La RSE a-t-elle pesé sur les décisions de retrait de la Russie ?

Publié le 3 février 2023 à 16h31

Edith Ginglinger    Temps de lecture 5 minutes

Ya-t-il une relation entre la responsabilité sociale des entreprises et la décision d’un retrait ou d’une suspension des activités en Russie à la suite du déclenchement du conflit en février 2022 ? Ou ce retrait est-il plutôt lié à des enjeux opérationnels ou de réputation ? Les informations sur la réaction des entreprises à l’invasion de l’Ukraine peuvent être trouvées dans la presse, mais ont également été compilées par une équipe de chercheurs de la Yale School of Management1. Ces réactions sont classées en plusieurs catégories, depuis un retrait total jusqu’à la poursuite des activités (business as usual).

Deux études récentes se sont intéressées à cette question. La première prend en compte les entreprises cotées européennes appartenant à l’indice STOXX600 (17 pays, représentant plus de 90 % de la capitalisation boursière totale du continent européen) et les entreprises américaines appartenant au S&P5002. A la date de l’étude, en février 2022, pour les 718 entreprises pour lesquelles l’information est disponible, l’exposition à la Russie est en moyenne de 1,56 % du chiffre d’affaires, mais peut aller jusqu’à 16,7 % pour Mondi (entreprise de carton/emballage au Royaume-Uni), et est par exemple de 9 % pour Renault et 6 % pour Danone. Les entreprises de taille moyenne sont plus exposées (1,87 % du chiffre d’affaires) que les entreprises les plus grandes (1,28 %). Cette exposition à la Russie est étroitement associée à la décision de l’entreprise d’y suspendre ses activités : les entreprises qui ont annoncé leur retrait durant les 60 premiers jours après le début de l’offensive, qui représentent 20 % de l’ensemble de l’échantillon, étaient relativement moins présentes en Russie. Mais l’annonce de leur retrait a également exercé une pression médiatique sur les autres entreprises. Les auteurs examinent ensuite les campagnes de boycott sur Twitter et mesurent leur viralité (nombre de tweets, retweets et rapidité de diffusion). Ces campagnes ont concerné 53 % des plus grandes entreprises, mais seulement 2,7 % des entreprises de taille moyenne. L’étude montre que la décision des entreprises de se retirer de Russie est positivement associée aux campagnes de boycott, mettant en lumière l’importance de la pression que peuvent exercer les parties prenantes sur les entreprises par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Les dirigeants tendent à promouvoir les intérêts des parties prenantes lorsque la richesse des actionnaires est potentiellement affectée par un risque de réputation. Ces résultats indiquent que la pression des parties prenantes sur les dirigeants des entreprises est un moyen efficace pour influencer leurs décisions, mais qu’elle tend à se concentrer sur les grandes entreprises très médiatisées, tandis que les autres acteurs du marché sont peu affectés.

La deuxième étude s’intéresse exclusivement aux entreprises européennes du STOXX6003 pour apprécier si les scores ESG ont un lien avec les décisions des entreprises de suspendre leurs activités en Russie. Les auteurs s’appuient sur les notes de sept fournisseurs de données ESG (Refinitiv, Bloomberg, MSCI, RobecoSAM, Sustainalytics, ISS, CDP). Ils constatent tout d’abord que les entreprises ayant les meilleurs scores ESG n’étaient pas moins susceptibles d’opérer en Russie avant le début de l’offensive. Ils s’intéressent également à la qualité des informations fournies aux investisseurs sur les activités en Russie : sont-elles seulement évoquées, détaillées par filiales, y a-t-il des éléments qualitatifs ou des informations précises chiffrées ? L’étude montre que la qualité des informations aux investisseurs sur leurs activités en Russie ne diffère pas selon les scores ESG des entreprises. De plus, les entreprises bien notées sur le plan ESG n’ont pas été plus rapides, ni plus susceptibles de retirer ou de suspendre leurs activités en Russie. Enfin, l’examen de la performance boursière autour du début de la guerre montre que les entreprises les plus exposées au marché russe sont celles dont le cours a le plus baissé (de l’ordre de -4 % sur les trois jours après l’annonce du conflit). Celles qui sont les plus transparentes sur cette exposition dans leurs documents de référence subissent un impact négatif supplémentaire. En revanche, le fait d’avoir un score ESG plus ou moins élevé ne modifie en rien les réactions du cours de l’action à l’annonce de la guerre. Les auteurs en concluent que les entreprises avec des notes ESG élevées (note globale ou scores sociaux et de droits humains) ne sont pas plus susceptibles d’adopter des comportements socialement responsables lorsqu’ils opèrent à l’étranger. 

1- www.yalerussianbusinessretreat.com

2- Pajuste et Toniolo, 2022, Corporate Response to the War in Ukraine : Stakeholder Governance or Stakeholder Pressure ? Disponible sur SSRN.

3- Ahmed et al., 2022, Are ESG Ratings Informative About Companies’Socially Responsible Behaviors Abroad ? Evidence from the Russian Invasion of Ukraine. Disponible sur SSRN.

Edith Ginglinger Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Edith Ginglinger est professeur à l’Université Paris-Dauphine

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