La politique monétaire ne peut pas plaire à tout le monde

Publié le 4 juillet 2014 à 15h27    Mis à jour le 4 juillet 2014 à 18h20

Michala Marcussen

La chasse au rendement continue de comprimer les primes de risques. Début juillet, celles-ci touchaient leur plus bas niveau depuis la crise. A l’origine de ce phénomène se trouvent les anticipations de politiques monétaires : elles sont attendues très accommodantes pour les prochaines années. Les marchés anticipent que les taux directeurs américains seront plus bas que ce que les membres du comité de politique monétaire de la Reserve fédérale prévoient. Quant à elle, la Fed prévoit un cycle de resserrement beaucoup plus lent que dans les précédents cycles économiques antérieurs. Nous évoquons ici deux explications possibles, la persistance d’une inflation basse et une perception de la Fed comme protection contre toute surprise économique. Toutefois, la Fed comme les autres banques centrales ne peuvent pas plaire à tout le monde.

 

Une inflation durablement basse : Selon le Bureau national de recherche économique (NBER), l’économie américaine a touché son bas du cycle en juin 2009. Ainsi, la reprise actuelle entre dans sa sixième année et selon nos prévisions, le haut de cycle ne sera atteint qu’en 2018, ce qui ferait du cycle actuel un des plus longs de l’Histoire. Par son ampleur, la reprise actuelle reste modeste. L’économie américaine dispose encore d’excès de capacité de production, ce qui explique à la fois la longueur anticipée du cycle actuel et la faiblesse de l’inflation.

Actuellement, la Reserve fédérale prévoit une progression des prix des dépenses de consommation (PCE) de 1,8 % d’ici 2016. Le marché prévoit quant à lui une inflation au-dessus de 2,1 % sur le même horizon, mais en se basant sur un autre indice, l’indice des prix à la consommation (CPI). En mai, l’inflation CPI s’établissait à 2,1 % quand l’inflation PCE était à 1,8 %, soit un écart de 0,3 %. Au cours des vingt dernières années, cet écart est de l’ordre de 0,5 %, ce qui suggère que la prévision implicite de la Fed sur l’inflation CPI est proche de 2,3 %, soit 0,2 % supérieure à celle des marchés. Pour notre part, nous voyons l’inflation des prix à la consommation aller encore plus haut, pour atteindre 2,5 % fin 2014.

Ces écarts entre les prévisions d’inflation ne s’expliquent pas pour autant par des différences sur les prévisions de croissance économique. A première vue, la faiblesse du taux d’intérêt réel à 10 ans américain, à seulement 0,3 %, suggère des perspectives économiques très faible. Toutefois, qu’’il s’agisse de la Réserve fédérale, du consensus des économistes ou de nos propres prévisions, la plupart des conjoncturistes anticipent une croissance avoisinant non pas 0,3 % mais 3 % dans les années à venir. Les nouveaux plus hauts atteints par les places boursières américaines plaident eux aussi pour une vision d’une reprise américaine durable. In fine, ce sont plutôt les anticipations d’une politique monétaire durablement accommodante qui expliquent l’extrême faiblesse des taux d’intérêt réels. Pour résumer, l’explication des écarts entre les prévisions d’inflation se trouverait dans les excès de capacité, notamment sur le marché de travail américain.

Dans ce contexte, l’incertitude principale concerne le taux de participation. Corrigé des facteurs démographiques, le taux de participation est en baisse de 2 points depuis le début de la crise, ce qui représente environ 1,8 million de personnes. Un retour de ces personnes sur le marché du travail, combiné avec la création de 200 000 emplois par mois (notre scénario de base), n’entraînerait pas de nouvelle baisse du taux de chômage pendant près de deux ans. Selon nos prévisions, la normalisation du taux de participation américain se fera très graduellement, en raison des phénomènes d’hystérésis. La vision des marchés nous paraît plus optimiste que la nôtre. Elle table sur une hausse plus rapide du taux de participation, réduisant le risque d’inflation salariale, permettant ainsi à la Fed de conserver une politique monétaire accommodante pendant plus longtemps.

Une protection implicite contre la croissance faible : Depuis la crise, les déceptions en termes de croissance économique ont dans l’ensemble déclenché de nouveaux assouplissements de la politique monétaire américaine. Cette protection apparente est sans doute un facteur de confort pour tous les actifs risqués. Dans le passé, ce phénomène a même trouvé des noms avec les célèbres «Greenspan put» et «Bernanke put». Aujourd’hui, il nous semble que les banques centrales sont beaucoup plus attentives aux risques liés à la stabilité financière, notamment à l’émergence de bulles. Aussi, le marché risque d’être déçu s’il attend un «Yellen put». Les banques centrales ne peuvent pas faire plaisir à tout le monde.

Michala Marcussen

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