2024, année d’ébullition électorale
Les récentes victoires électorales de Javier Milei en Argentine et de Geert Wilders aux Pays-Bas ont remis un coup de projecteur sur la montée des populismes. Elles s’inscrivent pourtant dans une tendance persistante depuis, au moins, le milieu des années 2010, marqué par le référendum sur le Brexit et la victoire de Donald Trump. Avant eux, les Démocrates de Suède ou Fratelli d’Italia l’année dernière avaient, aussi, entretenu cette dynamique. A l’aube d’une année électorale 2024 qui s’annonce particulièrement chargée avec des électeurs appelés aux urnes dans plus de 70 pays, abritant environ la moitié de la population mondiale, ces dernières poussées populistes résonnent comme un avertissement.
Prospérant sur les divisions et procédant du même rejet des élites, ces mouvements et les personnalités qui les incarnent partagent une rhétorique « antisystème » qui les positionne en réceptacle de la colère. Or, comme souligné dans ces colonnes il y a quelques mois, les motifs d’insatisfaction, en particulier d’ordre socio-économique, participent depuis plusieurs années à une montée ininterrompue des risques de troubles sociaux et d’instabilité politique. Malgré l’atténuation récente de l’inflation, l’augmentation du niveau général des prix depuis deux ans continue d’alimenter la rancœur à l’égard des gouvernants. Auparavant, la pandémie et la réponse des dirigeants (confinements…) avaient exacerbé les sources de mécontentement essentiellement liées à la perception d’une dégradation des niveaux de vie et d’aggravation des inégalités – auxquelles s’ajoutait une défiance croissante à l’égard des institutions politiques, souvent accompagnée d’une désillusion à l’égard des systèmes de représentativité.
La conjugaison de ces facteurs participe à l’accroissement et aux niveaux inédits atteints par l’indicateur Coface de risque politique à fin 2023. Les signaux d’alerte qu’il envoie sont à prendre d’autant plus au sérieux que les élections de 2024 se tiendront sur fond de tensions accrues entre les blocs, avec la compétition sino-américaine, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la guerre Israël-Hamas, et les prises de position, au cas par cas, des pays non alignés. Ces dynamiques complexes accentueront les tendances populistes en nourrissant un climat mondial d’incertitude, sinon d’anxiété, et de mécontentement. En retour, les positions polarisées et souvent imprévisibles de ces mouvements contribueront à accroître l’instabilité géopolitique.
Dans ce contexte, des acteurs (étatiques et non étatiques) seront certainement enclins à interférer de nouveau dans les processus électoraux, jouant le rôle d’amplificateur des voix populistes. Les élections américaines en novembre, moment charnière pour l’ordre mondial, feront certainement l’objet de tentatives de déstabilisation. Auparavant, les yeux se seront tournés vers l’élection présidentielle de janvier à Taïwan, dont les enjeux dépassent largement le sort de ses 24 millions d’habitants.
Alors que la question du statut de l’île est revenue au centre des débats, contribuant à l’intensification des tensions sino-américaines, l’élection pourrait déterminer l’avenir de la relation entre les pays occidentaux et la Chine continentale. Le scrutin taïwanais montre que les élections qui ponctueront l’année 2024 seront à la fois la conséquence et la cause probable d’un environnement géopolitique et économique de plus en plus précaire et incertain.
Parfois, comme en Russie, en Biélorussie, au Venezuela ou en Corée du Nord, les élections ne serviront qu’à conforter la mainmise des gouvernants sur le pouvoir. La remise en question des normes des démocraties libérales et de l’ordre international par ces régimes donnera du souffle à la rhétorique clivante prisée par les antisystèmes. De l’Inde au Mexique, en passant par la Tunisie, l’Indonésie ou le Salvador, les élections donneront alors l’occasion aux vents populistes de balayer les cinq continents. Ce sera aussi le cas en Europe, où les élections pour le Parlement européen offriront un terreau fertile à ces discours. Les résultats décevants de Vox en Espagne et la perte de la majorité du parti Droit et justice en Pologne ont certes rappelé que l’ascension des populistes n’est pas irrésistible. Mais l’effervescence du paysage politique en 2024 créera sans aucun doute de sérieux remous.