Est-il encore raisonnable de détenir des obligations ?
Depuis le début de l’année, les taux d’intérêt à long terme sont en hausse de 140 points de base aux Etats-Unis et approchent 3 %, tout comme en Europe : +120 pb pour les taux 10 ans français qui atteignent 1,4 %, reflétant l’accélération de l’inflation et les anticipations de hausse des taux courts que préparent les banques centrales en réaction. Les taux à long terme représentent en effet la succession à long terme des taux courts successifs anticipés. Une hausse des taux longs entraîne une baisse des prix des obligations déjà émises, dans une proportion qui correspond à la maturité des obligations : une hausse des taux de 1 % correspond à une baisse des prix de 10 % pour une obligation à 10 ans zéro-coupon, mais de 5 % pour une obligation à 5 ans.
La hausse des taux longs peut-elle se poursuivre ? Les hausses de taux courts et longs incorporent les anticipations d’inflation : celle-ci a atteint 7,5 % en Europe et 8,5 % aux Etats-Unis en mars. Son accélération a pris les marchés et les banques centrales par surprise. Il est probable que nous ayons atteint désormais un sommet et que l’inflation décélérera dans les prochains mois pour revenir à moyen terme vers 2 ou 3 % – c’est du moins l’anticipation tant des banques centrales que des marchés obligataires et des swaps, qui donnent un prix à l’inflation future. Sur la base de ces anticipations, la Fed devrait monter ses taux vers 3 % d’ici 2023 puis les stabiliser vers 2,5 % à long terme. La BCE est moins transparente sur ses intentions ; mais on peut supposer qu’elle voudra monter ses taux plus lentement et un peu moins haut que la Fed. Les taux longs actuels reflètent ces anticipations : la hausse des taux et la dégradation des performances obligataires auraient ainsi atteint un palier, du moins pour cette année. Mais la surprise actuelle sur l’inflation est telle qu’elle rend prudent sur ces prévisions. On ne peut pas complètement exclure une poursuite significative de la hausse des taux.
Pourquoi maintenir alors des investissements obligataires ? Les obligations à taux fixe peuvent tout d’abord servir à adosser des paiements fixes futurs (un passif à taux fixe), par exemple des contrats d’assurance-vie garantis (les fonds en euros). Dans ce cas de figure, seul le versement sans défaut et à bonne date des coupons et du principal compte, quelles que soient les fluctuations de marché intermédiaires. Par ailleurs pour un investisseur sensible à la valeur de marché, un investissement obligataire agit dans son portefeuille comme une « assurance-récession » – historiquement du moins. La hausse de l’inflation finit souvent en récession. Le choc sur le pouvoir d’achat entraîne une chute de la consommation, une montée du chômage et une chute boursière, qui conduisent les banques centrales à changer de politique et à baisser leurs taux d’intérêt. Par anticipation, les taux à long terme baissent rapidement dans ce scénario, dégageant des gains en capital pour les obligations, qui contrebalancent en partie les pertes observées sur les actions. C’est la base de la diversification de portefeuille : les performances obligataires ont varié statistiquement dans le sens inverse des actions. Cette année, les performances des fonds diversifiés souffrent de la conjonction d’une baisse simultanée des actions et des obligations. Cette configuration est relativement rare et compense une année 2021 exceptionnellement bonne pour les portefeuilles diversifiés, avec une hausse simultanée des actions et des obligations.
Quelle est la bonne dose d’obligations à mettre dans un portefeuille ?
Le calibrage de la proportion d’obligations et d’actions dans un portefeuille d’épargnant repose en partie sur la cherté relative des actions par rapport aux obligations. Mais surtout sur l’horizon du placement envisagé et le degré de tolérance de l’investisseur pour les fluctuations à court terme des valorisations. Plus l’acceptation des fluctuations est forte, plus l’horizon d’investissement est long et plus la part d’actions peut être importante. C’est sur ce principe que sont construites les gestions par horizon qui pilotent l’exposition aux actions, aux obligations et aux produits garantis en fonction de l’âge et du profil de risque de l’épargnant dans le cadre d’une constitution de retraite par capitalisation.
Philippe Brossard est le chef économiste d'AG2R La Mondiale.