Les Européens face au plan américain de relance

Publié le 8 mars 2023 à 18h44

Michel Foucher    Temps de lecture 5 minutes

Les Européens font face à un nouveau défi, celui de la loi, mal nommée, « US Inflation Reduction Act ». Signée par le président Biden en août 2022, celle-ci prévoit 490 milliards de dollars de dépenses et d’exemptions fiscales pour soutenir les technologies « vertes », y compris d’importantes subventions pour les véhicules électriques. Votée pour huit années, celle-ci poursuit deux objectifs : favoriser, d’une part, la création d’emplois aux Etats-Unis et, sans doute, reconquérir par ce biais l’électorat des Etats industriels qui avaient quitté le parti démocrate ; réduire, d’autre part, la dépendance américaine à l’égard de la production chinoise. La Chine produit actuellement 80 % des batteries électriques dans le monde et contrôle la moitié du marché des minerais essentiels pour la fabrication des batteries.

Ce dispositif américain affecte l’Europe dans la mesure où la production de ces technologies doit se réaliser aux Etats-Unis ou dans un pays qui bénéficie d’un accord de libre-échange avec eux (Canada, Mexique), ce qui n’est pas le cas de l’Union européenne (UE). L’industrie européenne ne peut donc pas bénéficier du Plan sauf à s’implanter aux Etats-Unis. Or, outre-Atlantique, le coût de l’énergie est deux à trois fois inférieur à ceux de l’Europe [1]. Volkswagen a ainsi menacé la Commission européenne d’installer sa prochaine usine de batteries aux Etats-Unis et non en Europe centrale. Et les investisseurs américains, tel Intel, exigent des subventions comparables pour s’implanter en Europe.

L’UE cherche une réponse. Et il faut faire vite car les procédures américaines sont très rapides alors que les décisions attendues des industriels européens qui mettent les deux espaces productifs en concurrence ne sont pas encore prises. Le Conseil européen des 23-24 mars devra approuver le paquet de propositions de la Commission européenne pour soutenir l’industrie de décarbonation, qui vont de la simplification des procédures d’obtention de permis pour les entreprises, à la réforme du marché de l’électricité afin d’en faire baisser le prix en ne dépendant plus du prix du gaz, en passant par une loi sur les matières premières critiques. Il vise également à déplafonner les aides d’Etat et à mobiliser des crédits d’impôts dans les aides d’Etat aux entreprises (comme aux Etats-Unis), ou encore à faire jouer la clause de réciprocité, permise par l’OMC mais jamais utilisée par l’UE, qui pourra enfin autoriser les pays membres à proposer les mêmes avantages financiers ou fiscaux que la Chine ou les Etats-Unis. Faute d’un nouvel emprunt communautaire (Berlin, La Haye et Stockholm y sont opposés), on aura recours au plan de relance (250 milliards d’euros). Le projet de fonds de souveraineté pour financer les technologies de rupture (IA, biotech, technologie quantique) sera présenté mi-2023 ; il ne fait pas l’unanimité.

C’est donc un enjeu majeur pour l’avenir industriel de l’Europe qui exporte la moitié de sa production de véhicules (pour un surplus annuel de 80 milliards d’euros, soit le tiers de l’excédent commercial européen) et pour qui le secteur pèse 12,6 millions d’emplois. L’UE veut à tout prix éviter de perdre son avance dans les industries vertes comme ce fut le cas pour les panneaux photovoltaïques du fait des subventions publiques chinoises. Elle est devenue exportatrice nette de véhicules électriques et hybrides et le marché américain, avec 5 % seulement de véhicules électriques, est majeur. Or, le Plan américain subventionne également la fabrication de batteries destinées à l’exportation. Il y a donc clairement une compétition euro-américaine pour le leadership dans ce secteur d’avenir. Mais il reste l’option pour les firmes européennes de continuer d’investir aux Etats-Unis plutôt qu’en Chine, dès lors que, compte tenu des coûts de transport, 80 % des ventes de véhicules électriques procèdent de production locale. Les deux marchés ne sont pas contradictoires.

On voit par là que les tensions géopolitiques sont en 2023 plus vives que jamais, et ont des effets directs sur le choix des investisseurs américains et européens. Les Etats-Unis redécouvrent la politique industrielle face à la compétition de la Chine et ripostent au nom de la sécurité nationale. Le risque chinois – avec les menaces sur Taiwan et donc sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, ainsi que le contrôle renforcé du pouvoir, affirmé ces jours-ci lors de l’Assemblée nationale populaire, sur les secteurs de la technologie et de la finance – est désormais bien perçu aux Etats-Unis. Ceux-ci entament un début de découplage, auquel ils invitent leurs alliés européens : investissez chez nous et pas en Chine ! Comme dans le passé, la garantie de sécurité du grand allié américain en faveur des Européens, réaffirmée haut la main dans la guerre d’Ukraine, emporte une contrepartie économique. Le mot « souveraineté » n’est plus tabou à Bruxelles mais sa mise en œuvre implique une vraie négociation avec l’oncle Sam.

Michel Foucher Conseiller du président ,  Compagnie financière Jacques Coeur

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