L’économie de la sanction, une vision américaine

Publié le 6 juin 2014 à 11h22    Mis à jour le 6 juin 2014 à 17h52

Michel Foucher

Au-delà de la dimension judiciaire de l’affaire BNP Paribas, il est permis de s’interroger sur les effets de la vision extensive et unilatérale qu’ont les Etats-Unis du principe d’extraterritorialité de leurs lois et du recours accru aux sanctions dans les zones de crise. Et en marge du jour le plus long, d’examiner les relations économiques entre les alliés stratégiques.

Depuis juillet 2013, les affaires transatlantiques ont gagné en intensité et en complexité. Intensité économique. Les négociations du partenariat de commerce et d’investissement ont été lancées, le plus ambitieux des 575 accords commerciaux en vigueur ou en discussion dans le monde et le plus influent du fait de ses ambitions normatives et réglementaires, même si des sujets sensibles font débat (inclusion des services financiers, libéralisation des marchés publics des Etats fédérés pour les Etats-Unis, préférences collectives pour l’Union européenne).

Intensité stratégique. La crise russo-ukrainienne a été une aubaine pour Washington, de nouveau perçu, par son bras armé de l’OTAN, garant de sécurité en dernier ressort face à la réaffirmation nationale russe. Barack Obama a donc foulé le sol européen pour la deuxième fois en un peu plus de trois mois. Et les officiels américains font le lien entre cette réassurance stratégique et leur intention d’atteindre rapidement un accord commercial. On déplorait, à Varsovie et au siège de l’OTAN, que les Etats-Unis se fussent placés en retrait des affaires européennes ; un démenti vient d’être apporté, mais à quel prix ?

Dans le même temps, des divergences d’intérêt entre alliés se sont révélées, dans le contexte de la réponse à la politique offensive du Kremlin.

Complexité. Effectuant quinze fois moins d’échanges avec la Russie que les Européens, les Américains ont prôné des sanctions individuelles puis économiques plus sévères que ce qui était acceptable par ceux-ci. Le but d’affaiblir la politique, conduite depuis vingt ans par Berlin, Paris et Rome, d’ancrage économique européen et de modernisation de la Russie, était manifeste, comme celui de remplacer à terme Gazprom par les producteurs américains de gaz de schiste. D’une dépendance, l’autre ?

Précisions. Ont été ciblés, dans la liste américaine individuelle, Vladimir Yakounine, président de la compagnie des chemins de fer russes, interlocuteur privilégié de Siemens et d’Alstom, modernisateur et coprésident du dialogue franco-russe, ainsi que Guennadi Timchenko, fondateur de Gunvor et président du Conseil économique de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe. On citera encore Sergueï Narychkine, président de la Douma et de l’association des membres de la Légion d’honneur, ou Leonid Sloutski, qui veille sur le groupe d’amitié Russie-France de la Douma. D’autres décideurs, tout aussi proches du dirigeant du Kremlin, ont été épargnés, car liés aux Etats-Unis.

Ces petits irritants entre alliés, affectés par la «sanctionnite aiguë» des Etats-Unis pointée par un diplomate européen, se notent aussi lors des levées de sanctions. La mission du Medef en Iran de février 2014 a fait l’objet de menaces de représailles de Washington : perte d’accès au marché et aux transactions en dollars, liste noire et sanctions ; John Kerry a indiqué à son homologue le caractère inapproprié de cette visite. Peugeot et Renault étaient encore gênés par le régime des sanctions alors que General Motors et les sociétés cotées au Nasdaq reprenaient le chemin de Téhéran, détenteurs de passeports de la Confédération helvétique, qui y représente les intérêts américains.

Les sanctions imposées à l’Iran ont conduit la frange la plus ouverte du pouvoir à négocier sérieusement, et la concertation diplomatique euro-américaine se poursuit sur le nucléaire iranien. Les sanctions ont pu être efficaces en affectant l’activité économique (Afrique du Sud, Iran) ou la réputation (Russie). Mais la liste du programme de sanctions de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) contient, comme celle de l’Union européenne, une vingtaine de pays, dont certains depuis 1963 (Cuba). Le dossier libyen y est indiqué comme en voie de révision.

Les modalités de sortie des sanctions économiques et financières, plus compliquées que leur mise en place, sont un enjeu crucial dans la bataille économique entre alliés, surtout lorsque le principe d’extraterritorialité s’applique. L’amitié n’évite pas le risque de subordination qu’entraîne l’asymétrie des pratiques. Il serait dommageable que ces questions ne soient pas abordées de front lors des négociations d’un traité visant à rapprocher les deux rives de l’océan Atlantique.

Michel Foucher Conseiller du président ,  Compagnie financière Jacques Coeur

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