Election américaine : un effet contre intuitif sur Wall Street
Si Wall Street préfère, a priori, les présidents conservateurs, plus enclins à soutenir le business, les performances des actions s’avèrent en fait supérieures sous présidence démocrate. Avec l’effet d’entraînement de la Bourse américaine, les places canadiennes et européennes profitent d’une telle configuration.
Indéniablement, la situation politique aux Etats-Unis inquiète. Le retour de Trump au pouvoir aurait-il des conséquences néfastes sur la situation géopolitique, et par voie de conséquence sur l’économie mondiale comme bon nombre de non-Américains le redoutent ? Même si la théorie financière n’indique rien spécifiquement de l’influence du politique sur les valorisations boursières, l’expérience montre qu’elle peut être extrêmement forte. La chute de quelque 30 % de la Bourse française au lendemain de l’élection de François Mitterrand en 1981 en est un exemple parmi d’autres. Quel est donc, en moyenne, l’impact des événements politiques sur les bourses, avant, pendant et après une élection américaine ?
Dans son intervention « Political uncertainty and asset prices », Pietro Veronesi, professeur de l’Université de Chicago, apporte plusieurs réponses aux questions relatives aux impacts politiques sur les bourses, notamment sur la Bourse américaine. Les marchés d’actions partout dans le monde préfèrent les élections des conservateurs, du moins pendant les tout premiers jours. Car paradoxalement, la performance boursière pendant les mandats démocrates surpasse de 9,6 % annuellement (en moyenne sur les 100 dernières années) celle des mandats républicains. Ce sont d’ailleurs les premières années des mandats démocrates qui font la différence avec quelque 36,9 % de différence sur l’année post-électorale ! L’économie elle-même fait mieux sous les démocrates avec 3,2 % de croissance supplémentaire (sur cette même période).
Un président démocrate choisi quand la situation économique est mauvaise
Pietro Veronesi attribue ces différences, surprenantes au premier abord, à l’impact du risque politique. Il analyse ainsi les écarts de volatilité implicite sur le marché des options sur les indices boursiers d’une vingtaine de marchés selon que l’échéance se situe avant ou après une élection. Cet écart, en moyenne de 1,5 %, est pratiquement doublé lorsque la situation économique ou financière est mauvaise, ce qui correspond à un écart relatif d’environ 20 % de la volatilité implicite. Le chercheur observe également que les chances d’avoir un président américain démocrate sont significativement plus fortes quand cet écart est élevé pour les options sur l’indice américain. Son analyse le porte à penser que les électeurs choisissent un démocrate quand la situation économique est mauvaise et que le risque politique est élevé ; il en résulte une politique redistributive qui améliore l’économie dans son ensemble, bien qu’elle s’avère fiscalement plus douloureuse pour les entrepreneurs.
L’effet des mandatures démocrates américaines est également très positif pour les bourses internationales : plus 13,2 % au Canada, 7 % en Angleterre et même 13,6 % en France. L’effet d’entraînement de la Bourse américaine est donc très sensible. Mais l’effet « gauche » est aussi perceptible sur d’autres marchés. Les années 1980 sous la présidence de Mitterrand ont par exemple été très favorables à la Bourse, malgré un départ particulièrement chahuté, comme je l’ai rappelé. Plusieurs dispositions très efficaces pour les marchés financiers avaient d’ailleurs été prises par Pierre Bérégovoy, ministre des Finances d’alors, peu susceptible de par son passé de syndicaliste d’avoir un intérêt personnel pour les plus-values boursières.
La théorie financière indique bien que les valorisations doivent traduire les risques et donc que la prime de risque action puisse intégrer le risque politique. La montée de ces risques politiques avant un changement notable de gouvernement impacte toute l’économie et donc l’ensemble des valeurs cotées, certes avec des différences d’amplitude. Il n’est donc pas surprenant que lorsque cette prime de risque revient à une valeur plus faible, la Bourse connaisse une belle performance. L’échéance électorale américaine de cet automne n’échappera sans doute pas à la règle. La bonne santé de l’économie pourrait s’avérer paradoxalement défavorable à Biden qui l’a pourtant bien conduite. Et, si Trump l’emportait, le succès de la Bourse pourrait bien s’avérer de courte durée. Bien sûr, les analyses statistiques n’apportent qu’une vue partielle sur ces réalités parfois changeantes. Mais dans ce domaine, les approches de court et de long terme apportent des réponses bien différentes…
« Political uncertainty and asset prices », Pietro Veronesi, Séminaire Inquire, Southampton mars 2024.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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