La Fed va-t-elle monter ses taux ?

Publié le 26 février 2025 à 13h49

Jean-Paul Betbèze    Temps de lecture 4 minutes

3 % en janvier : c’est l’inflation américaine sur un an, contre un taux de 2,9 % attendu. Pire, c’est 0,5 % en janvier sur un mois, après 0,4 % en décembre, 0,3 % en novembre et 0,2 % en octobre. On saura ce que décide la Fed, le 19 mars ou le 18 juin, quand elle aura publié ses prévisions, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle ne baissera pas ses taux. Jay Powell, le président de la Banque centrale américaine, ne pourra plus jouer les prolongations pour ne pas réagir aux executive orders du président Trump haussant de 25 % les droits de douane sur les importations venant du Mexique et du Canada, avec un mois de pause. Le 29 janvier, il n’avait pas baissé ses taux, se séparant de la zone euro, du Canada, puis du Royaume-Uni.

Il avait alors deux bonnes raisons de ne pas le faire… sans compter la vraie. D’abord la croissance américaine était forte, pour preuve une inflation à 2,9 % qui résistait à ses taux courts à 4,5 %, sachant que les rendements publics à 30 ans étaient passés un temps à 5 %, preuve qu’ils s’inquiétaient. Deuxième raison de cette « non-baisse » : il fallait attendre pour avoir plus de données sur les « actions Trump » et sur les réactions qu’elles suscitaient. Mais la vraie raison était qu’il savait que les mesures Trump réduiraient l’emploi, puis la croissance et feraient monter les prix des produits importés, puis de tous les autres : attendre, pour ne pas s’immoler !

Ce n’est pas plus simple pour les marchés !

Les marchés financiers ne s’embarrassent pas de ces précautions. Pour eux, à court terme, il y aura moins de croissance et plus d’inflation. C’est à moyen et long terme que cinq stratégies au moins sont possibles : derisking en s’éloignant de la Chine, mais vers où, nearshoring en se rapprochant des marchés américain et européen, mais jusqu’où, ou en se rapprochant des Etats-Unis, où l’énergie est moins chère et les impôts moins élevés, ou de l’Europe qui se renforcerait pour peser avec les Etats-Unis face à la Chine ? Mais tout sera plus cher, au moins au début, et mobilisera des ressources. En toute hypothèse, la désinflation est au moins freinée. La suite est hypothétique et portera sur le partage du fardeau financier de ces restructurations et de leurs effets.

Vers une stratégie des deux gagnants ?

A court terme, pour être tranquille, Jay Powell pourrait choisir « la piste des deux gagnants », Etats-Unis et Chine. Chacun s’engagerait dans « sa » révolution technologique : Nvidia/USA, contre DeepSeek/Chine. Ceci peut ressembler à la course à la lune Etats-Unis-URSS qui fit exploser la seconde, chacun étant dans son couloir. Ce choix a l’avantage de soutenir la croissance mondiale et de modérer une remontée des taux qui paraît inévitable, avant de pouvoir bénéficier des effets de l’IA, que l’on peut supposer désinflationnistes à terme, mais…

Mais il n’y aura pas deux âges d’or

Une deuxième guerre froide ne peut qu’arriver entre les deux nouveaux belligérants, puisque chacun sait que la première en a tué un. Rien ne sera donc « froid », les Etats-Unis choisissant de claironner leurs offensives faciles, contre leurs voisins d’abord, puis leurs alliés. Pour se renforcer ? Avec ce qui se passe, les marchés vont devoir faire ce qu’ils détestent : voir à long terme les effets de ces combats imbriqués, tous contre tous, sur divers théâtres d’opérations. En face, la Chine a le temps : un peuple qui semble coi, un chef qu’il est risqué de contester et des armées d’ingénieurs très mal payés (par rapport à la Silicon Valley).

Moralité…

Jay Powell va préparer des comptes et peut-être des scénarios, pendant que Mexique, Canada et zone euro baisseront leurs taux, ce qui fera monter le dollar. Puis il faudra qu’il tranche, en montant ses taux si les taxations annoncées ne sont pas réduites dans le temps, en fonction des concessions qui pourraient être accordées. On peut s’attendre à plusieurs deals mais c’est un art qui prend du temps, denrée rare en finance. Que la Fed soit « behind the curve », c’est-à-dire trop en retrait par rapport à l’inflation, sera la plus aimable critique envers Powell. Les taux longs vont monter, pour calmer le jeu. Mais que fera Trump ?

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Il est membre du Cercle des économistes.

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