour autant, on ne peut pas dire que cela ait affecté la dynamique en cours dans le cadre de ces alliances. Les acteurs engagés ont envie d’avancer. En parallèle, l’Asie et le Moyen-Orient sont eux aussi en train d’évoluer sur ces sujets. L’attention se focalise beaucoup sur le retour en arrière aux Etats-Unis, cependant, en Europe mais aussi en Asie et au Moyen-Orient, la tendance est plutôt favorable.

Carlos Araujo-Blanco : Nous sommes loin d’une gouvernance ESG mondiale. Il existe une taxonomie en Europe, il en existe d’autres en Asie. Chaque continent, voire chaque pays, possède une approche différente des critères environnementaux, qui dépend aussi de la réalité du pays. Nous pouvons faire le parallèle avec le secteur du bâtiment. Dans certains pays, les températures sont plus élevées que dans d’autres, nous ne pouvons ainsi pas utiliser les mêmes normes ou DPE (diagnostics de performance énergétique). Nous devons essayer d’aligner les approches, mais cela n’est pas toujours évident car elles possèdent souvent une dimension politique.

Allianz France- Données clés

  • Objectifs de décarbonation : net zéro d’ici 2050 avec cibles intermédiaires de -25% d’ici à 2025 et -50% d’ici à 2030.
  • Part des actifs alignés sur les accords de Paris : 4,4 milliards d’actifs verts, dont 2,2 milliards en obligations vertes, 696 millions en énergies renouvelables, et 1,5 milliard en immobilier durable certifié.
  • Philosophie d’investissement : stratégie par classe d’actifs, financement d’actifs verts et promotion de la transition énergétique. Investissements en faveur de la protection de la biodiversité et de l’économie circulaire.

"En matière de stratégie ESG et climat, les politiques sont fixées dans une optique de long terme et n’évoluent pas au gré de la volatilité de marché." - Carlos Araujo-Blanco, Allianz France

Au-delà des aspects politiques, la contre-performance enregistrée en 2022 a-t-elle joué sur l’engagement des investisseurs ?

Matthieu Jouanneau : Il est vrai qu’en 2022 le secteur énergétique et en particulier celui du pétrole ont fortement surperformé, ce qui a créé un écart important entre les fonds verts et/ou ESG et les grands indices mondiaux. En 2023 a contrario, les indices alignés sur les accords de Paris ont délivré une performance voisine de celle des grands indices mondiaux, voire parfois supérieure. D’ailleurs sur le temps long, les études montrent qu’il n’y a pas d’écart significatif de performance entre les fonds ESG et non-ESG.

Alix Chosson : Effectivement les deux dernières années ont été plus compliquées pour les stratégies ESG très pures qui excluent certains secteurs qui ont surperformé. La transition n’est pas linéaire et encore moins la transition sur les marchés. Nous devons en tant qu’investisseur de long terme et de convictions identifier les problématiques temporaires des enjeux à long terme. En 2023, nous avons battu des records en termes d’installation de nouvelles capacités d’énergie renouvelable. Il s’agit d’un mouvement de long terme qui crée de la valeur et qui devrait continuer à s’accélérer.

Carlos Araujo-Blanco : En matière de stratégie ESG et climat, les politiques sont fixées dans une optique de long terme et n’évoluent pas au gré de la volatilité de marché. Nous possédons une politique d’exclusion du charbon, du pétrole et du gaz qui s’inscrit dans une démarche de long terme.

Quelles méthodologies utilisez-vous ?

Carlos Araujo-Blanco : Nous travaillons de façon granulaire sur les secteurs. Nos cibles sectorielles pour 2030 sont issues des travaux de la Transition Pathway Initiative (TPI). Ces études s’appuient sur les scénarios de l’AIE pour déterminer les trajectoires attendues des secteurs de l’économie afin d’atteindre l’objectif de réchauffement à 1,5 degré. Pour le secteur des services aux collectivités locales par exemple, nous souhaitons que les entreprises de notre portefeuille se situent en 2030 à 0,17 tonne de CO2 par mégawatt produit pour le scope 1. Nous analysons les entreprises, leur politique d’investissement, leur mix énergétique, etc. Prenons aussi l’exemple du secteur de l’acier, notre cible à 2030 nous guide vers 1,18 tonne de CO2 par tonne d’acier produite. En déterminant des critères précis, nous pouvons dialoguer avec les sociétés et les gestionnaires d’actifs pour déterminer si leur approche est pertinente par rapport à nos objectifs.

Matthieu Jouanneau : Depuis quelques années maintenant nous utilisons comme indicateur la trajectoire carbone. Comme il a été indiqué, il est relativement facile de réduire l’empreinte carbone d’un portefeuille. Mais en l’utilisant, nous sommes parfois amenés à réduire les expositions aux secteurs à enjeu en augmentant le poids des secteurs financiers, IT et de la santé par exemple. Cela peut sembler contre-productif lorsque l’on considère ces objectifs au regard des besoins de financement des secteurs de l’énergie, de l’industrie, etc. Actuellement, nous nous situons dans un changement de paradigme consistant à compléter les objectifs de trajectoire par d’autres indicateurs comme ceux liés aux secteurs (tCO2e/kWh, tCO2e/baril). Cette approche nous semble très pertinente. Nous utilisons aussi la part d’investissement vert, indicateur qui se focalise sur la part des financements alloués aux solutions dont nous avons besoin pour réaliser la transition (énergies renouvelables, batteries, voitures électriques, etc.). Nous regardons aussi des indicateurs liés à la gouvernance et aux politiques climat mises en place par les entreprises. Chez Amundi, nous sommes en train de développer un indicateur intégré sur ce sujet. Nous utilisons maintenant des batteries d’indicateurs complètes qui permettent de mieux mesurer l’impact réel des entreprises.

Alix Chosson : La donnée empreinte carbone ou intensité carbone n’est pas l’indicateur le plus intéressant. Pour donner un exemple, dans nos fonds article 9, la stratégie la plus carbonée s’inscrit dans notre fonds climat car il investit dans les services aux collectivités locales, le transport, l’industrie en sélectionnant dans chacun de ces secteurs des entreprises en transition ou qui apportent des solutions à la transition. Ces secteurs auront, même s’ils se situent dans le domaine des énergies renouvelables, une empreinte carbone toujours supérieure au secteur de la technologie par exemple. Nous sommes ainsi en train d’évoluer vers des métriques plus sophistiquées comme la part verte ou encore la notion de température qui permet d’évaluer le positionnement climat d’une entreprise via notamment des indicateurs physiques, plus pertinents pour mesurer la décarbonation réelle des activités. Nous avons besoin pour cela d’analyses fondamentales et prospectives.

Candriam - Données clés

  • Effectifs dans l’expertise : 25 personnes dans l’équipe ESG.
  • Encours dans l’expertise et % par rapport aux encours globaux : les fonds sustainable article 9 représentent 24,6 milliards d’euros d’encours soit 16,8 % des encours globaux de Candriam. Tous ces fonds possèdent au moins un objectif climat.
  • Historique de performance dans un fonds phare de la catégorie : Candriam Sustainable Equity Climate Action, performances annuelles. Part I en dollar US : 4,92 % en 2023, – 26,62 % en 2022 et 14,13 % en 2021.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Candriam Sustainability Equity Climate Action investit principalement dans des actions d’entreprises de moyenne et de grande capitalisation dans le monde entier, entreprises qui sont considérées comme des leaders et futurs leaders de l’action climatique.

"Il faut adapter systématiquement l’approche et la méthodologie à chaque classe d’actifs." - Alix Chosson, Candriam

Vous remettez en cause l’existence d’un indicateur unique et simple. Est-ce que cela ne va pas affecter la compréhension du facteur climat ?

Carlos Araujo-Blanco : L’empreinte carbone est intéressante, mais il faut analyser les actions mises en œuvre concrètement par les entreprises pour juger de sa pertinence. L’indicateur constitue une cible à atteindre, mais il y a différents moyens pour y arriver. Lorsque nous nous engageons avec une entreprise, nous évaluons les options qui sont prises. Nous souhaitons aussi nous assurer que leurs cibles soient vérifiées par un tiers externe qui évalue leur trajectoire.

Matthieu Jouanneau : L’empreinte carbone a l’avantage d’être standard et partagée. A moyen terme, considérer son évolution permet aussi de déterminer une trajectoire et de comparer les entreprises. En revanche, elle n’est pas suffisante pour aller sélectionner des émetteurs qui se situent dans la bonne trajectoire, et elle peut évoluer pour d’autres raisons que le climat : par exemple, les gérants qui utilisaient comme indicateur les émissions par rapport au chiffre d’affaires ont vu leurs données affectées par l’inflation.

Alix Chosson : La tonne de carbone est une métrique universelle. Mais dans l’ESG, ce qui important, c’est le contexte. Il n’est pas toujours pertinent d’agréger des données. Nous sommes pris entre la volonté d’harmoniser et d’avoir des indicateurs simples et compréhensibles, notamment pour les épargnants, et celle d’analyser la complexité.

La prise en compte du climat est-elle possible dans toutes les classes d’actifs ?

Carlos Araujo-Blanco : Nous investissons dans toutes les classes d’actifs et menons une stratégie différente selon chacune. Dans les actions, les données sont plus nombreuses, nous pouvons ainsi déterminer la trajectoire des entreprises. Dans l’immobilier, nous suivons une méthodologie qui trace la trajectoire d’alignement pour les bâtiments sur une hausse des températures limitée à 1,5 degré. Cela prend en compte différents indicateurs : la consommation d’énergie du bâtiment, la géographie qui est très importante car le mix énergétique d’un pays a un impact sur le calcul des émissions liées à l’achat d’électricité, les dépenses d’isolation, etc. Dans le cadre des fonds, nous commençons à mettre en place des règles liées à SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation). Nous privilégions les fonds article 8 et article 9 et exigeons un minimum d’investissement dans les actifs durables dans ces véhicules. En tant qu’assureur, nous offrons des produits avec un engagement SFDR précontractuel, nous ne pouvons pas nous permettre de sélectionner des fonds qui ne sont pas en ligne avec nos engagements vis-à-vis des clients finaux. La classe d’actifs sur laquelle une politique bas carbone est la plus difficile à appliquer concerne les produits dérivés pour lesquels il n’existe pas de solution ESG aujourd’hui.

Matthieu Jouanneau : Chaque classe d’actifs possède en effet des spécificités et nécessite d’être étudiée finement et d’adapter la stratégie net zéro qui ne peut pas être uniforme. Le fait de proposer des solutions net zéro sur toutes les classes d’actifs est l’un des objectifs de notre plan Ambition ESG 2025, et nous travaillons activement à développer des méthodes et solutions net zéro adaptées aux spécificités de chacune d’elles. Prenons un exemple concret sur lequel Amundi se penche actuellement, les obligations gouvernementales. Elles représentent des parts très importantes des portefeuilles des investisseurs institutionnels, pourtant nous ne possédons pas de stratégie net zéro applicable à cette classe d’actifs. Elles relèvent en effet souvent d’indices de référence très concentrés. Il est difficile d’agir sur cette classe d’actifs qui est de plus utilisée souvent comme collatéral (ou garantie) car très liquide. Développer une stratégie net zéro sur cette classe d’actifs nécessite des analyses très poussées et cela prend du temps. Prenons l’exemple également d’une obligation gouvernementale sur les économies développées et d’une autre sur les pays émergents, le rythme de transition est différent, la disponibilité des données est également variable. Nous devons ainsi, à chaque fois que nous travaillons avec un investisseur institutionnel, bien comprendre les enjeux et adapter la stratégie en fonction de ceux-ci.

Alix Chosson : Nous sommes parfaitement en accord avec le fait qu’il faut adapter systématiquement l’approche et la méthodologie à chaque classe d’actifs. Nous possédons chez Candriam une expertise historique et importante sur les actifs alternatifs privés et liquides. Sur les actifs privés, nous avons développé des stratégies à impact sur lesquelles nous parvenons à récupérer des données et à avancer. Sur les actifs alternatifs liquides comme les fonds avec un objectif de performance absolue à travers des stratégies long/short par exemple, elles ont été pendant longtemps absentes de l’univers de l’ESG car les investisseurs avec une forte appétence pour l’ESG les considéraient comme « intouchables ». Il s’agit d’un marché conséquent qui ne peut ainsi faire l’impasse sur l’ESG. Nous avons travaillé avec les équipes de gestion pour intégrer l’ESG dans ces stratégies. Plus généralement, nous devons prendre en compte la transparence propre aux secteurs et aux classes d’actifs sous-jacents. A titre d’exemple, les expositions sectorielles sur la dette notée en catégorie high yield sont très différentes de celles sur la dette mieux notée et elles induisent une moindre transparence. Il n’y a pas une transition, mais des transitions en fonction de la zone géographique ou du secteur. Nous disposons d’une recherche fondamentale solide pour aborder ces différences. Nous possédons par ailleurs une offre importante en fonds thématiques sur le climat, l’eau, l’économie circulaire ou encore les transports. Il existe enfin sur le marché une offre importante dans la gestion passive à travers les indices PAB et CTB alignés sur les accords de Paris. Mais nous considérons qu’il est possible d’accélérer davantage la transition à partir de fonds de conviction très concentrés notamment sur les solutions plutôt que d’aller investir sur des stratégies passives.

Matthieu Jouanneau : Nous avons besoin de fonds de gestion active et de fonds de gestion passive. L’intérêt des fonds indiciels est de pouvoir embarquer un grand nombre d’investisseurs dans la transition à travers des fonds présentant un écart de performance limité par rapport aux grands indices classiques et qui permettent ainsi une démocratisation de ce type d’investissement. Il est vrai par ailleurs que la gestion passive doit évoluer. Nous disposons de gammes de fonds indiciels qui ont permis aux portefeuilles d’évoluer rapidement en permettant de mettre en place des expositions rapides et simples à des produits bas carbone, mais cette industrie doit progresser. Nous sommes en train de voir arriver une nouvelle version de l’offre de fonds alignés sur les accords de Paris. Ils sont enrichis par d’autres indicateurs que la trajectoire, ils considèrent aussi les engagements des entreprises, les indicateurs taxonomie, etc. J’aimerais par ailleurs souligner l’importance de la notion de « part verte » d’un fonds issue de la taxonomie qui permet d’évaluer précisément les investissements réalisés. Dans les pays émergents, nous devons en revanche trouver des indicateurs, faute de réglementation dans de nombreux cas. Nous avons conclu des partenariats à ce sujet avec la Banque mondiale afin d’identifier les projets à financer.

Amundi - Données clés

  • Effectifs dans l’expertise : une équipe de 70 personnes composée notamment d’experts en analyse ESG, en matière de vote et d’engagement et en méthodologie de notation avec plus de 10 ans d’expérience.
  • Historique de performance dans un fonds phare de la catégorie : Amundi Funds Net Zero Ambition Global Equity – A USD (C) (LU2531474588) – performance nette en 2023 : 26,24 %
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Amundi Funds Net Zero Ambition Global Equity est une solution d’investissement en actions qui évalue la crédibilité et la faisabilité des objectifs de décarbonation des entreprises. Ce fonds utilise une méthodologie développée par Amundi appelée « capital environnemental ». Il investit dans les grandes capitalisations et sélectionne en priorité les « champions du climat » c’est-à-dire les sociétés considérées comme bien avancées dans leur réduction des émissions de carbone.

"Nous observons un fort momentum : les émissions d’obligations vertes et durables ont augmenté de 45 % en 2023 pour atteindre 209 milliards de dollars, un record historique." - Matthieu Jouanneau, Amundi

Que pensez-vous des « green bonds », ne permettent-ils pas aussi d’aller plus vite sur le chemin de la décarbonation ?

Carlos Araujo-Blanco : Le groupe Allianz était investi à hauteur de 31 milliards d’euros à fin 2023 dans des solutions climatiques. Notre cible est d’investir d’ici à 2030 quelque 20 milliards d’euros supplémentaires. Nous nous appuyons pour atteindre cet objectif sur les obligations vertes car il s’agit de l’un des produits les plus purs avec une traçabilité sur les projets financés, ainsi que sur des actifs alignés à la taxonomie de l’UE. Nous investissons notamment dans les projets liés aux bâtiments verts certifiés.

Matthieu Jouanneau : Nous sommes aussi des grands défenseurs des « green bonds ». Il existe un consensus sur le marché pour estimer que ces instruments sont très utiles. Ils apportent de la traçabilité et de la transparence. Nous disposons en interne d’une équipe dédiée à l’analyse des projets « green bonds », ce qui nous permet de nous assurer que nos investissements sont en ligne avec nos objectifs. Nous observons un fort momentum : les émissions d’obligations vertes et durables ont augmenté de 45 % en 2023 pour atteindre 209 milliards de dollars, un record historique. Fin 2023, Amundi avait investi plus de 65 milliards d’euros en obligations vertes et durables sur l’ensemble de ses portefeuilles.

Vous appuyez-vous dans vos travaux sur des scientifiques, des experts du climat ?

Alix Chosson : Il existe des passerelles entre les entreprises privées et le monde académique. Cette dimension est centrale dans un monde où la dimension ESG intègre des vues subjectives. Nous avons besoin de travaux scientifiques pour évoluer dans la bonne direction, comme les scénarios du GIEC ou les trajectoires sectorielles de l’AIE. Ces références scientifiques sont absolument clés tant dans notre analyse que dans nos efforts d’engagement avec les sociétés dans lesquelles nous investissons.

Matthieu Jouanneau : Nous devons disposer de cadres fondés sur la science, mais utilisables dans notre quotidien. Le SBTi (Science-Based Targets initiative) a réalisé un travail important pour traduire l’impact des différents scénarios dans l’activité des entreprises. Le secteur financier se repose beaucoup sur ce type d’analyses. Sur les enjeux nouveaux, nous devons travailler avec des scientifiques. Nous nous sommes dotés de comités pour certains fonds composés de scientifiques afin d’évaluer les projets et les entreprises à financer. Nous mettons aussi en place des collaborations avec des académiques comme avec le MIT sur les scénarios climat.

Quelles sont les prochaines avancées à attendre en matière de réglementation ?

Matthieu Jouanneau : A l’échelle européenne et nationale, l’arsenal réglementaire s’est fortement renforcé ces dernières années. L’enjeu est désormais de passer à une phase d’implémentation, et d’apporter le plus de clarté possible pour les investisseurs. La mise en œuvre de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) devrait apporter de la transparence sur l’activité des entreprises et jouera un rôle très important à cet égard. La réglementation sur le nom des fonds est aussi importante pour les sociétés de gestion et Amundi suit cela de près.

Carlos Araujo-Blanco : Nous sommes de notre côté impliqués dans l’implémentation de la loi industrie verte (LIV), qui nous contraint en matière de devoir de conseil. A partir du mois d’octobre, nous allons devoir consulter nos clients sur les indicateurs taxonomie, investissement durable et PAI (principal adverse impacts) qu’ils souhaitent voir utiliser dans les produits financiers auxquels ils souscrivent. Cela signifie que nous pourrions être amenés à ajuster l’univers d’investissement de nos offres en assurance vie. Nous allons devoir par ailleurs ajouter une part de produits non cotés dans certains profils des produits d’assurance vie en ligne avec la LIV. Là encore, nous allons devoir ajuster l’offre. Nous avons un sujet similaire avec le label ISR dont la nouvelle version nous conduira peut-être à devoir chercher de nouveaux partenaires si certains gérants décident de ne pas relabelliser leurs fonds compte tenu des évolutions plus contraignantes, mais très positives, du référentiel.

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