La transparence permet-elle de réduire les écarts de rémunération entre femmes et hommes ?
Depuis 2019, les entreprises françaises de plus de 50 salariés sont tenues de publier un index d’égalité entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise : cet index est calculé à partir des écarts de rémunération, de promotion, d’augmentations salariales en particulier à l’issue d’un congé maternité. Il tient également compte du nombre de femmes et d’hommes parmi les dix rémunérations les plus élevées.
Cette obligation de transparence existe dans de nombreux pays, avec des modalités et des champs d’application variables. Par exemple, les entreprises australiennes de plus de 100 salariés reportent depuis 2012 les différences genrées de salaires, les entreprises belges de plus de 50 salariés publient un bilan social incluant les différences de rémunération depuis 2012 également. Au Danemark, c’est depuis 2006 que les entreprises de plus de 35 salariés doivent reporter les écarts de salaires femmes-hommes, tandis qu’au Royaume-Uni, c’est le cas depuis 2010 pour les entreprises de plus de 250 salariés. La plupart des Etats européens ont adopté des mesures plus ou moins contraignantes dans ce domaine.
Ces obligations de transparence ont-elles un effet sur les rémunérations des salariés et ont-elles des conséquences financières pour les entreprises ? Plusieurs études se sont intéressées à ces nouvelles réglementations. En effet, comme elles ne s’appliquent pas à toutes les entreprises, il est possible de comparer l’évolution des indicateurs d’intérêt pour les entreprises soumises aux règles de transparence après la mise en œuvre de la nouvelle réglementation par rapport aux entreprises qui sont juste en deçà du seuil, et qui échappent à l’obligation. Nous allons nous focaliser sur les résultats d’une étude menée au Danemark [1] où l’obligation de transparence est ancienne (2006), et qui présente l’avantage de mettre à disposition des chercheurs des données d’une qualité exceptionnelle. Les chercheurs montrent tout d’abord que l’écart de rémunération diminue de 2 % après la mise en œuvre de l’obligation de divulguer les inégalités salariales, ce qui représente 13 % de l’écart initial, de 15,4 %. Plus surprenant, la réduction de l’écart de rémunération est obtenue non par une augmentation des salaires des femmes, mais par une moindre croissance des salaires des hommes, comparée à la croissance des salaires des femmes. Par ailleurs, en examinant des données du ministère de la Santé, les auteurs établissent que la consommation d’antidépresseurs par les femmes diminue dans les entreprises concernées par l’obligation de transparence, et ce d’autant plus que les inégalités de genre avant la loi étaient élevées. De plus, ces entreprises ont recruté 5 % de femmes en plus, montrant une plus grande attractivité de salaires réajustés pour elles. Les résultats des entreprises ne sont quant à eux pas impactés par l’obligation de transparence.
« La mise en place de l’index de l’égalité professionnelle n'a entrainé, probablement en raison de sa complexité, aucune variation des inégalités de rémunération femmes-hommes.»
Qu’en est-il en France ? L’Institut des politiques publiques a mené une évaluation de la mise en place de l’index de l’égalité professionnelle à partir de 2019. Tout d’abord, la moitié seulement des entreprises normalement assujetties publient l’indicateur sur 100 points prévu par la loi (mais 93 % des entreprises de plus de 1 000 salariés). Globalement, les notes publiées sont élevées (85,9/100 en 2021), une des raisons en étant l’introduction d’un seuil de tolérance (les écarts inférieurs à 5 % sont ramenés à 0). En utilisant l’ensemble des données administratives, les auteurs de l’évaluation mènent une étude similaire à celle décrite plus haut pour le Danemark. Ils ne trouvent aucune variation des inégalités de rémunération femmes-hommes à la suite de la mise en place de l’index. A la différence de la plupart des autres pays dans lesquels des indicateurs simples d’inégalité doivent être publiés, la complexité de l’index français, qui comporte plusieurs dimensions additionnées, explique probablement cette absence d’effet. Les PME n’ont pas toujours les services de ressources humaines en mesure de le calculer, les notes moyennes obtenues sont élevées et peu informatives des inégalités effectives, de nombreuses entreprises ne publient pas l’index, et une forme d’optimisation du calcul est potentiellement à l’œuvre, car la reconstruction de la note à partir des données administratives montre un écart de plus de 8 % entre les notes publiées et les notes recalculées par les auteurs de l’étude. Il est à relever que l’index devra probablement évoluer dans les prochaines années pour se mettre en conformité avec la directive européenne du 10 mai 2023, qui doit être transposée en droit interne au plus tard le 7 juin 2026, et qui prévoit la publication de statistiques simples sur les écarts de rémunération entre femmes et hommes.
[1] Bennedsen, Simintzi, Tsoutsoura et Wolfenson, « Do firms respond to gender pay gap transparency », Journal of Finance, août 2022.
Edith Ginglinger est professeur à l’Université Paris-Dauphine