La crise immobilière enterrera-t-elle les rêves de prospérité de la Chine ?
Le modèle chinois est en transition. Faire évoluer le régime de croissance, basé sur une production manufacturière intensive en main-d’œuvre et sur l’attraction de technologies étrangères, vers une économie axée sur l’innovation tirée par la consommation intérieure et le développement des services ne s’avère pas chose facile.
Cette transition est d’autant plus compliquée qu’elle s’accompagne d’une crise de croissance et de confiance, une sorte de prix à payer pour purger les excès passés avec une bulle de surinvestissement, notamment dans l’immobilier, en train de se dégonfler. Après un net ajustement des volumes (transactions et nouveaux chantiers), c’est au tour des prix de baisser. Confrontées à cette spirale déflationniste, synonyme d’un appauvrissement des ménages, lesquels ont, en moyenne, 70 % de leur patrimoine investi en immobilier, les autorités ont annoncé une série de mesures, principalement destinées au soutien du secteur immobilier.: création d’un fonds afin que les villes achètent directement des logements vacants, assouplissement des conditions d’accès à la propriété, injections de liquidités pour soutenir promoteurs et banques, baisse des taux hypothécaires sur les stocks et les nouveaux crédits afin de redonner du pouvoir d’achat aux ménages... L’objectif est de réinsuffler de la confiance dans l’économie, afin de limiter les comportements attentistes et d’encourager la consommation et les achats immobiliers plutôt que l’épargne et le désendettement. Cependant, un processus long et douloureux sera sans doute nécessaire pour absorber tout le stock, construit ou non, résultant d’années de surconstruction et de dérives spéculatives, et pour rassurer des ménages échaudés par la crise du Covid et un marché du travail dégradé, en particulier pour les jeunes.
«Un processus long et douloureux sera sans doute nécessaire pour absorber tout le stock, construit ou non, résultant d’années de surconstruction et de dérives spéculatives.»
Dans ce contexte domestique peu porteur, la Chine doit aussi faire face à la matérialisation de la menace protectionniste. Les Etats-Unis et le Canada ont annoncé des hausses de tarifs douaniers sur l’acier, l’aluminium et les véhicules électriques. Mais c’est surtout de l’Union européenne qu’est venu le coup le plus dur, en confirmant des hausses considérables des droits de douane sur les véhicules électriques, de 25 % à 45 % pour les constructeurs chinois les moins coopératifs. En réponse, la Chine a proposé d’entamer des négociations avec la Commission européenne sur des quotas et des prix planchers des véhicules. Echaudée par le précédent des panneaux solaires, qui avaient également fait l’objet de quotas en 2013, avant que la production européenne ne se fasse complètement décimer par la concurrence chinoise, la Commission n’a pas donné suite, même si les négociations restent ouvertes.
A ce stade, la Chine compte encore sur le commerce extérieur pour soutenir sa production industrielle. Là est d’ailleurs tout le problème : plus elle ralentit, moins elle absorbe sa propre production, et plus elle a besoin du reste du monde pour exporter ses surcapacités. Or ses partenaires et rivaux commerciaux ne sont désormais plus prêts à échanger des emplois contre des produits bon marché. Coincée dans ce cercle vicieux, la Chine n’a d’autre choix que de réformer en profondeur son économie, mais peine à le faire.
Alors que la Chine traverse une passe difficile, la réunion du troisième plénum qui s’est tenue en juillet, traditionnellement consacrée aux affaires économiques, était très attendue afin de donner un nouveau cap.
Finalement, aucune réforme d’ampleur n’a été annoncée. On peut néanmoins citer comme mesure nouvelle la collecte de la TVA désormais perçue au niveau local, directement par les provinces ou les collectivités. Cette évolution est importante, car elle acte la prise en compte de deux changements structurels. Le premier est la perte conséquente de ressources en propre des collectivités locales, qui tiraient le principal de leurs revenus de la vente de terrains, et donc la fin d’un modèle de taxation fondé sur le développement immobilier. Le second réside dans la décentralisation de la politique fiscale, alors que l’Etat central s’est engagé à faire preuve de plus de transparence et de générosité vis-à-vis des provinces, lesquelles ont supporté l’essentiel des efforts en investissements des deux dernières décennies et se sont massivement endettées. Reste que la pression fiscale demeure peu élevée en Chine, et que les réformes en discussion depuis des années (taxe sur la propriété, par exemple) n’avancent toujours pas.
Deuxième réforme engagée, celle des retraites. Avec un système peu ou prou inchangé depuis les années 1950, la Chine, confrontée au vieillissement accéléré de sa population, s’est résolue à reporter l’âge légal de la retraite. Pour ne pas attiser le mécontentement social, la réforme entrera en vigueur en 2025 et sera étalée sur quinze ans, avec un départ repoussé de 60 à 63 ans pour les hommes et de 55 à 58 ans pour les femmes (50 à 55 ans pour celles exerçant un travail manuel). En outre, le nombre d’années de cotisations pour toucher une pension passera de quinze à vingt ans, mesure pénalisant surtout les travailleurs migrants, pas toujours déclarés.
Cette réforme, impopulaire, acte aussi un alignement avec la réalité, celle d’une gestion catastrophique de la question démographique, entamée avec la politique de l’enfant unique, dont l’assouplissement, puis l’abandon, n’a jamais permis de redresser la natalité. Ce déclin démographique, qui amène les ménages chinois à thésauriser pour leur retraite, vient contrecarrer l’objectif de bascule vers un régime de croissance plus autocentrée et fait donc reposer le rêve de puissance sur le saut et le découplage technologique.