Les fonds à frais nuls sont-ils gratuits ?
Les frais que les fonds facturent à leurs souscripteurs ont connu une baisse spectaculaire au cours des vingt dernières années. Une étude de Morningstar datée d’avril 2019 établit que le total expense ratio[1] des fonds US, qui était de près de 1 % pour l’année 2000, s’établissait à 0,48 % seulement en 2018.
Cette tendance baissière des frais n’a rien de surprenant. Premier facteur explicatif : la digitalisation des activités. En permettant d’automatiser un nombre important de tâches relevant du back-office, la digitalisation a engendré une baisse significative des coûts administratifs de gestion des fonds. Des économies ont également été réalisées au niveau des commissions versées aux intermédiaires (brokers) auxquels font appel les fonds pour réaliser leurs transactions, soit parce que ces intermédiaires ont désormais recours à des algorithmes de trading, plus efficaces et moins coûteux que pouvaient l’être des intervenants humains, soit parce que les fonds eux-mêmes ont développé des outils automatisés de transaction leur permettant de contourner ces intermédiaires. L’évolution qu’ont connue les marchés joue également un rôle : la concurrence entre les plateformes de négociation de titres s’est traduite par une baisse drastique des frais d’exécution des ordres. Deuxième facteur explicatif de la baisse des frais : le développement de la gestion passive. De fait, l’étude de Morningstar révèle que le coût global de 0,48 % observé pour l’année 2018 masque en réalité des différences importantes entre d’une part les fonds actifs, dont les frais se sont établis à 0,67 %, et d’autre part les fonds passifs, dont les frais étaient de 0,15 %. Que les fonds passifs soient moins coûteux s’explique aisément. Dans la mesure où ceux-ci (parmi lesquels de nombreux ETF) se contentent de répliquer un indice de référence, les frais visant à rémunérer une compétence spécifique de leurs gérants, potentiellement génératrice de surperformance, n’ont pas lieu d’être.
Dans cette évolution vers des frais toujours plus faibles, un nouveau cap a été franchi l’année dernière. En effet, le 1er août 2018, Fidelity, l’un des géants de la gestion d’actifs (2 500 milliards d’actifs sous gestion) a annoncé le lancement de deux nouveaux fonds, Fidelity ZERO Total Market et Fidelity ZERO International Index Fund, à frais nuls. Sans surprise, il s’agit là de fonds indiciels. La réaction des investisseurs ne s’est pas fait attendre : un mois seulement après son lancement, Fidelity ZERO Total Market affichait un portefeuille net d’actifs d’un milliard de dollars.
Comment un fonds peut-il proposer des frais nuls ? Clairement, malgré les économies permises par l’automatisation de tout un ensemble d’opérations, la gestion d’un fonds a nécessairement un coût positif, aussi faible soit-il. En fait, la facturation de frais nuls est en partie rendue possible grâce aux gains que réalisent ces fonds sur les opérations de prêt de titres. Lorsqu’un investisseur souhaite vendre à découvert un actif, il lui faut pour cela l’emprunter, moyennant un coût à payer au prêteur. C’est à ce niveau que ces fonds interviennent, en prêtant les titres qu’ils détiennent. Un article récent portant sur des ETF américains[2] montre que les gains permis par l’activité de prêt de titres sur la période 2009-2013 ont atteint en moyenne annuelle de 23 à 28 points de base, pour un total expense ratio moyen de 28 points. Lorsque l’activité de prêt porte sur des titres particulièrement recherchés (hard-to-borrow assets) les gains peuvent atteindre jusqu’à 100 points de base. Certains ETF peuvent donc couvrir l’intégralité de leurs frais de gestion par ce biais. Détail important, l’article souligne la difficulté à estimer les gains réels de l’activité de prêt, les fonds étudiés n’étant tenus de reporter que les revenus nets encaissés. Le manque de transparence entourant les gains engrangés via le prêt de titres a d’ailleurs donné lieu en 2013 à un litige opposant deux fonds de pension américains à BlackRock quant à la proportion des gains qui leur était effectivement rétrocédée.
L’incertitude sur les gains effectifs de l’activité de prêt de titres implique que le coût réel d’un fonds est potentiellement opaque. En outre, comme souligné dans un autre article récent[3], les souscripteurs pourraient préférer qu’une part plus importante de ces gains leur soit reversée (quitte à payer des frais). De fait, les gains en question sont endogènes, vu qu’ils sont plus probablement réalisés lorsque la valeur des titres prêtés baisse (les vendeurs à découvert anticipant cette baisse). Rétrocéder une fraction plus importante de ces gains aux souscripteurs permettrait à ceux-ci de limiter la perte en capital qu’ils subissent du fait de la baisse des cours et donc de réduire la volatilité de leurs placements. Ces différents résultats militent en faveur d’une plus grande transparence de la communication des fonds sur l’origine de leurs revenus afin que les investisseurs puissent allouer de façon optimale leur capital entre les différentes opportunités de placement qui s’offrent à eux, en gardant bien à l’esprit toutefois que des frais nuls ne signifient pas qu’un fonds est gratuit.
[1] Ce ratio agrège l’ensemble des frais auxquels est soumis un investisseur.
[2] Blocher K. et R. Whaley (2016), «Two-sided Markets in Asset Management: Exchange-traded Funds and Securities Lending».
[3] Zoican M. (2019), «Fund competition at the zero-fee bound».
Fabrice Riva est professeur à l’Université Paris-Dauphine – PSL