Il faut doter la zone euro d’un marché obligataire privé

Publié le 29 mai 2015 à 17h10

Anton Brender

En publiant mi-février, son livre vert sur l’Union des marchés de capitaux, la Commission européenne a lancé un débat essentiel pour l’évolution de notre système financier. On peut toutefois se demander si elle l’a lancé sur de bonnes bases. Pour Bruxelles d’abord, il est politiquement correct de ne pas distinguer, au sein de l’Union économique, les pays qui sont dans l’Union monétaire de ceux qui n’y sont pas. L’urgence est pourtant loin d’être la même. Un marché unique des capitaux peut être utile dans une union économique mais dans une union monétaire il est indispensable : mener une seule et même politique monétaire dans une zone aux pratiques et aux structures financières largement différentes est dangereux, les quinze premières années de l’euro viennent de le montrer. L’intégration financière des pays de la zone monétaire devrait donc être l’étape prioritaire d’un processus auquel le reste de l’Union économique se joindra, éventuellement, dans un deuxième temps. La logique bruxelloise conduit ensuite à privilégier une approche en termes de «libéralisation» des mouvements de capitaux. Là encore on peut s’interroger. Au sein de la zone euro, en particulier, le problème n’est pas seulement de lever des obstacles ou de supprimer des barrières pour permettre aux capitaux de circuler plus librement, mais bel et bien de construire des canaux qui permettront de mobiliser plus pleinement et d’allouer plus efficacement le potentiel d’épargne dont la zone dispose.

Encore faut-il pour cela avoir une claire idée des agents auxquels ces canaux doivent amener des financements. Or, là encore, l’approche de la Commission est étonnamment bancale, tournée presque exclusivement vers les entreprises et notamment les PME. Pourtant, depuis de longues années maintenant, dans la zone euro comme dans les autres économies développées, l’endettement des ménages pèse et progresse autant, sinon plus, que celui des entreprises. Mais il y a plus : l’endettement des ménages est beaucoup plus sensible aux mouvements de taux d’intérêt que celui des entreprises. Lorsque la banque centrale les fait monter ou baisser, c’est par le biais des emprunts et de la dépense des ménages – et non des entreprises – que la conjoncture sera  freinée ou stimulée. Pour la conduite de la politique monétaire, les conditions de financement des ménages, les modalités des prêts hypothécaires en particulier, sont décisives, et ce sont elles qu’il faudrait parvenir à unifier le plus rapidement possible. La mise en place de procédures et de standards communs de titrisation est, l’expérience américaine l’a montré, un puissant levier pour y parvenir.

Dans cette perspective, la principale faiblesse financière de la zone euro apparaît moins comme étant la faible taille de ses marchés boursiers que la quasi-absence d’un marché de titres obligataires privés. Certes, rapportée au PIB, la zone euro a une capitalisation boursière plus faible que les Etats-Unis. Mais aujourd’hui, contrairement à ce que semble suggérer la Policy contribution d’avril de Bruegel, la Bourse n’est plus, en termes nets, une source de financement pour les sociétés américaines. Des entreprises continuent bien sûr, outre-Atlantique, d’aller lever en Bourse les capitaux propres nécessaires à leur développement. Au total toutefois, depuis de longues années, les sociétés américaines acquièrent, dans le cadre de programmes de rachats d’actions ou à l’occasion d’opérations de fusions-acquisitions, plus de titres qu’elles n’en émettent : elles rendent des capitaux propres au marché. La différence la plus importante entre l’Europe et les Etats-Unis, du point de vue aussi bien de la conduite de la politique monétaire que du financement des agents privés, a trait au rôle des marchés de titres obligataires : aux Etats-Unis, les entreprises comme les ménages y puisent directement ou, indirectement par le biais d’opérations de titrisation, une part prépondérante de leurs financements. Dans la zone euro, cette part est beaucoup plus faible : les banques constituent leur source de financement presque exclusive. Doter la zone euro d’un grand marché obligataire privé, source de financements aussi bien pour les ménages que les entreprises et alimenté par nos collecteurs d’épargne (assureurs, fonds de pensions…) comme par ceux du reste du monde, devrait être aujourd’hui l’objectif prioritaire. On ne l’atteindra pas sans qu’un cap clair soit donné.

Anton Brender

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