Emmanuelle Assouan, directrice générale de la stabilité financière et des opérations, Banque de France

Emmanuelle Assouan, Banque de France : "La blockchain offre la perspective de paiements internationaux plus rapides et moins onéreux"

Publié le 7 février 2025 à 8h30

Ivan Best    Temps de lecture 5 minutes

Alors que les paiements internationaux, entre zones monétaires différentes, restent trop lents et coûteux, des expérimentations menées actuellement montrent que l’utilisation de la blockchain permettrait de simplifier les process et donc d’accélérer les transferts monétaires, pour un coût inférieur.

La Banque de France participe à des expérimentations lancées par la Banque des règlements internationaux concernant l’utilisation de la blockchain pour les paiements internationaux. Pourquoi est-il nécessaire de remettre en cause les techniques actuelles ?

Du point de vue des entreprises, la mécanique actuelle des paiements internationaux – au-delà de la zone euro, pour ce qui nous concerne – ne peut pas être considérée comme satisfaisante. Le dernier rapport du Conseil de stabilité financière, pour le compte du G20, note un allongement du temps nécessaire pour ces transferts, en 2024. Alors que l’objectif du G20 est que les trois quarts des paiements internationaux « de gros » (supérieurs à 100 000 euros) puissent être effectués en moins d’une heure d’ici la fin 2027, cela a été le cas pour seulement 50,6 % de ceux-ci en 2024. Ce chiffre s’inscrit en recul par rapport à 2023 (53,8 %). Et, pour 8 % de ces paiements, il a fallu plus de 24 heures pour qu’ils aboutissent (contre 7,3 % en 2023), alors que le G20 préconise que la totalité ait lieu en moins de 24 heures. S’agissant des coûts associés à ces paiements, l’objectif du G20 est de parvenir à les limiter à 1 %, or ils sont aujourd’hui supérieurs.

Cette lenteur et ces coûts tiennent à la complexité des processus actuels. Un paiement international de gros peut transiter aujourd’hui par une succession de banques correspondantes dont les infrastructures ne sont pas opérationnelles en permanence, dépendant des heures d’ouverture, potentiellement réparties sur des fuseaux horaires différents. Surtout, un seul paiement peut donner lieu à plusieurs procédures de vérification liées à la Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), chaque banque correspondante devant s’assurer de cette conformité, ce qui allonge bien sûr les délais. En outre, pour se sécuriser, les entreprises font souvent appel au crédit documentaire, qui permet pour l’acheteur d’obtenir une certification de la qualité des marchandises et pour le vendeur d’être effectivement payé. Ce type d’opérations, qui concerne encore 20 % du commerce international pour les entreprises françaises, est très lourd et complexe à gérer, en raison de la documentation exigée (jusqu’à 40 documents).

Comment la blockchain permettrait-elle de résoudre ces difficultés ?

Avec la DLT (Distributed Ledger Technologies ou technologie des registres distribués, à l’exemple de la blockchain), il serait possible de réduire les délais de paiement ainsi que les coûts, tout en gagnant en transparence sur les paiements. Plusieurs expérimentations ont commencé de ce point de vue, qui apparaissent assez convaincantes.

S’agissant du respect de la conformité LCB-FT, le projet Mandala, initié par le hub innovation de la Banque des règlements internationaux (BRI) à Singapour, et auquel participent les banques centrales de Singapour, Malaisie, Thaïlande, Corée, et… la Banque de France, permettrait de faciliter grandement les processus : une seule banque ferait les vérifications nécessaires, les autres ayant accès directement à l’information via la blockchain. Précisément, un « smart contract » serait mis en place, qui conditionnerait le règlement de banque à banque à sa conformité aux règles LCB-FT, vérifiée initialement, et à l’existence d’un solde supérieur à la transaction sur le compte de la banque à débiter.

Quand ce projet pourrait-il déboucher sur une mise en œuvre opérationnelle, pour les entreprises ?

L’expérimentation s’est déroulée en 2024 et a fait l’objet d’un rapport publié en octobre 2024, mais la mise en œuvre demandera un certain temps, au moins deux à trois ans. Au-delà, une autre expérimentation, très ambitieuse a été lancée par le hub innovation de la BRI à Zurich, concernant la mise en place d’une plateforme fondée sur la DLT, impliquant sept zones monétaires dans le monde. La Banque de France, représentant l’Eurosystème, y participe, de même que la Banque nationale suisse, la Banque d'Angleterre, la Réserve fédérale de New York, la Banque du Japon, celle de Corée, et du Mexique. Des banques commerciales sont également associées, avec une forte présence de celles provenant de la zone euro (BNP Paribas, BPCE).

L’objectif est, là aussi, de faciliter les paiements internationaux, mais de manière plus globale. Cette plateforme, expérimentée dans le cadre du projet Agorá, serait unifiée et propre à ces sept zones, ce qui permettrait d’éviter la fragmentation à laquelle pourrait conduire la multiplication de solutions DLT sans coordination. Il s’agirait de répliquer, pour un environnement multidevise, le système monétaire à deux étages bien connu dans chaque zone monétaire, avec une monnaie centrale et des monnaies de banques commerciales. Dès lors, les paiements entre ces zones pourraient avoir lieu en temps réel, via des tokens (jetons), certains représentant des monnaies numériques de banque centrale et d’autres, des monnaies commerciales, à l’exclusion des « cryptoactifs ». Bien sûr, ce projet Agorá consistant à connecter les infrastructures de sept zones monétaires apparaît très lourd techniquement, et soulève des questions de gouvernance particulièrement complexes : chacune des banques centrales voudra pouvoir maîtriser, probablement, l’infrastructure sur laquelle circule sa propre monnaie. Il ne pourra pas se concrétiser avant plusieurs années. Mais la perspective est bien celle de paiements beaucoup plus rapides et, par ailleurs, moins onéreux. Avec des paiements transfrontières (quasi-)instantanés, des smart contracts qui stockent et font circuler les informations, le crédit documentaire, notamment, sera révolutionné.

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