L’appréciation de la monnaie,hantise des banques centrales
En décidant d’accroître encore le montant de ses achats d’actifs, la banque de Suède a fait un geste qui aide à mieux comprendre la logique des politiques menées actuellement par les banques centrales occidentales. Sous couvert d’atteindre un objectif d’inflation, elles tentent, les unes comme les autres, d’éviter une appréciation trop forte de leur monnaie. Pourquoi sinon, avec des prix immobiliers arrivés à des niveaux inquiétants et une croissance de l’activité soutenue, la Riksbank chercherait-elle à soutenir plus encore sa demande intérieure? Sa décision, jointe aux déclarations de son gouverneur sur la possibilité d’une baisse supplémentaire de son taux directeur, déjà à – 0,35 %, n’avait qu’un objectif : empêcher la couronne de s’apprécier face à l’euro.
Les annonces récentes de la BCE, à laquelle la banque de Suède vient ainsi de répondre du tac au tac, relèvent-elles de cette même logique ? La hausse quasi-nulle des prix à la consommation ne suffit-elle pas à justifier que notre banque centrale fasse «tout ce qu’elle peut» pour faire remonter l’inflation ? En agissant ainsi, elle s’en tient effectivement pleinement à la lettre de son mandat. A mieux y regarder pourtant, les choses deviennent plus floues. Quelqu’un qui ne connaîtrait rien de l’histoire récente de la zone euro pourrait-il comprendre qu’après avoir déjà plus que doublé la taille de son bilan, notre banque centrale envisage d’aller plus loin encore parce que l’inflation sous-jacente, qui donne la mesure des pressions inflationnistes issues de notre économie, au lieu d’être à 1,5 % comme il y a dix ans est à… 1 % ? Clairement, depuis de long mois déjà, le véritable objectif de la banque centrale – et l’on ne peut que l’en féliciter – a été de faire «tout ce qu’elle pouvait»… pour soutenir la croissance européenne. Mais comment y est-elle parvenue ?
En écrasant par ses achats de titres l’ensemble de la courbe des taux, elle a réussi à pousser partout à la baisse le coût du crédit. Le crédit n’est pas vraiment reparti pour autant. Si notre conjoncture a repris des couleurs, c’est d’abord à la baisse du prix du pétrole qu’on le doit : en réduisant la hausse des prix à la consommation, cette baisse a accru le pouvoir d’achat des ménages et permis à leur consommation de devenir le moteur de notre reprise. Mais c’est aussi parce que, au même moment, nos exportations ont été soutenues, et nos importations freinées, par la forte baisse de l’euro amorcée il y a maintenant plus d’un an : pour l’essentiel, c’est par ce biais que la nouvelle phase du quantitative easing de la BCE, annoncée à l’été 2014 et maintenant mise en œuvre, a affecté l’activité. Et c’est aussi par ses effets sur le change que son éventuel élargissement a toutes chances de continuer de le faire.
Que des banques centrales soient ainsi amenées à tenter, sinon de déprécier leur monnaie du moins d’en éviter l’appréciation, est préoccupant. Cela montre que les forces déflationnistes qui émanent des régions émergentes sont puissantes et que les politiques monétaires, pourtant toujours moins conventionnelles, menées dans les économies développées peinent à les contrer. Dans la zone euro en particulier, la croissance de notre demande intérieure n’est pas assez forte pour que nous puissions laisser une appréciation de l’euro en détourner une partie vers le reste du monde. Seule la banque centrale américaine semble aujourd’hui prête à prendre ce risque. C’est du moins ce que laisse penser le communiqué publié à l’issue de son dernier Comité de politique monétaire. En mettant explicitement le «lift-off» de son taux directeur à l’ordre du jour du prochain FOMC, elle semble considérer que l’économie devrait être en état de faire face à la hausse du dollar qui pourrait en résulter. Du coup, la décision qui sera prise en décembre prochain acquiert une signification particulière. Si la Réserve fédérale renonce à engager alors la normalisation du niveau de ses taux directeurs, annoncée pourtant depuis des mois, elle enverra au reste du monde un message clair : l’économie américaine, dont la monnaie est celle contre laquelle presque toutes les autres ont pu déprécier, n’est plus en état d’absorber une hausse supplémentaire du dollar et, avec elle, un surcroît de pressions déflationnistes issues du reste du monde. Un tel message serait inquiétant !