Entre inflation et croissance : quel est le bon dosage ?

Publié le 28 janvier 2022 à 18h14

Philippe Brossard    Temps de lecture 4 minutes

En théorie, la combinaison entre inflation et croissance économique peut osciller entre quatre configurations : 1/ forte croissance avec forte inflation : le boom économique, voire la surchauffe ; 2/ faible croissance avec faible inflation : situation de crise économique, pouvant aller jusqu’à la déflation (baisse des prix) ; 3/ forte croissance mais faible inflation (configuration qui n’a pas vraiment de nom) ; 4/ faible croissance mais forte inflation : la « stagflation ».

En pratique, les économies oscillent essentiellement entre les situations 1 et 2 (boom/crise). La configuration 3 (forte croissance/faible inflation) est rare ; elle peut se rencontrer temporairement dans un petit pays qui déploie une stratégie de désinflation compétitive, jusqu’à ce que le gain de compétitivité obtenu par la désinflation soit annulé par une réévaluation du taux de change. Cette stratégie a pu fonctionner autrefois pour l’Allemagne ou la Suisse, mais n’a pu se déployer pour la zone euro dans son ensemble : la recherche d’une faible inflation à tout prix a conduit à un retard important de croissance par rapport au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, faisant flirter la zone avec la déflation. La configuration 4, la stagflation, n’a été observée de façon durable dans aucun pays. En revanche, cela peut être une phase transitoire durant laquelle l’inflation trop forte étouffe la croissance : c’est un risque actuellement pour les Etats-Unis. L’inflation de 7 %, alors que les salaires progressent de 5 %, conduit à une baisse du pouvoir d’achat des ménages qui pourrait faire plonger la consommation, si l’épargne, encore très abondante, n’est pas mobilisée.

Le fait qu’en réalité inflation et croissance varient de pair, entre boom et récession, est rassurant pour les politiques économiques : dans le bas du cycle économique, il est parfaitement raisonnable de baisser les taux d’intérêt et d’opérer une relance budgétaire, et de faire le contraire en cas de surchauffe. Il reste néanmoins deux problèmes de calibrage à résoudre : 1/ quel équilibre viser entre inflation et croissance ? 2/ comment doser l’action monétaire et budgétaire une fois que l’on s’est éloigné de l’équilibre ? L’objectif de croissance se situe sans doute aux environs de 2 % pour les pays développés, reflétant à la fois leur croissance démographique et leur potentiel de gains de productivité. 

L’objectif d’inflation généralement accepté est également de 2 %, mais les idées ont beaucoup évolué ces deux dernières décennies. En Europe, sous l’inspiration de la Bundesbank, 2 % a été longtemps conçu comme un maximum, l’objectif implicite était plutôt d’être littéralement dans la stabilité des prix, c’est-à-dire 0 % d’inflation. Aux Etats-Unis, l’objectif d’inflation a été vu de façon plus souple, subordonné à l’objectif de plein emploi – hors la brève phase monétariste des années 1980. Depuis la crise financière de 2008, le consensus américain semble s’être déplacé pour estimer que 2 % d’inflation est un minimum à assurer en rythme de croisière pour ne pas sombrer dans la déflation en cas de crise. O. Blanchard, alors chef économiste du FMI, a même proposé en 2010 une cible d’inflation à 4 % en rythme de croisière. Quant au dosage de l’action, à la lumière des difficultés japonaises, Ben Bernanke a théorisé très tôt, avant de devenir président de la Fed, qu’il valait mieux en faire trop que pas assez en matière de relance, tant monétaire, que budgétaire, y compris avec sa fameuse « helicopter money ». 

Les Européens, après avoir raté le redémarrage post-crise financière de 2010, se sont rapprochés des pratiques américaines à l’occasion de la crise de la Covid. Les politiques de relance ont été couronnées de succès – le plein emploi a été retrouvé plus vite qu’attendu. Mais il y a eu aux Etats-Unis, un surdosage du remède, qui se solde assez logiquement par une poussée d’inflation. Ce surdosage n’était pas forcément évitable et il pourrait se reproduire à l’avenir (sous la forme par exemple d’un excès de hausse des taux d’intérêt), ce qui perpétuera les oscillations cycliques entre boom et récession. 

En matière de gestion d’actifs, cela incite à maintenir des portefeuilles bien diversifiés entre les obligations, même quand elles paraissent chères (avec des taux très bas), dans l’éventualité d’une récession ; et les actions et l’immobilier, même quand ils semblent chers, pour capter la croissance en phase de boom et désormais pour se préserver des effets de l’inflation. 

Philippe Brossard Chef économiste ,  AG2R

Philippe Brossard est le chef économiste d'AG2R La Mondiale.

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