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Les risques géopolitiques affectent-ils la RSE des entreprises ?

Publié le 7 novembre 2023 à 19h31

Jean-François Boulier    Temps de lecture 4 minutes

Par Jean-François Boulier, président d'honneur de l'AF2i - Les entreprises tendent à investir moins dans la RSE quand des risques géopolitiques se matérialisent. Elles privilégient alors la recherche de performances financières, au détriment de l’extra-financier.

La responsabilité sociale des entreprises s’est progressivement imposée depuis le début du siècle, en réponse aux attentes des tiers, notamment des investisseurs, et des salariés. Mais ces politiques peuvent se révéler coûteuses et détourner l’entreprise de priorités internes ou liées à son environnement économique et opératoire. Qu’en est-il notamment de l’impact du climat géopolitique sur les performances extra-financières des entreprises, en particulier sur leurs politiques sociale et environnementale ?

Dans leur article intitulé « Geopolitical Risk and Corporate Social Responsibility »*, trois chercheurs analysent cet impact sur un échantillon de plus de 2 000 entreprises américaines cotées pendant la période 2002-2020, riche, malheureusement, en événements terroristes, comme le 11 septembre, ou en guerres menées par la Russie par exemple. La méthode qu’ils ont choisie pour déterminer l’intensité du risque géopolitique repose sur une analyse textuelle des principaux journaux et documents économiques américains, en y recensant le nombre d’articles consacrés à ce type d’événement. Un indice a ainsi été créé pour mesurer l’intensité du risque géopolitique perçu par les Américains. Les données extra-financières sont obtenues à partir d’un fournisseur de données ESG (Thomson Reuters) mais seules les composantes environnementales et sociétales ont été retenues, car les chercheurs considèrent que la gouvernance est une dimension d’une nature différente. Leur étude s’intéresse donc aux corrélations entre les scores extra-financiers et le risque géopolitique en contrôlant les autres effets classiques, la taille de l’entreprise, son secteur économique et ses données financières.

Leurs résultats, pour cet échantillon et cette période, montrent que les impacts géopolitiques sur les scores environnementaux, sociaux et totaux sont clairement négatifs. Le climat géopolitique limite les efforts des entreprises en matière de RSE et donc leur performance extra-financière. Cet effet semble pratiquement indépendant des secteurs économiques et à peu près de la même intensité, mais plus prononcé pour les entreprises de grande taille. Seules les entreprises des secteurs des transports et des métaux précieux ont été moins sensibles en moyenne sur la période. L’analyse plus détaillée révèle que l’effet passe principalement par un moindre investissement des entreprises et une sensibilité négative des cash-flows aux risques géopolitiques. Les chercheurs analysent ce résultat au travers des théories des options réelles en estimant que l’option d’attendre devient plus grande lorsque le risque se manifeste. Ils indiquent aussi que la théorie de l’utilisation des ressources conduit à la même conclusion. Ainsi théories et observations seraient concordantes.

Une préférence pour le court terme

Si la responsabilité sociale des entreprises a trouvé son essor, y compris aux Etats-Unis où règne un scepticisme plus grand en matière de risque climatique, cet effort des entreprises s’inscrit dans la durée. Quand un événement de nature géopolitique se produit, les entreprises tendent à revenir sur les préoccupations vitales, un peu comme en période de crise, et si elles ne sont pas directement affectées, elles attendent de voir comment la situation évolue avant d’investir ou de s’engager dans des actions, notamment celles qui sont irréversibles. Cette préférence pour le court terme, tout à fait compréhensible, vient au détriment d’une approche de plus long terme, exigeante en ressources et d’un autre niveau de priorité.

Plusieurs autres études convergent vers cette conclusion, indiquant que pour la majorité des entreprises les performances extra-financières seraient d’un ordre de priorité second par rapport aux traditionnelles performances financières. Il semble également que les cours boursiers soient plus sensibles aux questions ESG en périodes économiquement sereines et que les fondamentaux financiers redeviennent primordiaux pour les valorisations pendant les périodes plus stressées. L’ESG serait ainsi la direction souhaitable pour la majorité des acteurs, mais, toutefois, tant que tout va bien. Est-ce que cela sera suffisant pour l’avenir ? Davantage d’études, comme celles-ci, en Europe ou dans les pays émergents, ou des scores d’autres fournisseurs, nous aideront à mieux comprendre ces effets et à trouver les leviers futurs permettant aux entreprises de faire face aux urgences climatiques et aux évolutions sociales.

*Geopolitical Risk and Corporate Social Responsibility », M. Shahedur R. Chowdhurya, Nicos Koussisb, Michalis Makrominasc, Hanoi, VSBF conference, octobre 2023.

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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