Fed : pourquoi le lift-off a été reporté

Publié le 29 mai 2015 à 17h10    Mis à jour le 2 octobre 2015 à 18h06

Anton Brender

Ceux qui pensaient que l’incertitude sur la date du lift-off des taux de la Réserve fédérale allait être levée à la mi-septembre auront été déçus : ils devront encore attendre, jusqu’en décembre sans doute et peut-être au-delà… Comment expliquer cette hésitation de la Réserve fédérale à engager une normalisation progressive du niveau de ses taux directeurs à un moment où l’économie américaine n’est visiblement plus dans la situation inquiétante où elle se trouvait il y a encore quelques années ? L’explication la plus simple s’inscrit dans le prolongement des déclarations de son vice-président, Stanley Fisher, à Jackson Hole : les «turbulences de marché» ne se sont pas suffisamment atténuées depuis le mois d’août pour prendre le risque de les ranimer par un geste qui, pour être attendu et annoncé, n’en marquera pas moins une rupture avec une très longue période de taux nuls.

D’une certaine façon, Janet Yellen et le FOMC ont complété cette explication en mettant en avant des préoccupations qui ne relèvent plus de la seule stabilité financière : derrière les turbulences de marché, il y a un ralentissement bien réel de la croissance des régions émergentes et en particulier de la Chine. Ce ralentissement freine suffisamment la croissance américaine pour que la Réserve fédérale préfère attendre avant d’intervenir.

A cette explication «officielle», on est toutefois tenté d’en ajouter deux autres qui le sont un peu moins. L’une est liée aux évolutions du cours du dollar et on en comprend facilement la logique lorsqu’on observe la réaction réflexe du marché des changes au communiqué du FOMC : la non-annonce du lift-off de la Fed a eu l’effet exactement inverse de l’annonce, deux semaines plus tôt, d’une possible extension du QE européen. Début septembre l’euro avait, en quelques minutes, perdu un centime face au dollar, deux semaines plus tard il est, tout aussi rapidement, monté d’autant. Voir ici le début d’une guerre des monnaies serait excessif. Il s’agit plutôt d’une escarmouche destinée à rappeler que la capacité de l’économie américaine à supporter une appréciation continue de sa monnaie a atteint ses limites. Depuis plusieurs années, presque toutes les devises de la planète n’ont cessé de se déprécier face au dollar. Le yuan, qui jusqu’à cet été avait fait exception, a semblé lui aussi vouloir s’engager dans cette direction. En décidant de reporter le début de son resserrement monétaire, la Réserve fédérale dit clairement aux opérateurs du marché des changes qu’ils auraient tort de parier sur une poursuite de l’appréciation de la devise américaine.

L’autre explication du report du lift-off, moins affichée encore, relève cette fois de la politique domestique. En prenant prétexte d’une inflation toujours trop basse, la Réserve fédérale va laisser le marché du travail se tendre encore un peu avant de commencer à normaliser sa politique. Le rythme des hausses de salaires devrait alors finir par accélérer. Jusqu’à présent, la baisse continue du taux de chômage ne s’est en effet accompagnée d’aucune inflexion de ce rythme, proche de 2 % depuis de longues années maintenant. Certains y voient la preuve que la baisse du taux de chômage exagère l’amélioration du marché du travail ce qui, dans une certaine mesure, est sans doute vrai. D’autres indicateurs n’en confirment pas moins que le marché du travail est dans un état désormais très proche de la normale. Les taux de licenciements n’ont jamais été aussi bas, le nombre de postes à pourvoir n’a jamais été aussi élevé, quant aux démissions volontaires, elles sont revenues sur leur niveau d’avant-crise. Comment, dans ces conditions, ne pas penser que les salaires vont bientôt commencer à augmenter plus vite ?

C’est sans doute précisément ce que la Fed souhaiterait voir avant de relever ses taux. D’autant qu’une dérive à la hausse des salaires conduira d’abord les entreprises, non à monter leurs prix, mais à écraser leurs marges et à investir plus pour augmenter la productivité du travail. L’économie américaine ne s’en trouvera pas plus mal. La part des profits dans le PIB n’a en effet jamais été aussi élevée et les gains de productivité n’ont jamais été aussi faibles qu’aujourd’hui. Une hausse plus rapide des salaires ne pourrait donc qu’avoir des effets positifs… sauf si le marché obligataire devait brutalement s’en inquiéter. Visiblement, la Réserve fédérale, sans doute sous l’impulsion de Janet Yellen, est prête à en prendre le risque…

Anton Brender

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