La TTF européenne : tâtonnements entre mythe et réalité

Publié le 25 juillet 2014 à 10h25    Mis à jour le 25 juillet 2014 à 15h52

Carole Gresse

En 1972, l’économiste James Tobin, prix Nobel d’économie, proposait de créer une taxe mondiale sur les transactions monétaires internationales afin de limiter la volatilité des taux de change. L’objectif de la taxe Tobin, qui n’a finalement jamais vu le jour, était de stabiliser les cours des devises au sortir du système monétaire de Bretton Woods. Quarante ans plus tard, l’idée d’une taxe sur les transactions financières (TTF) renaît dans les propositions fiscales de la Commission européenne dans le but de faire supporter aux banques le coût du soutien financier qu’elles ont reçu des Etats lors de la crise financière. Pour les défenseurs de la TTF, cette taxe permettrait également de limiter la spéculation sur les produits les plus risqués dont l’utilisation excessive présente un risque systémique. Si les objectifs annoncés sont très séduisants, le processus de négociation pour la mise en place de la TTF entre les 11 Etats membres l’ayant acceptée tâtonne. La Slovénie s’est retirée du groupe des 11 pour des motifs de politique intérieure et l’Estonie exprime des hésitations. L’instauration, initialement envisagée pour le début de 2014, devrait avoir lieu avant le 1er janvier 2016, mais avec un champ d’application plus restreint que prévu. Pourquoi de tels atermoiements ?

En pratique, l’instauration d’une telle taxe peut s’avérer inefficace, voire contre-productive, si certains principes de réalité ne sont pas pris en compte, comme le soulignent diverses critiques émises par l’industrie financière et par certains banquiers centraux. Ces critiques portent essentiellement sur la collecte de la taxe, sur son impact sur le marché du repo et sur ses conséquences pour les fonds monétaires. Concernant la collecte, Bruxelles prévoit de prélever la taxe dès lors que l’une des contreparties est située dans l’un des pays membres appliquant la TTF, ce qui pose un problème d’extraterritorialité lorsque la deuxième contrepartie est non-résidente. En outre, la TTF limiterait la libre circulation des capitaux en taxant différemment les échanges avec les pays participant à la TTF et les échanges avec les autres pays membres. Cette différenciation est également susceptible de créer des distorsions de concurrence entre les pays participants et les autres. Le risque de délocalisation des transactions explique d’ailleurs pourquoi J. Tobin avait conçu sa taxe à l’échelle mondiale et pourquoi certains banquiers ne la considèrent applicable qu’au niveau du G20. Concernant le repo, selon les professionnels des marchés monétaires, le taux envisagé pour la TTF – soit 0,01 % pour les échanges de dérivés et 0,1 % pour les actions, les obligations, les parts d’OPCVM, et les prêts/emprunts de titres – pourrait faire disparaître la plupart des opérations de pensions livrées car la taxe serait supérieure aux revenus dégagés de ces opérations. La disparition des repos forcerait les banques centrales à se substituer à ce marché, ce qui entraverait leur maîtrise de la politique monétaire. Quant aux fonds monétaires, la TTF achèverait de réduire à néant leur performance dans une conjoncture de taux bas.

Enfin, les taxes sur les transactions présentent une propension particulière à éroder leur assiette. Un article académique publié au Journal of Financial Economics en 1993 par Steven R. Umlauf montre que la taxe sur les transactions introduite en Suède dans les années 1980 avait entraîné une baisse des volumes et une délocalisation des échanges en Grande-Bretagne sans pour autant faire baisser la volatilité. En France, la TTF de 0,2 % introduite en août 2012 sur les achats d’actions émises par des entreprises françaises dont la capitalisation est supérieure à 1 milliard d’euros, a entraîné une baisse des volumes limitée mais sensible : une étude de l’AMF établit cette baisse à 20 % lors de la première semaine d’application et à 10 % sur le long terme. Une autre étude de Jean-Edouard Colliard et Peter Hoffmann, économistes à la BCE, confirme cet effet de long terme sur les volumes sans détecter d’impact ni sur les fourchettes de prix ni sur la volatilité. L’effet le plus notable est une chute de 40 % des volumes sur le marché OTC entre juin et octobre 2012. Au final, la TTF française aura rapporté deux fois moins que prévu – 690 millions d’euros en 2013 au lieu des 1,6 milliard attendus. D’aucuns pourraient alors être tentés d’élargir l’assiette en taxant les transactions intra-journalières, alors que la TTF française actuelle ne taxe que les achats nets en fin de journée et exempte la tenue de marché, mais le risque serait alors d’altérer significativement la liquidité.

Carole Gresse Professeur ,  Université Paris Dauphine-PSL

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