Le nouveau visage du private equity en France
Dans la France des années 1980, l’effet de levier sur la dette constituait le fondement de la rentabilité de ce qu’étaient les premiers LBO. Cela a bien changé : une étude réalisée par Ernst & Young, pour le compte de l’association France Invest, montre qu’au cours des années récentes, la plus-value réalisée dans les LBO du private equity provenait, soit de la croissance de l’excédent brut d’exploitation ou Ebitda, soit de l’augmentation du multiple utilisé pour estimer la valeur d’entreprise à partir de cet Ebitda. L’effet de levier sur la dette ne joue pratiquement plus.
Ce résultat est le fruit d’une évolution qui s’est amorcée après la crise financière de 2008. L’accroissement des incertitudes et des risques a incité les banques à réduire le montant des financements pour ce type d’opérations : la part de dette est passée de près de 80 % en 2007 à 50 % ou moins aujourd’hui, réduisant d’autant le levier financier disponible. La baisse du taux d’impôt sur les bénéfices y a contribué aussi. Il fallait, se sont dit les équipes de gestion des fonds, rechercher d’autres axes de création de valeur.
Il en est un qui a été rapidement privilégié : celui relatif à la taille de l’entreprise concernée. Les multiples de l’Ebitda sont en effet, toutes choses égales par ailleurs, très sensibles à ce critère : selon Argos Index, en ce qui concerne les cessions intervenues au cours du 1er trimestre 2023, le multiple est proche de 9 pour une PME et de 13 pour une ETI. Pour obtenir un tel bond en avant, la croissance organique est bien entendu recherchée mais rarement suffisante. C’est la raison pour laquelle le nombre d’opérations de croissance externe a fortement augmenté. Certaines équipes de gestion en ont même fait une des principales stratégies présentées lors des levées de fonds : on construit autour d’une participation existante des « plates-formes » composées d’entreprises du même secteur afin de bénéficier de synergies tant commerciales qu’en coûts de revient. Cette pratique est maintenant devenue suffisamment répandue pour que près de la moitié des participations procèdent à un « build-up » durant leur présence au sein d’un portefeuille.
La réussite d’une croissance externe exige qu’une grande attention soit portée à sa mise en œuvre opérationnelle. Les fonds d’investissement ont donc développé leur connaissance de la gestion des entreprises et leur intérêt pour en améliorer les performances. Ce sujet est devenu d’autant plus important que deux grandes phases de transformation ont touché, au fil des années, leurs participations : la transformation digitale d’abord, puis récemment la transformation énergétique et les objectifs RSE.
Une nouvelle fonction est alors apparue aux côtés des équipes d’investissement : celle des équipes opérationnelles (ou operating partner), en charge de l’accompagnement des participations dans leurs transformations. Grâce à elle, les dirigeants bénéficient des compétences et de l’expérience acquises par des spécialistes dans la façon d’opérer la transformation, souvent profonde, des processus. L’operating partner assiste le dirigeant, en premier lieu dans la conception du plan de transformation.
Tant pour une opération de croissance externe que pour un plan de transformation, l’implication du fonds d’investissement, actionnaire généralement majoritaire, amène le chef d’entreprise à rendre régulièrement des comptes sur l’état d’avancement et la bonne réalisation du projet. Les conseils d’administration y consacrent une part significative de leur temps. Nous sommes loin de l’époque où l’examen des reportings financiers occupait tout le temps des débats. Les expertises variées composant le conseil, la nécessité pour le dirigeant de faire régulièrement un point d’étape approfondi, permettent de sécuriser la réussite de ces opérations. Cela contribue significativement à la croissance de l’entreprise.
Avec un certain succès. En 2021, selon l’étude réalisée par E&Y, 31 % des entreprises sous LBO cédées en 2021 sont passées du statut de PME à celui d’ETI pendant la durée du LBO. Avec aujourd’hui plusieurs milliers d’entreprises sous gestion, les fonds de LBO contribuent ainsi à résorber deux faiblesses majeures de l’économie française : le trop petit nombre d’ETI et la lenteur de l’adaptation des entreprises aux changements auxquels elles sont confrontées.
Bertrand Piens, membre du comité éditorial de Vox-Fi (DFCG)