Inflation à 2 % : encore loin ?
Les taux d’intérêt vont baisser les 17-18 septembre aux Etats-Unis vers 5,25 %, pour contrer une inflation à 3 %. La Fed l’annonce prudemment, Jerome Powell le confirme à Jackson Hole. L’institution va ainsi quitter des niveaux de taux les plus hauts depuis 23 ans. Le marché du travail se calme, avec un taux de chômage à 4,3 % qui augure de moindres hausses de salaires, vers 3,9 % en rythme annuel, en attendant une vraie décélération. Les taux d’intérêt baisseront encore, et surtout en 2025 où l’on parle de 100 points de base. De son côté, la zone euro va continuer ses baisses, en allant vers des taux à 4 % contre 2,6 % d’inflation, continuant à un rythme évidemment plus lent qu’aux Etats-Unis.
Plus lent, car les taux réels américains, d’abord, sont plus élevés qu’en zone euro : 2,25 % contre 1,6 % Mais surtout parce que la croissance américaine dépasse l’européenne : 2,8 % en 2024 contre 1,4 %. La Fed a donc des « réserves de baisse », pas la BCE. Le secret ? Les Etats-Unis « marchent » aux marchés financiers pour les 2/3 de leur financement et pour 1/3 grâce au crédit. C’est l’inverse en zone euro : 2/3 par crédit et 1/3 par marchés. Ces derniers vont donc bien plus vite en moyenne, accélérant davantage mais freinant aussi plus brutalement. Les marchés sont plus exigeants mais plus volatiles que les crédits bancaires.
Or, ces deux véhicules, américain et européen, si différents par leur alimentation, sont censés obtenir la même vitesse de croisière en inflation : 2 %. Ceci implique des conduites différentes de leurs politiques monétaires. Les deux parlent tous et toujours de 2 %, leur commun objectif, en ajoutant « à moyen terme ». Ils ne s’engagent pas trop pour le futur immédiat, se disant « data dependant ». Liés aux données économiques immédiates, ils en deviennent paradoxalement plus libres de leurs délais à manœuvrer !
«L’inflation a changé, l’inflation industrielle laissant place à l’inflation servicielle.»
La difficulté qu’ils rencontrent, avec leurs deux véhicules différents pour un même objectif de vitesse de croisière des prix, est que l’inflation a changé. L’inflation industrielle laisse place à l’inflation servicielle, dans une économie où les services pèsent pour plus de 80 % de la valeur ajoutée. Inutile d’attendre de gains de productivité industrielle une lutte contre l’inflation : ils ne suffiront pas. En France par exemple, l’Insee vient de calculer que la dernière hausse des prix, 2,3 % en juillet vient de 2,6 % des services qui pèsent 51 % de l’indice, contre 0 % venant des 23 % des produits manufacturés.
Tout regain de l’inflation est donc combattu avec vigueur aux Etats-Unis, sous le triple effet de la montée des taux courts de la Banque centrale, amplifiée par les taux des banques commerciales plus élevés et réactifs qu’en zone euro, sans oublier la plus forte sensibilité des taux longs, décisifs pour le logement et la bourse. On comprend donc que les hausses de taux sont en fait plus fortes aux Etats-Unis qu’en zone euro, mais il reste surprenant qu’elles y durent plus longtemps, même si le marché du travail y est plus réactif. L’explication est encore dans les services : le marché du travail a vécu une longue période de chômage très bas à moins de 4 % avant l’explosion de la Covid-19 sans vraie hausse des salaires, jusqu’au brusque retournement qui a suivi, à résorber. La politique monétaire américaine, plus restrictive que l’européenne, entend donc trouver un nouveau réglage de son inflation servicielle, après des années de répression salariale qui se corrigent. N’oublions pas que le président Biden lui-même a appelé à des revalorisations salariales. Voilà pourquoi, aux Etats-Unis, il est compliqué d’atteindre 0,5 % d’inflation servicielle en moins sans récession.
La politique monétaire en zone euro est à la fois plus graduelle et plus violente. Plus graduelle car la BCE a monté 10 fois ses taux contre 7 par la Fed en 14 mois contre 10. Mais aussi plus violente puisque la BCE partait de taux à 0 %, contre 2,5 % pour la Fed. Si l’inflation salariale, devenue servicielle, fait partout de la résistance, BCE et Fed n’oublient surtout pas les situations qu’elles vivent. 2 %, c’est plus compliqué que loin.
Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.
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