Le reporting non financier et l’investisseur

Publié le 5 février 2021 à 18h32

Pascal Dumontier

"La DPINF a conduit les entreprises européennes à produire de l’information RSE utile à l’investisseur. "

Le corporate reporting englobe les informations financières ou non financières que les entreprises divulguent sur une base régulière parce qu’elles y sont contraintes (reporting obligatoire) ou sans y être contraintes (reporting volontaire). La recherche sur le reporting volontaire traite essentiellement du reporting non financier et plus particulièrement du reporting RSE relatif à la responsabilité sociétale de l’entreprise. Les études sur l’intérêt de ce dernier pour l’investisseur suggèrent clairement que, bien que ne portant pas sur des indicateurs financiers, ce reporting affecte favorablement la valorisation de l’entreprise sur les marchés. Il apparaît en effet que la notation financière et la liquidité des titres augmentent alors que l’asymétrie d’information et le coût du financement diminuent avec la qualité du reporting.

C’est probablement ce qui explique que le reporting RSE est de plus en plus contraint, comme l’atteste l’adoption récente de la directive relative à la publication d’informations non financières (DPINF) par l’Union européenne. Cette directive impose à toutes les sociétés cotées, mais pas seulement, de publier dans leur rapport annuel ou dans un rapport distinct des indicateurs de performance et une description de leurs activités, de leurs politiques, des résultats de ces politiques et des risques encourus en matière de questions environnementales et sociales, de personnel, de respect des droits de l’homme, de lutte contre la corruption. Pour ce faire, les entreprises peuvent se référer aux prescriptions généralement admises sur le plan national, européen ou international, notamment celles de la norme ISO 26000 ou de la Global Reporting Initiative. Deux études récentes se sont intéressées aux conséquences financières de l’adoption de cette directive.

Grewal et al. (2019)1 ont analysé l’impact de trois décisions clés du processus d’adoption de la DPINF sur la capitalisation boursière des entreprises européennes : la présentation du projet de directive par la Commission européenne le 16 avril 2013, l’accord du Conseil européen le 26 février 2014, l’adoption de la directive le 15 avril 2014. L’impact de chacun de ces trois événements est capté par l’écart entre la rentabilité des actions européennes et la rentabilité d’actions non européennes ayant des caractéristiques équivalentes. La somme des trois écarts mesure l’impact de l’annonce, dilué dans le temps, de la directive sur la valeur des entreprises qui vont y être soumises. L’étude montre que le processus d’adoption de la directive a eu un impact négatif sur le cours des actions européennes, la valeur des entreprises diminuant de 0,79 %. Les auteurs expliquent cet effet par le fait que les entreprises européennes disposeraient de moins de latitudes pour une gestion opportuniste de leur reporting RSE suite à l’adoption de la DPINF, ce qui valide l’intérêt de la directive. Ils constatent d’ailleurs que la baisse des cours est d’autant plus faible que la qualité du reporting RSE volontaire est élevée ou que l’entreprise affiche de bons résultats en matière de RSE.

Associant chaque entreprise européenne ayant appliqué la DPINF à une entreprise américaine de même secteur et de même taille, Karim (2021)2 analyse l’impact de la directive sur la quantité d’informations RSE divulguées et sur la liquidité des titres. Il constate, toutes choses égales par ailleurs, un accroissement des divulgations RSE significativement plus élevé pour les entreprises européennes que pour les entreprises américaines pour l’ensemble des divulgations RSE mais aussi pour chaque type de divulgations, qu’elles soient relatives à des questions environnementales, sociétales ou de gouvernance. 

Il constate aussi, et ce n’est pas surprenant, que ce sont les entreprises qui divulguaient le moins avant l’adoption de la DPINF qui ont le plus fortement accru leurs divulgations, sauf leurs divulgations sociétales. Plus étonnamment, les entreprises qui divulguaient le plus avant l’adoption ont plutôt eu tendance à réduire leurs divulgations, en particulier celles relatives aux questions environnementales et de gouvernance. Afin de déterminer si les divulgations RSE additionnelles résultant de l’adoption de la DPINF améliorent les conditions de marché, cette même étude analyse l’impact de la directive sur l’asymétrie d’information et la liquidité des titres. Les résultats sont sans ambiguïté. La DPINF a conduit les entreprises européennes à produire de l’information RSE utile à l’investisseur. C’est tout du moins ce que suggèrent l’accroissement de la liquidité et la réduction du déséquilibre informationnel constatés pour l’ensemble des actions européennes cotées.

1- Market reaction to mandatory non financial disclosure. Management Science

2 - Capital Market Consequences of Corporate Social Responsibility Disclosure: The Case of Europe, Université PSL-Paris-Dauphine

Pascal Dumontier Professeur, DRM Finance ,  Université Paris-Dauphine

Pascal Dumontier est professeur, DRM Finance à l’Université Paris-Dauphine

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