IFRS et investissements transfrontaliers
Dans son bulletin d’octobre 2019, la Banque de France montre que la part des actions françaises détenues par des non-résidents, qui s’élevait à 39 % en 2008, ne s’élève plus qu’à 37,8 % fin 2018. Le même bulletin d’octobre 2018 précisait que la France constitue une exception au sein de l’Union européenne puisque l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie et l’Espagne ont enregistré entre 2008 et 2017 une hausse, parfois très significative, du taux de détention d’actions cotées par des non-résidents. L’adoption des IFRS n’est pas pour rien dans l’accroissement de ces taux de détention et, de manière plus générale, dans la croissance des investissements transfrontaliers comme le montrent trois recherches récentes que nous examinerons ici. Ces études reposent toutes sur la même intuition. La généralisation des IFRS a permis l’adoption d’une langue comptable commune qui a accru la comparabilité des états financiers et limité les freins aux investissements transfrontaliers. Réduisant l’asymétrie informationnelle entre demandeurs et offreurs de capitaux, ces derniers ne comprenant pas toujours précisément les états financiers produits selon un référentiel comptable trop différent du leur, l’adoption des IFRS a réduit leur réticence à acquérir des titres de sociétés étrangères.
Dans ce contexte, DeFond et al. (2011) étudient l’évolution de l’actionnariat de 1 397 entreprises européennes qui ont adopté les IFRS dès 2005 et de 3 389 entreprises non européennes qui n’ont pas adopté les IFRS ou qui ne les ont adoptés que bien plus tard. Ils montrent que la part du capital détenue par des fonds mutuels étrangers est immédiatement passée de 3,9 % à 5,3 % entre 2003-2004 et 2006-2007 en cas d’adoption des IFRS. Elle n’a quasiment pas changé, restant proche de 1,5 %, quand ces normes n’ont pas été adoptées. Plusieurs analyses multivariées visant à comparer les entreprises passées aux IFRS à celles restées en normes locales, et tenant compte des divers autres facteurs susceptibles d’affecter la présence des fonds mutuels étrangers, confirment ce constat : l’adoption des IFRS a entraîné un accroissement immédiat de la présence des fonds étrangers. Cet accroissement étant plus fortement significatif dans les secteurs où ces normes sont rapidement devenues une référence du fait du grand nombre de firmes qui les ont adoptées, l’étude conclut que c’est la meilleure comparabilité des états financiers, résultant d’une meilleure connaissance des nouvelles normes, qui a amené les fonds étrangers à adapter la composition de leurs portefeuilles.
Outre l’intérêt que peut présenter la firme en IFRS pour des investisseurs étrangers qui connaissent bien ces normes, l’augmentation de la part des actions détenues par des non-résidents peut également venir d’une admission à la cote sur un marché étranger. Chen et al. (2015) étudient l’impact de l’adoption des IFRS sur la décision de cotation à l’étranger. L’étude porte sur 22 019 firmes domiciliées dans des pays ayant adopté les IFRS en 2005 et 67 208 firmes domiciliées dans des pays n’ayant pas adopté ces normes durant la période étudiée (entreprises témoins). L’étude montre que, suite à l’adoption des nouvelles normes, la part des entreprises en IFRS cotées à l’étranger est passée de 3,55 % en 2003-2004 à 7,82 % en 2006-2007. Elle a donc plus que doublé. Sur la même période, la part des entreprises témoins n’a pratiquement pas changé. Elle est passée de 2,46 % à 2,83 %. Les entreprises qui ont adopté les IFRS et bénéficié d’une cotation à l’étranger ont généralement opté pour un pays ayant lui-même imposé les IFRS. Elles sont 85 % dans ce cas. Seules 15 % de ces entreprises ont opté pour un pays n’ayant pas imposé les IFRS, essentiellement les Etats-Unis, ce qui suggère une moindre attraction des marchés boursiers américains depuis l’adoption des IFRS. La prise en compte de tout autre facteur susceptible d’influencer la décision de cotation à l’étranger ne modifie pas ces conclusions : l’adoption des IFRS a accru les cotations à l’étranger des firmes en IFRS, en particulier dans les pays où les IFRS sont devenus la référence en matière de reporting financier.
Le dernier facteur susceptible d’influencer la part des actions détenues par les non-résidents que nous évoquerons ici est celui des fusions-acquisitions transfrontalières. Adoptant une méthodologie semblable à celle des deux études précitées, Francis et al. (2016) analysent l’impact de l’adoption des IFRS sur le nombre et le montant des opérations de rapprochement transfrontalières selon que l’opération est de type 1 parce que les deux protagonistes (l’acquéreur et la cible) sont domiciliés dans des pays ayant adopté les IFRS ou selon que l’opération est de type 2 parce que les protagonistes sont domiciliés dans des pays où les normes comptables diffèrent. L’étude montre que l’adoption des IFRS eut pour effet d’accroître significativement le nombre et le montant des opérations de type 1. Elle fut sans effet sur les opérations de type 2.
Parce qu’elle permet une meilleure comparabilité des états financiers, l’adoption des IFRS a fluidifié les mouvements de capitaux en accroissant l’attractivité des entreprises appliquant ces normes. En ce sens, l’exception française rappelée plus haut mériterait quelques investigations notamment afin de déterminer si, et comment, chacun des arguments développés dans les trois études présentées ici est susceptible d’expliquer la moindre attractivité des actions françaises pour les non-résidents.
Références
Chen L., Ng J., and Tsang A. (2015), The Effect of Mandatory IFRS Adoption on International Cross-Listings. The Accounting Review: July 2015, Vol. 90, No. 4, pp. 1395-1435.
DeFond M., Hu X., Hung M. and Li S. (2011), The Impact of Mandatory IFRS Adoption on Foreign Mutual Fund Ownership. Journal of Accounting and Economics: April 2011, Vol. 51, No.3, pp. 240-258.
Francis J., Huang S., and Khurana I. (2016) The Role of Similar Accounting Standards in Cross‐Border Mergers and Acquisitions. Contemporary Accounting Research: Fall 2016, Vol. 33, No.3, pp. 1298-1330.
Pascal Dumontier est professeur, DRM Finance à l’Université Paris-Dauphine
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