L’Europe, une chance pour la France
Notre pays est parfois décrit comme ayant un grave problème avec la vérité à son sujet. Le philosophe Marcel Gauchet appliqua ce constat à la fin brutale de statut de grande puissance en mai 1940, devenue victoire en 1945 ; Pascal Lamy le convoque à propos du rapport des Français au monde, perçu comme la source principale de tous les maux[1]. Du vaste monde à l’Europe instituée, il n’y a qu’un pas et la tentation de vouloir changer les règles communes plutôt que de s’adapter persiste. La décision des télévisions françaises de faire l’impasse sur le débat électoral entre les candidats à la présidence de la Commission européenne le 15 mai ne favorisera pas la connaissance d’une Union jugée lointaine et technique.
La vérité de la France sur l’Europe, c’est en fait l’inverse du discours ambiant : les choix d’engagement européen, décidés dès 1950-1957 et confirmés en 1962 (franco-allemand), 1986 (grand marché) et 2002 (monnaie unique), furent avisés. Ils ont permis de sortir de la rente coloniale et du colbertisme et d’adopter un modèle ouvert et internationalisé. Selon des sondages récents, la France bénéficie de son appartenance à l’Union européenne (58 % contre 40 %[2]), échelle efficace pour la défense, la politique étrangère et l’immigration. L’opinion est plus partagée sur la politique économique et industrielle et s’en remet à l’échelle nationale pour la fiscalité et la sécurité. 47 % des sondés soutiennent une intégration renforcée des pays de l’UE ou de ceux de la zone euro ; 28 % préfèrent une simple coopération ; les partisans de la «fin de l’UE» sont 23 %[3].
L’économie est donc devenue centrale dans la relation de l’opinion au projet européen. Une histoire contrefactuelle mesurerait le revenu français par tête en absence d’intégration européenne, sans doute inférieur de 40 % à son niveau de 2005 selon certains experts[4]. Un même exercice mené sur les 17 Etats ayant rejoint le noyau fondateur indique des revenus inférieurs de 12 %, en moyenne, en cas de non-adhésion[5] (38 % pour le Royaume Uni, grand bénéficiaire du marché unique ; plus de 80 % pour l’Irlande, avec l’euro). Comparons la Pologne et l’Ukraine : des PIB/habitant équivalents en 1990, un écart de 3 à 1 en 2012. La Pologne a progressé trois fois plus vite.
L’Union européenne, c’est en 2014 le premier marché du monde, où la France réalise 60 % de ses exportations, une communauté de droit et de normes, une enceinte de négociations internationales, la deuxième monnaie de réserve du monde, une Banque centrale indépendante, un cadre – propice à l’émulation – de règles incitant à la réforme et à la discipline budgétaire. C’est la source de 61 % des investissements étrangers créateurs d’emploi[6] (1 600 entreprises allemandes travaillent en France, et 1 200 françaises en Allemagne).
C’est, de plus en plus, un réservoir d’épargne que la directive UCITS 4, entrée en vigueur en juillet 2011, permet de mobiliser dans l’ensemble des 28 Etats membres[7]. Les fonds de pension britanniques, néerlandais et finlandais, ainsi que l’épargne privée, qui dépasse 14 % du revenu total des ménages en Suède, en Allemagne, en Belgique et au Luxembourg (et en France) et 10 % dans neuf autres pays, regardent la France avec intérêt. Le voisinage européen de la France n’a jamais été aussi prospère et donc porteur.
Enfin, l’insertion européenne offre des marges de progrès pour l’économie nationale afin de réduire un déficit commercial ancien (la moitié du déficit total est réalisé dans l’UE) lié à une demande interne dynamique et à une compétitivité insuffisante.
Si cet ensemble intégré n’était pas central dans le jeu des grands acteurs, ni le Chinois Xi Jinping ni l’Américain Obama n’auraient pris le temps fin mars d’une visite aux Institutions de Bruxelles, ce qui vaut reconnaissance. Institutions d’inspiration française, dès l’origine.
[1]. Quand la France s’éveillera, Pascal Lamy, Odile Jacob, 2014.
[2]. IFOP pour le JDD des 25-26 avril 2014.
[3]. Quelle France dans dix ans ? CGSP, février 2014.
[4]. Entretien avec Patrick Allard, Centre d’analyse, de prévision et de stratégie, 24 avril 2014.
[5]. Economic Benefits From Membership of the European Union : New Estimates, par Nauro Campos, Fabrizio Coricelli et Luigi Moretti, conférence annuelle de la Royal Economic Society, avril 2014.
[6]. AFII, Rapport 2013 des investissements étrangers créateurs d’emploi en France, 29 avril 2014.
[7]. La directive UCITS 5 a été approuvée par le Parlement européen le 15 avril 2014.