L’éviction d’Emmanuel Faber de la présidence de Danone, le 15 mars, à l’issue de la campagne de deux fonds activistes, fait grand bruit dans l’univers de la finance responsable. Le géant français était en effet une valeur emblématique pour les gérants ISR, en particulier pour ceux qui cherchent à mettre en avant l’impact environnemental et social de leurs investissements. « Danone est un acteur bien positionné sur les thématiques de développement durable dans le secteur agroalimentaire, notamment à travers ses activités dans l’alimentation bio et dans la nutrition médicale et infantile, qui représentent environ 40 % de son chiffre d’affaires », met en avant Léa Dunand-Chatellet, gérante et directrice de l’investissement responsable chez DNCA. Historiquement, l’entreprise a défendu un double projet, à la fois économique et social, concrétisé en 2020 par l’adoption du statut d’entreprise à mission, une première pour une entreprise cotée. Or Emmanuel Faber incarnait cette vision. « En l’évinçant de façon aussi abrupte, le conseil d’administration de Danone donne à penser que la stratégie de l’entreprise a été prise en otage par les activistes et que la création de valeur à court terme a primé sur tout le reste », regrette Hervé Guez, directeur des gestions actions & taux chez Mirova.
Nombre d’acteurs sur les réseaux sociaux interprètent ce limogeage comme le « sacrifice » d’un des grands défenseurs du capitalisme responsable sur l’autel du court-termisme des marchés.
RSE ou croissance économique ?
Mais aux yeux des gérants à impact, la réalité est un peu plus compliquée. Pour certains, Danone faisait face à de vraies difficultés. « Depuis plusieurs années, les signaux négatifs s’accumulaient sur la valeur, fait valoir Léa Dunand-Chatellet. L’entreprise rencontrait des problèmes opérationnels – climat social dans certains sites de production, questions sur la qualité des produits – sur lesquels se sont greffées une instabilité forte de l’équipe de direction, avec le départ du patron des produits laitiers et de la directrice financière, et l’absence de contre-pouvoir au PDG. Ce faisceau d’éléments nous a conduit à sortir Danone de notre fonds DNCA Invest Beyond Semperosa à l’été 2020. La manière dont l’entreprise génère de l’impact est pour nous aussi importante que l’impact lui-même. » Il y va de la pérennité du projet environnemental et social de l’entreprise. « Qui dit croissance vertueuse dit d’abord croissance, or celle-ci est en panne depuis un moment chez Danone, souligne Béryl Bouvier di Nota, directrice adjointe des gestions actions européennes chez OFI AM. Il faut trouver un équilibre entre l’engagement sociétal et la croissance bénéficiaire. » La gérante reste toutefois positive sur la valeur. « Nous avons renforcé début 2021 notre position sur Danone dans notre fonds Impact Social. Nous avons confiance dans le potentiel du groupe qui saura mener à bien sa stratégie financière et extra-financière en phase avec sa raison d’être : “apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre”. »
Ce parallèle entre performance sociétale d’un côté et performance économique de l’autre met toutefois certains gérants mal à l’aise. « Il est évident que la RSE ne doit pas se faire au détriment de la qualité opérationnelle, s’agace Hervé Guez, qui a lui aussi renforcé ses positions en 2020. Mais ce n’est pas le sujet ici. Certes, Danone a connu un passage à vide pendant la crise de la Covid, mais sans un accident majeur qui justifierait une telle décision du conseil d’administration. Le fait est que nous ne savons pas ce qui a conduit ce dernier – qui soutenait jusqu’à récemment encore la stratégie d’Emmanuel Faber – à un tel revirement. Une chose est certaine : de telles pratiques de gouvernance ne correspondent pas au traitement correct qu’attendent des investisseurs de long terme comme nous. »