Après « l’année des élections », le changement sans cap
Nous y (re)voilà… Quatre ans après avoir quitté la Maison-Blanche avec pertes et fracas, Donald Trump y fera son retour le 20 janvier prochain, auréolé d’une victoire nette sur Kamala Harris, qui n’aura pas su se distancier suffisamment de l’héritage de Joe Biden. En ce sens, sa victoire s’inscrit dans un phénomène plus global de rejet des sortants. Certes, il y a bien eu quelques exceptions, comme l’élection de Claudia Sheinbaum au Mexique, mais au fil des scrutins qui se sont tenus dans plus de 70 pays, les partis au pouvoir ont perdu du terrain. Partout ou presque, les électeurs ont exprimé leur mécontentement : Afrique du Sud, Botswana, Corée du Sud, Japon, Royaume-Uni, Sénégal… sans oublier, bien sûr, la France.
Alors, pourquoi ce rejet ? Comme indiqué dans Option Finance l’an dernier, un fil conducteur se dessine : une frustration grandissante face à des conditions économiques et sociales jugées en déclin. La hausse des prix, en particulier, a exacerbé les tensions, comme en attestent de récents sondages qui placent le pouvoir d’achat en tête des principales préoccupations des électeurs. Cette instabilité est amplifiée par un contexte géopolitique turbulent. En toile de fond, le désenchantement des électeurs vis-à-vis de la classe politique n’offre plus le luxe du temps à ceux qui sont aux commandes. Arrivé au 10 Downing Street début juillet, Keir Starmer a, par exemple, déjà vu sa cote de popularité s’effondrer cinq mois plus tard. L’ombre des populistes, particulièrement en Europe, s’est aussi fait ressentir, confirmant leur enracinement dans le paysage politique et la progression de leurs idées, y compris, et de plus en plus, au sein des formations politiques traditionnelles.
«En 2025, les élections en Australie, au Canada ou en Allemagne pourraient prolonger la tendance de rejet des sortants, et ne promettent pas d’apporter plus de lisibilité.»
Et demain ? Si l’effervescence électorale de 2024 est désormais derrière nous, les incertitudes politiques, elles, perdurent. Car les vents du changement ont certes soufflé – tantôt à gauche, tantôt à droite –, mais ils ont surtout balayé les sortants, plus qu’une ligne politique particulière. Et en l’absence de ligne, ou d’un cap, le risque de dérive se précise. Quel meilleur exemple que la France où la « clarification » appelée par le président avec la dissolution de l’Assemblée nationale a surtout engendré une confusion inédite sous la Ve République ? En 2025, les élections en Australie, au Canada ou en Allemagne pourraient prolonger la tendance de rejet des sortants, et ne promettent pas d’apporter plus de lisibilité. Pour nos voisins d’outre-Rhin, cela intervient alors que de nombreuses certitudes sur le « modèle allemand » ont déjà été ébranlées ces dernières années, particulièrement depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
La simultanéité de ce moment de doute profond pour l’Allemagne et de crise politique (et bientôt budgétaire ?) française place la trajectoire politique (et économique) de ce tandem – et par extension, celle de l’Europe – sur un sentier cahoteux, pour ne pas dire périlleux. A cela s’ajoute le retour de Donald Trump, qui laisse le continent tiraillé entre des réalités politiques internes qui entravent toute action concertée et la nécessité de se (ré)affirmer comme un acteur stratégique global. Et cela, à l’heure où les défis liés à la compétitivité économique et industrielle, à la transition énergétique et à l’innovation technologique se font plus pressants. Les appels au sursaut européen, nombreux, devront être suivis d’effets pour éviter un réveil douloureux. Autrement, le risque est bien réel de voir l’Europe se retrouver désarmée, au sens propre comme au sens figuré.