Croissance européenne : la discipline budgétaire ne peut pas tout

Publié le 7 novembre 2014 à 17h25

Anton Brender

«Beaucoup de bruit pour rien» ! Que dire d’autre après le récent dialogue budgétaire entre la France et la Commission ? Bien sûr, la scène relève plus d’un mauvais feuilleton que du théâtre de Shakespeare. L’épisode n’est même pas complètement terminé qu’on en connaît déjà la fin : aucun «manquement grave» aux règles du Pacte de stabilité ne sera reproché à la France… pas plus d’ailleurs qu’à l’Italie. Tout est donc bien qui finit bien : l’Europe a montré son sens du compromis, chacun a fait un geste et personne n’a perdu la face. D’un côté des règles et des objectifs stricts, des comptes à rendre précis, une surveillance renforcée ; de l’autre des marges d’interprétation d’autant plus larges que la conjoncture est fragile et le pays important. N’est-ce finalement pas la plus sage manière de rendre compatibles inerties nationales et objectifs communautaires ? Les règles sont loin d’être inutiles, entend-on répéter à l’envi – même si leur respect ne s’impose finalement pas ! – car elles forcent à une transparence qui, par elle-même, est facteur de discipline…

Le problème est qu’à elle seule, la discipline ne suffira pas à faire repartir une économie européenne embourbée dans la stagnation. Contrairement à ce qu’annonçaient les partisans d’un retour rapide à l’équilibre budgétaire, la dépense privée n’a pas bondi là où l’on a essayé de réduire au plus vite le déficit public. Au contraire, les agents privés loin de dépenser plus ont, comme on pouvait le prévoir dans les circonstances particulières du début de cette décennie, dépensé moins. D’où la montée spectaculaire de l’excédent extérieur de la zone euro. Compter sur des réformes, par ailleurs nécessaires, pour relancer la demande intérieure est tout aussi illusoire : ce qui bride aujourd’hui l’investissement des entreprises est d’abord l’apathie de la demande qui s’adresse à elles. Une accélération de la dépense des ménages pourrait y mettre un terme… mais on ne voit pas ce qui pourrait aujourd’hui la produire. Les gains de pouvoir d’achat procurés par une inflation en baisse suffisent seulement, compte tenu de la faible progression de la masse salariale, à éviter à la consommation de se contracter. Pour la conjoncture de la zone euro, l’espoir ne peut venir que de l’extérieur.

De ce point de vue, l’activisme dont la BCE fait preuve depuis maintenant de longs mois a été couronné d’un certain succès. Voir notre banque centrale élargir régulièrement la liste des marchés sur lesquels elle se prépare à intervenir et assouplir continuellement les conditions de ses refinancements au moment où la Réserve fédérale met fin à ses achats d’obligations et teste les mécanismes destinés à retirer demain du marché monétaire les liquidités en excès, a solidement ancré l’idée que les taux directeurs européens monteraient bien après ceux des Etats-Unis. En quelques mois, l’euro a nettement faibli par rapport au dollar et cette baisse va soutenir notre activité. Mais, la morosité des entreprises allemandes le montre, cela pourrait ne pas suffire à ranimer notre conjoncture. L’effondrement de nos exportations vers la Russie a un effet non négligeable sur notre activité : depuis un an, la progression des ventes de la zone euro aux Etats-Unis l’a à peine compensée ! Surtout, rien ne dit que l’an prochain la demande du reste du monde sera plus dynamique : espérer qu’une croissance plus forte des économies émergentes nous tire de l’ornière risque, à nouveau, d’être vain.

Que notre conjoncture dépende ainsi entièrement du reste du monde sans que nous n’ayons plus aucun levier pour la ranimer montre qu’il y a bien «quelque chose de pourri» au royaume de la gouvernance européenne. Les discussions presque feutrées autour du respect par chaque gouvernement des règles du Pacte de stabilité et de croissance masquent une évidence : la discipline suffit peut-être à produire de la stabilité, elle ne suffira sûrement pas à ranimer la croissance. Le problème est que l’indiscipline ne le permet pas plus. Il est temps pour la zone euro d’en prendre acte : de petits arrangements entre amis ne peuvent pallier l’absence d’un mécanisme permettant de gérer la conjoncture lorsque la politique monétaire devient impuissante.

Anton Brender

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