La réduction du financement public des formations aura un impact pour les entreprises qui ont recours à l’apprentissage. Le secteur de la finance n’est toutefois pas près de se passer des alternants.
C’est de saison. Le 10 avril, la banque Delubac & Cie, comme d’autres, a lancé sa recherche d’alternants pour la rentrée. « Nous avons passé une trentaine d’annonces dans les fonctions business (chargé d’affaires entreprises, par exemple) et support (informatique, conformité et risques, communication-marketing, ressources humaines, etc.), le recrutement sera achevé d’ici la fin juin », se félicite Clémence Jousset, directrice du recrutement. Si elle est atypique dans le secteur bancaire avec ses 430 salariés, travaillant avec des « pays complexes » et proposant des crypto, Delubac illustre l’importance de l’apprentissage.
Dans les sociétés et les métiers de la finance où les transitions écologique, énergétique et numérique reconfigurent en profondeur la relation au travail et les compétences requises, intégrer de jeunes talents avec un contrat d’apprentissage est un enjeu d’avenir. En 2024, le groupe BPCE comptait ainsi 4 577 alternants, dont 1 970 en banque de détail des particuliers. Ils étaient 19 650 parmi tous les adhérents à la Fédération bancaire française (FBF). Les membres de France Assureurs, eux, ont employé 7 360 alternants, dont 86 % en contrat d’apprentissage, l’an dernier.
Une crainte de disparition des aides en 2026
Cette dynamique, née de la loi de 2018 qui a ouvert l’apprentissage aux études supérieures, risque-t-elle d’être sapée du fait d’aides à l’embauche d’apprentis réduites par la loi de finances 2025 ? Avec plus d’un million de contrats signés en 2023 et un coût dépassant 20 milliards d’euros entre 2018 et 2021, ces ajustements répondent à des impératifs budgétaires de l’Etat. Très concrètement, l’aide à l’embauche tombe de 6 000 à 2 000 euros pour les entreprises de plus de 250 salariés. Et un reste à charge de 750 euros pour la formation de l’apprenti serait instauré en juillet. Les fédérations France Assureurs, Syntec et FBF, qui avaient rédigé un Livre blanc en janvier 2024 avec dix propositions « pour relever ensemble le défi des compétences », regrettent ces choix. « Les aides à l’embauche avaient été élargies à toutes les entreprises au moment de la crise sanitaire, précise Alexis Meyer, directeur social & diversité de France Assureurs. En 2025, la baisse de 6 000 à 2 000 euros vise celles de plus de 250 salariés. Nous craignons qu’elles disparaissent totalement en 2026. » Sur le périmètre de l’opérateur de compétences des entreprises et salariés des services financiers et du conseil Opco Atlas, « la baisse globale de l’aide à l’embauche coûtera 134,4 millions d’euros aux entreprises », indique Cathy Riffaut-Chesnel, responsable emploi, formation et diversité de France Assureurs.
«Nous avons choisi de préserver notre engagement, en maintenant un quota de 32 alternants sur l’ensemble du territoire, pour un effectif total de 550 collaborateurs en CDI.»
Parmi les autres mesures annoncées, un reste à charge obligatoire pour les contrats d’apprentissage visant les bac + 3-5 et plus va être acté par décret, alors que près de 83 % des contrats seraient concernés dans la branche. « Cela va alourdir le coût pour nos entreprises qui contribuent déjà, en complément des niveaux de prise en charge, à hauteur de 2 644 € en moyenne par contrat pour la formation, précise Cathy Riffaut-Chesnel. De plus, ce sont les entreprises qui financent le dispositif via leur contribution annuelle de 1,6 % (CUPFA). »
Malgré ce contexte, « nous avons choisi de préserver notre engagement en maintenant un quota de 32 alternants sur l’ensemble du territoire (pour un effectif total de 550 collaborateurs en CDI, soit 6 %) », déclare Anne Le Clair, membre du directoire d’Arkéa Banque Entreprises (groupe Crédit Mutuel Arkéa) et directrice du pôle couvrant notamment les RH. Le groupe de protection sociale et patrimoniale Apicil, qui recrute une centaine d’alternants par an, a quant à lui réajusté le nombre d’une dizaine. « Cela étant, nous avons toujours eu recours à l’alternance de manière ciblée, en fonction de nos besoins, explique son DRH, Frédéric Faye. Lorsqu’il s’agit de renforcer une équipe, l’alternance constitue un levier efficace pour attirer de nouveaux talents, que nous pouvons ensuite intégrer durablement à l’issue de leur contrat. »
Une source d’embauches importante
L’apprentissage présente de nombreux avantages. Il favorise l’inclusion : « Parmi les alternants de l’assurance, un jeune sur cinq est issu des quartiers prioritaires de la ville ; l’apprentissage constitue un véritable ascenseur social », relève France Assureurs. Avec leurs réseaux, les banques peuvent aussi attirer des jeunes dans toutes les régions. C’est le cas bien sûr de groupes régionaux tel que Crédit Mutuel Arkéa, qui accueille 1 000 alternants par an, notamment en Bretagne et Nouvelle-Aquitaine, mais aussi d’Apicil installé depuis un an dans la plus grande tour de Lyon pour une « nouvelle expérience collaborateurs » ou d’un établissement comme Delubac et ses 14 agences, qui reçoit des candidats de Lille, Lyon ou Marseille : « La proximité de l’école est importante pour les étudiants, notamment pour éviter des frais supplémentaires de déplacement et de logement », note Clémence Jousset.
Dans le secteur, l’alternance constitue une réponse à une pyramide des âges défavorable, des difficultés à recruter et une pénurie de talents. « C’est un dispositif qui permet d’intégrer efficacement des jeunes, de les former, en vue d’une embauche », constate Alexis Meyer. Soucieuse de « former la prochaine génération de professionnels », Anne Le Clair fait valoir le renforcement de la marque employeur et « la constitution d’un vivier de talents à qui nous proposerons un CDI à l’issue de leur alternance (environ huit contrats, en fonction des parcours universitaires) ». Les contrats en alternance représentent un quart des embauches dans les sociétés d’assurances, et l’enquête insertion 2024 de l’Opco Atlas, indique que 86 % des alternants étaient en emploi 24 mois après leur diplôme, 62 % d’entre eux en CDI. Dans la banque, le taux de transformation se maintient à 38 % des alternants intégrés dans leur entreprise d’accueil à la fin de leur formation et un taux d’insertion professionnelle à six mois de 85 %.
Il ne s’agit plus d’une orientation « par dépit », constate David-Alexandre Gava, co-fondateur de la plateforme spécialisée dans l’insertion professionnelle Engagement Jeunes, mais bien d’une volonté de trois parties, désormais très conscientes de l’intérêt de cette modalité pédagogique de l’enseignement supérieur.
Un vivier de talents
Si BNP Paribas ne peut répondre à toutes les demandes en banque d’affaires, le secteur ne se réduit pas non plus à l’agence du coin de leur rue : il englobe plus de 200 métiers. La FBF et ses adhérents, comme ceux de France Assureurs pour qui « l’alternance est un moyen d’attirer des jeunes vers un secteur qu’ils connaissent peu, avec des évolutions possibles », selon Alexis Meyer, arpentent donc les collèges, lycées et forums étudiants.
Chaque employeur a aussi intérêt à nouer des partenariats pour capter les meilleurs profils. Delubac & Cie en a conclu pour la première fois cette année, avec des cursus très « tech » : l’école 42, les écoles d’ingénieurs ESIEE et Epita, mais aussi l’Université de Paris Dauphine. Autre exemple : Apicil, avec les écoles d’actuariat comme l’ISFA, des écoles formant aux métiers tertiaires comme le groupe Ingensia ou encore des universités comme Lyon 2 ou Rennes qui préparent notamment à la finance.
Mais la concurrence est rude entre entreprises financières et non financières pour conquérir des élèves de master, de préférence sur deux ans (M1 et M2), notamment dans les métiers du droit, du commercial ou du marketing, et surtout de l’informatique (IT et data). Chacun fait valoir ses atouts. A cette fin, les salariés vont aussi à la rencontre des étudiants, et dispensent des cours pour certains. Lors des campagnes de recrutement, les entreprises s’activent sur les réseaux. Pas seulement LinkedIn : un nombre croissant investit la plateforme Welcome to the jungle. De son côté, Saint Gobain a frappé fort avec une vidéo sur TikTok où il met en avant des alternants qui parlent de leurs missions, de leurs projets, de l’ambiance de travail, etc. Le groupe, « leader mondial de la construction durable », attend 1 000 alternants, dont 40 en finance, pour 2025-2026.
Le succès de l’alternance s’affirme donc, après le recrutement, avec un processus d’intégration robuste au sein des équipes puis un accompagnement par les managers et les RH, en favorisant les possibilités d’échange d’expérience. L’enjeu est tel que la Macif a créé un centre de formation d’apprentis en interne. Dans la banque, plusieurs groupes en sont aussi dotés : Crédit Agricole, Crédit Mutuel ou BNP Paribas, qui propose deux diplômes informatiques. Pour pérenniser le modèle, le secteur financier attend en outre un niveau de qualité suffisant des organismes de formation et des cursus qui répondent à ses besoins.
Une plateforme pour rapprocher employeurs et apprentis
Environnement de travail et culture d’entreprise, accompagnement et suivi, conditions de travail et avantages, apprentissage et développement, esprit d’équipe et relations humaines, reconnaissance et image de l’entreprise : de plus en plus d’employeurs se tournent vers Engagement Jeunes, une plateforme destinée à rapprocher les entreprises des étudiants candidats à l’alternance, en les informant sur ce qu’offrent les entreprises. Celles-ci incitent les candidats à remplir le questionnaire « Tell us » de la plateforme, qui leur permet de préciser leur cursus et leurs aspirations. Parmi les membres d’Engagement Jeunes, on trouve une seule banque, Société Générale, et plusieurs assureurs. Cette année, 35 entreprises y ont été nommées « employeurs de choix » par les étudiants.