Les ETF accroissent-ils les co-mouvements de leurs actifs sous-jacents ?
Avec un montant d’actifs sous gestion de quelque 9 000 milliards de dollars, les ETF ont connu un développement exceptionnel depuis leur création en 1993. Cet essor s’explique par des facteurs connus : la diversification que permettent ces produits, des frais de gestion faibles, et un niveau de liquidité identique, voire supérieur pour certains ETF, à celui des actions classiques. A côté de ces avantages, la littérature académique a mis en évidence plusieurs résultats suggérant un impact négatif des ETF sur les propriétés des actifs entrant dans la composition des indices qu’ils répliquent : une augmentation de la volatilité des actions d’autant plus forte que le pourcentage de leur détention par des ETF est élevé, une diminution de la liquidité des actions fortement détenues par des ETF lorsque ces ETF font l’objet de ventes importantes, et comme nous le montrons dans un article récent rédigé avec Thomas Marta, une augmentation des co-mouvements des actions incluses dans un panier servant de support à un ETF.
La notion de co-mouvement fait référence à la tendance qu’ont plusieurs titres à voir leurs prix évoluer dans le même sens. Ce phénomène est problématique puisqu’il implique une diminution des possibilités de diversification pour les investisseurs. L’augmentation des co-mouvements est liée à la façon dont procèdent les ETF à réplication physique pour assurer une forte corrélation avec leur indice de référence. Si par exemple la valeur d’un ETF affiche une valeur supérieure à celle de son indice, les participants autorisés vont vendre l’ETF afin de ramener son cours vers la valeur de l’indice et couvrir cette position vendeuse en achetant l’ensemble des actions sous-jacentes. Ce sont ces transactions unidirectionnelles sur l’ensemble des titres qui contribuent à l’augmentation de leurs co-mouvements.
Si le mécanisme à l’origine des co-mouvements est simple à comprendre, le mettre à jour empiriquement et prouver l’existence d’un lien causal entre les ETF et ces co-mouvements est plus complexe. Constater par exemple que les titres servant de sous-jacents à un ETF sont davantage corrélés entre eux que d’autres titres ne prouve rien. En effet, la corrélation observée peut être simplement liée au fait que, ces titres appartenant à un même indice, ils ont naturellement tendance à évoluer le même sens. Pour mettre en évidence le phénomène d’amplification des co-mouvements causé par les ETF, nous avons utilisé l’expérience naturelle suivante. Le 11 juillet 2014, l’ETF Lyxor CAC (qui réplique l’évolution de l’indice CAC 40) a basculé d’un mode de réplication synthétique vers une réplication physique. En réplication synthétique, les participants autorisés n’ont plus à livrer au sponsor du fonds de l’ETF l’intégralité des actions de l’indice. Ceux-ci couvrent alors plutôt leurs opérations d’achat ou de vente de l’ETF avec des contrats futures. On anticipe donc en pareil cas un effet moindre des ETF sur les co-mouvements de leurs titres sous-jacents.
Le cadre étant posé, comment avons-nous procédé ? Nous avons apparié chacun des 40 constituants de l’indice CAC avec son plus proche voisin, sélectionné parmi plus de 800 actions cotées en Europe. Les titres du CAC 40 constituent l’échantillon traité tandis que les titres auxquels ils sont appariés constituent l’échantillon de contrôle. La présence d’un échantillon de contrôle permet de s’assurer que les phénomènes observés au niveau des titres du CAC ne sont pas dus à des événements qui pourraient affecter l’ensemble du marché. Nous montrons qu’après le passage du Lyxor CAC en réplication physique, les actions du CAC 40 deviennent significativement plus corrélées entre elles alors que leur corrélation avec les titres de l’échantillon de contrôle reste inchangée. Il y a donc bien augmentation des co-mouvements des titres du CAC 40.
Pour autant, ces co-mouvements sont-ils excessifs, autrement dit conduisent-ils à une corrélation anormale des actions entre elles ? Nous observons en fait qu’à la suite du passage de l’ETF en réplication physique, les actions du CAC 40 affichent une dépendance temporelle moins forte de leurs taux de rentabilité successifs, ce qui suggère une augmentation de l’efficience informationnelle du cours de ces actions. En d’autres termes, l’augmentation des co-mouvements ne ferait que refléter une meilleure intégration des déterminants communs des cours des 40 titres. Certes les co-mouvements augmentent, les possibilités de diversification s’en trouvent diminuées, mais en même temps le phénomène suggère un meilleur fonctionnement du marché des titres en question.
Fabrice Riva est professeur à l’Université Paris-Dauphine – PSL
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