Le crédit-vendeur a-t-il sa place dans les LBO?
Pour le vendeur une opération de LBO répond à la motivation claire de monétiser un patrimoine économique en organisant sa reprise par un repreneur financier. Il peut sembler paradoxal de voir le vendeur faire crédit à l’acheteur d’une partie du prix de cession. Est-ce une anomalie ? Quelle est la proportion «normale» de crédit-vendeur ? Ce mode de (co)financement de l’acquisition ne répond pas seulement à une commodité mais aussi à une logique économique, notamment en raison des opérations d’OBO-transmission où l’enjeu prioritaire est d’assurer un changement de direction qui accompagne une cession patrimoniale.
Une étude de la Banque de France de 2012 identifie la présence d’un crédit-vendeur dans 19 % des montages de financement LBO (échantillon de moyennes entreprises). Comment expliquer que dans 1 cas sur 5 le crédit-vendeur soit présent, à côté des financements traditionnels ? La première raison réside dans l’ajustement de délais avec un crédit-vendeur qui vient en substitution d’un crédit-relais bancaire. C’est le cas de crédit-vendeur de 3 à 6 mois de durée nécessaire pour assurer une remontée de trésorerie.
Ce premier type de crédit-vendeur s’apparente à un crédit-relais et répond à une logique de montage de l’opération en deux temps. La pratique consacre ce type de dispositif dans le PME. Les banques dans des LBO standards font traditionnellement des crédits-relais pour anticiper les remontées de trésorerie prévues sous forme de versement de dividendes. Le choix de différer le paiement d’une tranche du prix s’explique par le fait que l’acquéreur va utiliser la trésorerie (ou la capacité d’emprunt) de la cible pour s’acquitter d’une partie du prix de cession. Le décalage de quelques mois s’explique par le fait que les remontées de flux se font en général par versement de dividendes à la holding. Il faut donc attendre la fin de l’exercice, puis l’établissement des comptes et enfin la tenue de l’AG.
Ce transfert de trésorerie est-il normal ? La réponse est positive s’il ne cause pas une gêne financière à la cible dans son activité. Il faut démontrer que la trésorerie en question n’est pas nécessaire à son exploitation.
Les opérations d’OBO-transmission sont une seconde catégorie d’opérations qui justifient la mise en place de crédit-vendeur important et de long terme. L’exemple de la transmission familiale d’une entreprise est le plus parlant : le père dirigeant d’une entreprise vend celle-ci à son fils pour assurer la continuité de l’entreprise et réaliser une opération patrimoniale. Il ne s’agit pas d’un OBO de stricte sortie financière pour réaliser son capital tout en restant aux commandes. Ce type de cession à soi-même via les banques est une opération patrimoniale pure qui est fiscalement pénalisée (article 223 B, alinéa 7, du CGI). L’OBO-transmission vise à garantir la pérennité de l’entreprise en mettant en place une nouvelle direction et de nouveaux propriétaires dans une logique qui est souvent familiale, notamment dans les PME.
Dans ce type d’opérations, l’élément confiance et l’élément aide à la transmission sont cruciaux. Il est parfaitement courant et usuel de mettre en place un crédit vendeur familial dans les OBO-transmission. Dans un tel cas de figure les crédits-vendeurs familiaux peuvent représenter de 30 à 50 % du prix de vente. Ces quotités apparaissent comme des standards.
Un crédit-vendeur transmission vient en remplacement du crédit bancaire à moyen terme. L’avantage premier est le coût. Peut-on pousser le raisonnement et imaginer un crédit-vendeur à 100 % ? Le LBO change ici de nature avec le financement d’une acquisition sans débourser un euro. En l’espèce, si un crédit vendeur familial est normal dans son principe, il est inusuel dans sa quotité de 100 %. Dans le montage de financement d’actifs économiques risqués, les fonds propres amortissent l’aléa de valeur des actifs économiques et viennent conforter la valeur de la dette. Un financement à 100 % par dette fait porter le risque économique sur le créancier… qui est en l’occurrence le vendeur. Traditionnellement en matière de LBO la part des fonds propres est minimisée, mais elle reste de l’ordre de 20 à 30 %.
Quelle est la rationalité économique d’un crédit-vendeur familial ?
- La première explication est qu’il se substitue à un crédit bancaire plus onéreux pour l’acquéreur. Un prêt senior bancaire est un prêt risqué pour les banques. Celles-ci réclament Euribor+200 ou 400bp. En faisant l’hypothèse d’un crédit vendeur familial à Euribor+100bp, l’acquéreur est assuré d’un financement souple, bon marché et de moyen terme.
- Le vendeur trouve un emploi à son patrimoine qui est bien meilleur qu’un placement bancaire pour lequel les conditions sont inférieures à l’Euribor.
- L’absence de capitaux propres investis par l’acquéreur est-elle une anomalie ? Le vendeur dans une optique de transmission, en accordant un crédit total, dispense l’emprunteur de la nécessité d’apporter des capitaux propres. C’est un avantage consenti dans le cadre d’une reprise familiale par rapport à une acquisition extérieure. Cet avantage est une aide qui peut être évaluée par rapport au coût exigé pour des capitaux propres que l’acquéreur aurait dû supporter s’il avait dû apporter 20 à 30 % de la valeur économique «nue» de la cible sous forme d’un financement par fonds propres ou hybrides. Un crédit-vendeur familial ou amical à 100 % correspond à la situation par laquelle le vendeur renonce à la liquidité immédiate de sa créance et de son patrimoine. Il investit dans la reprise de son ex-entreprise car il continue à en supporter le risque économique. La rémunération qu’il perçoit, au-dessus d’une quotité de crédit-vendeur standard usuelle (par exemple jusqu’à 50 %), doit donc être celle de fonds risqués.
Un montage LBO avec crédit-vendeur à 100 % n’apparaît pas comme sans fondement économique : il pousse jusqu’à la limite extrême l’aide familiale pour la reprise d’une entreprise en faisant profiter le repreneur d’une économie de fonds propres, afin d’assurer la pérennité de l’entreprise cible via une transmission aménagée.